Il est mort.
L'ambassadeur d'Arès est mort, vive l'ambassadeur !
La nouvelle prise de tes fonctions s'est accompagnée d'une pluie d'appels - mais ce n'était pas forcément pour te féliciter ; un peu pour t'avertir, en un sens ; aussi pour te prévenir que son corps allait être transporté à la clinique d'Asclepios pour être ausculter dans le cadre de la procédure du duel. Et tu savais ce que ça voulait dire, Cecil. Il n'y avait qu'un médecin-légiste à Nausikaa, et il s'avérait que tu la connaissait.

(...)

Le pas est précipité. Tu travers les couloirs de la clinique. Personne ne t'arrête, personne ne se met au travers de ton chemin. C'est qu'il serait malvenu à Agôn de tenir tête au représentant du dieu de la guerre, membre du clan Sparte.

Tu dévales les escaliers qui mènent au sous-sol. À peine en bas, la température te glace le sang. L'absence de lumière également. La démarche assurée trace le sillage des destinées évaporées. La morgue de Nausikaa ne t'a jamais rebuté. Les morts ont l'excellence d'être silencieux, eux, au moins.

Pourtant, plus tu te rapproches de l'unité médico-légale, plus que tu crois discerner des voix. Notamment une.

((Une que tu n'aurais jamais cru entendre de nouveau))

Les mains poussent les portes et tu pénètres la salle avec empressement. Le corps de votre ancien chef de fratrie est allongé sur la table d'opération - mais l'âme s'est mise debout. Tu l'entends dénigrer à celle qui l'a ramené temporairement, tous les dangers que tu représentes.

FERME LA IMMÉDIATEMENT !

Cecil est dangereux, les Arès courent à leur perte ! Il m'a piégé Sinistra, piégé !

Tu sors ta lame, furieux d'être ainsi dénigré.
Face à elle.
Surtout face à elle.

La plantes dans son coeur pour le faire taire, à plusieurs répétitions.

Meurs ! MEURS POUR DE BON ET TAIS TOI !

Le corps est déjà mort et la peau ne saigne plus, semblable à un pantin de caoutchouc. L'âme filandreuse s'évanouit dans le sol - sûrement pour rejoindre les enfers, tu l'espères.

Encore essoufflé, c'est la première fois qu'elle te voit perdre tes moyens. Tu la toises, le regard brillant. Prêt à te jeter sur elle.

Lentement tu lâches le manche du poignard, toujours planté dans la poitrine tuméfié du défunt. Tu plaques tes mains sur le bord de la table en métal et penches la tête en avant pour souffler un coup. Tu as besoin de reprendre tes esprits, Cecil, tourmenté par un élan d'haine à son état le plus pur. C'est de sa faute. Ce clochard n'avait qu'à pas ouvrir sa grande gueule - il était de ton devoir de le faire taire à jamais.

Mais la demande de Sinistra te fait vriller. Tu sens que la folie te remonte à la tête ; elle te donne des vertiges. Tu abandonnes ton arme pour te jeter sur elle, la bloques contre la dessertes ; tellement brusquement que de nombreux produits se renversent et s'explosent sur le sol.

Qu'est-ce qu'il t'a dit d'autre ?

Siffles-tu, menaçant. Mais même si tu l'empêches de bouger, tu prends le soin de ne pas vraiment la toucher. Ce n'est pas des marques de ce genre que tu veux abandonner à sa peau. Ce n'est pas avec cette violence là que tu veux la conquérir. Tu veux juste qu'elle se rappelle que vous ne vous devez aucun secrets, aucune cachotteries qui pourraient laisser la rancoeur s'installer et pourrir.

Ses dernières volontés sont claires. Jette-le dans la fosse commune. Il rejoindra plus facilement Hadès.

Tu acceptes finalement de la lâcher. T'en retournes vers le corps pour récupérer ta lame. Tu l'essuies du sang déjà séché et violacé.

Excuse-moi, je ne voulais pas mettre la pagaille.

Ce sont tes seules excuses et elles sont à peine sincères.

S'il y a bien des choses qui t'échappent lorsque tu penses à Sinistra, tu sais que ce n'est pas une menteuse, loin de là. Alors quand elle affirme qu'elle ne sait rien de plus, tu calmes tes envies de violence et t'apaises en un instant. Délicatement, tu caresses l'ourlet de sa blouse froissée par la proximité de ton corps contre le sien, et recules, pas plus chaleureux mais moins menaçant.

Bien.

Tu t'écartes comme un chien enragé qu'on aurait bien dressé. Sage, tu te postes non loin d'elle pour surveiller. Au cas où elle se laisse aller à la folie de le convoquer de nouveau. Dans le silence, tu admires la manière particulière qu'elle a de danser solennellement avec la mort. Sûrement que tu aurais choisi Perséphone ou Hadès si tu avais eu le choix de ton ascendance divine. Arès te convient très bien aussi - à lui seul il a rempli les champs de châtiment d'âmes tombées au combat.

Si cela me convenait, oui. Mais pour l'instant, je n'y verrais aucun intérêt.

Tu n'exclues pas la possibilité qu'un idiot t'y pousse un jour. Tu es cerné par les abrutis à longueur de temps.

Sauf elle.
Elle, elle te comprend.

Haha ! Toujours aussi bizarre celle-là.

Et en la raillant, tu masques les battements de ton palpitant.

Hm. Disons que j'ai récupéré la place que je méritais.

Mais la question était : que veux-tu ?
Et tu te censures, Cecil, peu enclin à t'hasarder en répondant bêtement : toi ; même si tout le monde (et surtout les morts) ici le sait.

Je veux resserrer les rangs chez les Arès. J'hésite à défier Seraph en duel, aussi. Tu serais triste si je t'envoyais son cadavre ?

Tu ne sais pas comment le prendre, ni comment l'appréhender. Tu sens ton coeur tambouriner et ça, tu es certain de ne pas apprécier. La vulnérabilité doit rester enfermée derrière les vices. Le fait qu'il n'existe pas plus belle flatterie à tes yeux que d'exprimer le souhait de te revoir en vie. Sinistra te donne envie d'être soudainement violent, d'exprimer tout l'attachement malsain que tu lui portes et de lui témoigner de l'excitation qu'elle te fait ressentir. Tu te sens honteux, Cecil, d'être à ce point esclave de tes bas instincts.

Tu te tournes dos à elle pour lui cacher et te râcles la gorge. Tu chasses les pensées obscènes la compromettant dans des positions indécentes. Si seulement tu pouvais lui dire...

Sinistra, je vais pas crever, hein.

Tu dégaines ton épée et viens la déposer délicatement sur la table d'autopsie, non loin du cadavre.

Ne la touche pas. Elle est imbibée de poison.

Tu fronces les sourcils en repensant au fait qu'elle a mentionné Seraph - mais manques surtout de t'étrangler quand elle te demande de tuer Ellair.

C'est mon seul véritable allié. Je serais idiot de m'en séparer. Ce n'est pas toi qui viendra à sa place me soutenir chez les Arès.

Tu la jauges d'un regard inquisiteur.

Merci.

Ça t'arrache la bouche. Tu ne veux pas qu'elle te recouse, tu ne veux pas te déchirer - tu veux qu'elle te caresse, et que ton corps préserve ce qui lui reste de beauté.

Sinistra ?

Attends qu'elle te prête attention.

Est-ce que je suis à ton goût ?

D'autres sont peut-être morts mais c'était des ignares incapables de reconnaitre leurs torts ! Tu n'es pas assez fou pour laisser quiconque te toucher ; faudrait déjà qu'ils arrivent à t'approcher. Mais même si l'avertissement de Sinistra ne fait pas sens pour toi, il n'empêche que ça te touche, au fond, qu'elle s'inquiète pour toi. Elle est un peu bizarre et il n'est pas aisé pour le commun des mortels de comprendre ce diamant brut... toi tu la comprends. Toi tu la vois telle qu'elle est vraiment. Tu aimes autant la mort que tu aimes Sinistra.

D'accord. Je les tuerais pour toi, alors ! Haha je viendrai t'apporter leurs cadavres frais et on les disséquera ensemble !

Et tu oses.
Tu oses lui demander.
((Ce qu'elle pense de toi))

Oh.

Tu la laisses s'approcher, quoique tu recules d'un pas, farouche. Tu sens tes oreilles s'échauffer et tes joues rougir. Ce n'est pas digne de toi, d'être épris à ce point là !

Merci, je le porterai.

Tu l'enfermes dans ton poings, ouvres finalement la main et observes la petite grenade briller d'un rouge carmin dans ta paume. Tu l'attaches autour de ton cou et le dissimule sous tes vêtements. Nul n'a besoin de voir ça. C'est votre secret à tous les deux.

Tu es très belle.

Tu détournes le regard, faillible.

Tu aimes les femmes qui entretiennent le mystère - tu t'ennuierais assurément avec quelqu'un dont tu connais déjà tous les secrets. Sinistra était parfaite en ce sens ; elle était bizarre mais charmante ; soignée d'apparence mais son esprit revêtait un désordre abrutissant ; elle était belle mais pas trop ; intelligente mais pas trop ; elle était surtout amoureuse de la mort - et rien n'aurait pu davantage te happer.

((car de sang constamment tu te parais))

Je le pense. Et toi ?

Comme si tu attendais qu'elle te retourne le compliment. Peut-être que le tien n'était au final pas si désintéressé. Tu veux qu'elle te flatte, tu veux qu'elle se plie aux conventions sociales étudiées.

J'ose espérer.

Comme tu n'as pas ce que tu veux, tu imposes de la distance. Elle est cruelle et immature, comme toi. Comme ce meurtre sanglant et cette place que tu convoitais tant.

Hm ?

Tu lui tournes le dos, la regardes par dessus ton épaule.
Les morts n'ont jamais eu beaucoup d'importance.

Si ton ambassadeur n'a pas la tête dure ; il ne devrait rien lui arriver.

Tu serres le poing, puis avales l'écart qui te sépare de ton épée. Tu la ranges à ta ceinture.

Je pourrais être ta famille si tu le souhaitais.

Tu pourrais la haïr, cette sale menteuse. Elle ose te abuser de ta confiance, en plein dans ton visage, jouer les flagorneuses parce qu'elle sait que ça marche - et ça marche. Voilà que tu t'empourpres subtilement, le rose aux joues et fronces les sourcils d'être aussi facilement vulnérables. Elle te compare aux fleurs de Perséphone ; tu joues des épaules.

Je te retourne le compliment. Toutes les pivoines de Nausikaa auront flétri avant que tu ne te fanes, Sinistra.

À peine l'épée caresse l'intérieur de son fourreau que Belle s'invite dans ton espace et l'engloutit d'un baiser sur la joue. Un Homme aurait pu se sentir infantilisé par une douceur déconvenue et presque immature ; tu es pour ta part encore plus floué par des émotions contraires qui cognent en ton sein comme un cataclysme.

Fais donc cela.

Il y a un monde où elle t'appartiendra.

Hm ?

Tu la regardes par-dessus ton épaule lorsqu'elle t'interpelle. La menteuse a d'autres desseins pour toi : une vérité déjà tracée. Tes yeux se font ronds un instant avant de se plisser. Tu ourles un sourire, ayant du mal à dissimuler ton impatience et la curiosité qui te donnerait envie de lui hurler dessus.

Dis-le, dis le maintenant !

D'accord. Tu me le diras la semaine prochaine.

Ça ne sera pas le premier secret que vous partagerez. Un dernier regard vers le cadavre. Qu'il aille bien se faire foutre celui-là. Bon voyage dans le terrier !