La nuit a tardé, le soir s’est tu. Il savait qu’il la trouverait ici, cette silhouette qu’il n’a jamais pu oublier - celle qui s’est dessinée et imprégnée de lui-même, cette chair dans laquelle il s’est retrouvé alors qu’il ne pouvait que l’admirer de loin. Il la connaissait depuis toujours, se remémorait de chacun de ses mouvements comme s’il était son marionnettiste. Ô Delilah, comment avait-il pu t’oublier, comment avais-tu pu embraser la mort ? Il s’était amouraché de toi alors il ne t’oublierait pas même aux Enfers - l’amour brûlant au creux de ses doigts, il te l’offrirait volontiers, si seulement tu étais encore là pour le chérir.
Sinistra pourtant tu as tout d’elle, tu as peut-être sa chair et son sang, autant que ses formes et son coeur sinistre - Sinistra qui es-tu ? Sinistra le veux-tu ? Et si tu ne le voulais pas, que ferais-tu de lui ? Il accepterait le moindre de tes échos le visant, le criblant et l’acculant.

Parce que son intérieur était silencieusement ravagé par sa mort, celle qu’il lui avait offerte ce jour-là. Coupable intense de la mort de sa propre femme et aujourd’hui, il la poursuit comme si elle existait encore. Mais dans l’abysse de son regard, il percevait toute la vie qui avait quitté Delilah, et si elle l’avait recueilli ?
Il l’a attendue, il l’a suivie ; et la voici maintenant probablement assiégée par son travail. Mais dans les néons qui éclairent le couloir, il se faufile comme un frelon - invasif alors qu’il se faufile jusqu’à la capturer à l’impasse d’un couloir.

— Sinistra, bonsoir - il est tard n’est-ce pas ? Laisse-moi te raccompagner. Comme s’il l’avait observée assez pour ne pas se présenter, pour ne pas s’avancer sur sa présence ici - elle est naturelle n’est-ce pas ? Il est partout et nulle-part à la fois, comme ce regard qu’il laisse s’étendre dans son regard, vissé comme pour s’assurer que jamais il ne le quitterait. J’espère ne pas t’avoir effrayé. Il se veut solennel, il se veut fier ; peut-être trop confiant mais dans son regard il intercepte le sien.

Il la contemplait, sous les quelques faisceaux lumineux comme s’il y contemplait un fantôme ; et c’était le plus inquiétant. Le sourire qui se dessine pourtant, est sincère, comme jamais réellement mort tant il caressait l’espoir qu’elle soit toujours en vie, à travers elle. Comme si l’effleurait lavait tout le sang qui couvrait ses mains ; alors l’affreux goût métallique qu’il avait semblait bien plus doux contre son palais. Aussi doux que sa présence, aussi ravageur que ce regard qu’elle lui offre dont Chamber n’arrive pleinement distinguer les émotions. Tout ce dont il se souvient, c’est de la mort qui les couvrait ce jour-là ; morte sans savoir, morte ignorante.
Sa voix, pourtant comme un glas, était d’une beauté mystique. Et les couleuvres elles, chantaient au bord de ses oreilles - déposaient un chant que lui seul comprenait.

— N’est-ce pas, car ce n’était pas réellement une demande, mais une proposition évidente - évidemment, elle n’allait pas refuser. Peu importe ô combien elle pouvait se résoudre à ignorer ce regard qui l’acculait. Tu dois être épuisée, je m’en voudrais si tu t’écroulais. Avec la même attention qu’il lui portait pourtant elle était forte, si forte - lui pourtant, s’animait toujours à l’idée de la supporter, probablement aussi de la surplomber.
Ce bras qui s’amourache au sien, une énième mélodie morne ; au macabre qui résonnait aux sons de leurs pas dans les couloirs.

— Ai-je réellement besoin d’une raison pour venir te voir ? Son sourire brûlait de sincérité, une sincérité aussi effroyable que sa présence. Il était venu simplement pour elle - simplement dans le désir de combler son désir malsain, n’était-ce pas suffisant ? En passant par ici, je me suis dis que ça serait un affront de ne pas venir. La voir, te voir et il n’avait aucune excuse Chamber, car il était ici simplement pour elle. Pour son écho dans la mort.

— Et puis, si le coeur t’en dit, nous pourrions sortir un soir. Ça te changerait qu’il dirait probablement, s’il savait qu’il s’adressait bien plus à Sinistra qu’au fantôme de sa femme - mais il oublie, il ignore ; son oeuvre la plus cruelle.