Dans l’infini reproduction des rues ordonnées, tu marchais. Ton pas frappait régulièrement le pavé et tes éclats de voix éclataient parmi les hautes fenêtres, pigeons surpris de retrouver dans leurs nids la rigueur d’une femme née des aigles. Voici une journée dont les contours s’étiolaient déjà dans ton esprit gravure exacte de ce quotidien que tu avais acclamé être le tien.

Dans ton sillage, des têtes remplies de tes préceptes brandissaient armes et respect à ta cause, tu patrouillais Divine, voici un bien ennuyeux rôle mais un que tu ne laissais guère autrui prendre. Car dans la régularité de ta présence, dans ce soleil dont tu étais la première à goûter les formes sur ta peau, tu te sentais puissante.

Ta puissance n’était source d’aucun débat désormais, loin de toi était les souvenirs de l’enfant revêche pliée aux ordres d’une vieille folle l’ayant enfanté. Mais au loin, la vieillesse ennemie traçait son reflet avec la même assurance que les hommes te regardaient pour une faveur.

Un salut de ta main pour les Aimables, ton visage demeurait fixé vers la source du mouvement perçu au lointain. La poussière se soulevait sous ses foulées, le visage tordu et balafrée de ta main et tu n’esquissais qu’un soupir.

Pour ceux à tes pieds, tes fidèles miliciens, cela pouvait être qu’un soupir de lassitude. Tu les dispersais d’un mouvement de main et d’une parole aimable, un regard lourd et ils disparurent dans les ruelles matrices d’un chaos potentiel.

Mais ce souffle ne portait guère fatigue mais qu’une anticipation.
Car dans le visage destructuré, tes yeux ont vu la rage.
Guerrero.

A ta hauteur, il se braque et s’arrête, bruyant ensemble que les Moires ont décidés de nommer Homme.

Tu le toises, un doigt lustrant la dent de Némée suspendu à ton cou :

-Guerrero, un plaisir.

En penses-tu un mot ?

-Vilaine cicatrice que voilà, les enfants d’Apollon auraient dû te fournir de l’ambroisie pour te guérir plus hâtivement.

En penses-tu un mot ? Toi dont le corps luisait par les cicatrices des morts et des monstres.


 

Tu te fendis d’un rire ni mauvais ni bon,cela n’était qu’un constat froid de l’homme qu’elle avait gravé dans la chair de l’enfant affronté.  Il s’étirait face à toi dans la droiture de ceux désirant remplir leur coupe dans la rivière du pogrom, le sang coulait le long de ses babines tu le voyais.

Il n’offrait à tes mots d’une affaibilité terne qu’un désintêret profond, rendu évident par l’éclat de son regard. Il se présentait désormais comme une bète face à toi et ce potentiel te fit frémir d’anticipation, les années de sagesse disparaissaient bien vite face à ce monde avec lequel tu renouais.

Cicatrices comme carte d’un monde dessiné sur le corps d’autrui, ce sont des tatouages dont le prix ne se compose guère des pièces trébuchantes mais de la fierté ou de la honte. Alors tes dents jaillièrent, perçant derrière tes lèvres alourdies, comme un rappel à l’hiérachie naturelle que son sang bouillant prenait le plaisir d’oublier.

- Je n’ai pas de fierté à t’avoir marqué, je prends juste mon plaisir à éduquer. Montre moi l’autre, voir si elle çi tu la traites avec les égards dûs.

Son côté persifleur ne te fit qu’un effet glacé, l’ennui dansait dans une valse sans grâce avec la curiosité car tu savais.

Divine.

L’odeur qu’il émanait était celui d’un guerrier sur le point de sauter, ne désirait-il pas te trancher la gorge ou t’attaquer, te faire payer ? Tu en ris une seconde fois avec la fierté accumulée par des années traversées. L’épée qu’il tirait vers ton torse ne te fit pas ciller, tes yeux figés dans ceux brûlants de Guerrero. De ton doigt, tu appuyais la pointe de la lame contre ta chair. Cela saignait avant de s’arrêter comme si ton corps entier comprenait qu’il n’était guère temps de jouer à la chose biologique.

Ta voix tonnait, foudre sur terre pour toucher l’enfant de la Chance.

-Alvaro Guerrero enfant de Niké, ne te rends tu pas compte de l’outrage fait ? Tu me déranges dans ma mission pour la cité, tu pointes une arme contre la cheffe des miliciens, tu ignores la bienséance et les moeurs pour un désir dont ton égoisme a estimé supérieur à ma volonté.

Un sourire trop rare s’esquissait sur tes lèvres, l’audace avait un goût dont tu appréciais bien trop les nuances.

-Si tu veux une autre cicatrice sur ton corps, suis-moi. Je refuse de repandre le sang sur ces dalles.

Le dos tournée, l’épée cliquant à ta hanche, tu essuyais le sang de ton doigt bien vulgairement sur un pan de ton pantalon de cuir noirci par l’usage.

 

Le ravage ne supportait point l’outrage d’être ainsi considéré comme sage, comme une raison bien convenable pour avoir été abattu avec la légéreté de ces femmes poudrés et frémissantes des maisons de Berlin. Tu ne lui faisais pas l’affront de présenter à son front plissé et marqué l’image d’une farouche vierge, tu avais passé les âges et désormais, sa colère ne se parait que de l’étrange goût d’être provoqué dans son arène.

Il avait échoué à vaincre dans les murs que son orgueil brandissant a marqué comme sien!
Il avait échoué à se prouver égal à Toi! Flamboyance crevée d’une misèreuse aux seins affaissée elle promettait comme Guerrero, cette vieille gitane, de relever les cartes d’un destin en mouvement.

Tu admirais peu l’humain, rejetais le divin avec le fanatisme de ceux trop touchés par leur intervention et voyais dans la volonté, la détermination, la férocité des hommes l’unique trace du sang d’Ouranos dans leurs veines. Alors quand il fulmininait à tes pieds, Alvaro Guerrero, de toute cette volonté de puissance

Elle frémissait!
Haletante!

Qu’il s’esaya encore une fois à te faire plier, vent d’un triomphe qu’elle a dompté au prix de sa chair et de son existence. Ses mots vantards, ses mots criards, ses mots vrais de Guerrero t’appaiait brûlant sur la surface de ton épiderme. Certaines vertues acquises par la vieillesse gloire voudraient rétorquer à l’enfant que tu ne souhaitais pas te battre, que tu n’avais guère le goût à ce débordement de puissance.

Toi! Maîtresse de la meute de tes chiens!
Toi! Hissée par tes propres poings par dessus l’enfer d’être Personne.

Mais cela serait mentir. Et ton sourire carnassier ne prononçait aucune gajédale.

Dans cette ruelle où leurs seules volontés luisaient les murs, il s’apposait à sa volonté, bondissait comme cette hyène affamée. Tu pouvais le mater ici et maintenant, tordre le coup de la chienne pour offrir à ses pattes le goût de la soumission. Mais tu n’étais pas ainsi.

A la chair marqué par ta main, à ce regard abreuvé par ta propre importance, tu offris ton corps tendu. Prête à frapper, prête à vaincre.

Admire Guerrero!
Le Rubicon se fend à nos pieds, révélant sous ses flots boueux, les cadavres de tout ceux ayant osé souiller ses eaux légendaires. Mais au nom de la guerre, de ce progrès du sang et des os brisés, Tu allais frapper.

-L’audace ne sourit qu’à ceux pouvant l’assumer, GUERRERO.

Ton pied se logeait dans la panse de l’homme, forte de ta grandeur, puissance de ta frappe, tu appuyais. Le corps poupée volait et ton épée tirée dont la manche collée à ton torse fonçait dans le même temps vers sa cible.

Tu souhaitais face à la guerre des positions, la faveur du Blitz. Victoire rayonnante, puissante, impériale.

Mais était-ce ta fierté cruelle qui te fit manquer l’estoque ? Son corps tiré par l’ode dansait subitement et l’acte reprenait désormais.

Cette victoire devrait être arraché, et tu le savais Divine de Guisé.

 

L’apostrophe du monde se déchaînait sur ta face, oh combien de tourments et de tempêtes avais tu subi sans jamais défaillir. Enfant du régisseur des étoiles, toi déshéritée de ton juste royaume, tu affrontais les bruissements du monde avec l’audace de ceux n’ayant jamais été défait de cette volonté désastre.

Alors que ton épée tomba, que les chants de son bronze céleste gémirent dans l’oreille d’une entité compatissante, traître morceau d’ingénérie humaine. Tu ne fus qu’un instant perplexe, défaite quand à cette main que tu ne pensais guère tant âgée. Mais Guerrero sentit le doute, hurlait ces phrases comme pour pavaner cet honneur blessé guerrier et de son poing, il l’abattit au fin fond de ta matière.

Le souffle, las compagnon, s’étiola. Accusant le coup, les oreilles entonnant à grands choeurs les chants des épées tombées, de cette fierté affaissée comme ce corps dont tu paraissais brusquement voir les reliefs d’un oeil détaché.

Mais!
Mais!
Mais!

A travers la peine et ses linceuils, tu crachais un son. Proche du rire, n’était qu’un braillement d’un souffle manquant. Il t’amusait.

Prince d’un empire dévasté, elle reconnaissait enfin la fierté de son triomphe insolent.

-MONTRE LA MOI, GUERRERO.

Il brûlait, tu le sentais. Ce potentiel ingrat que tu avais entrevu ces premiers soirs à l’arène des tombés, ce potentiel dissimulé par cet égo dont le fondement était sincère mais dont la matière pourrissait au toucher.

Qu’il te montre! Qu’il brûle ! Qu’il s’étiole ! Qu’il s’effondre sur lui même tout condescendant de sa propre indolence ! Que de ces cendres et de cette masse d’interdits, la vacuité débordante d’un guerrier naisse!

Tapie, tu fis un seul saut. Agilité acquise par une naissance réfutée, tu repris place dans le ring de vos délicieuses morts. De ta hauteur, tu assénais un coup de ton coude dans la tempe.

Tempe, gardienne des mystères de la vie mais fragilité coupable des hommes. Le crâne paraissait à tous comme cette forteresse impénétrable sauf que ses plus hauts murs étaient les plus fins.

-Tu as choisi le mauvais terrain où me défier.

Car là où les bêtes pensaient rayonner, Divine dominait. Le combat des corps sans aucun artifice était ce pourquoi elle était faite.


 

Alvaro n’était guère un phoenix, Alvaro ne prenait essor ni dans les cendres tiédis du foyer ni dans les flammes de sa destruction irrévocable, Alvaro n’était qu’un homme. La simplicité de l’être humain ne brillait guère comme l’or, mais elle se luisait par l’usage.

A chaque défaite,
à chaque Baiser de Thanatos,
à chaque désirs démultipliés,
à chaque chute,

un choix doit être fait. Un choix de demeurer allongé, étouffé dans sa propre médiocrité ou de s’élever pour menacer les Moires elles-même de couper le fils. Clotho tire, Atropos file, Lachésis coupe mais il est si laid de s’étouffer dans ces banalités. Tu, en chutant, en perdant l’empire tassé sous ses pieds, en laissant l’instant bref distraire ses pensées de guerrières, venais d'apprivoiser la mortalité d’Alvaro. Sur son corps, sur ce visage brisé par ta propre force, tu vis les errances de ton passé.

Il s’égosillait encore, vaine tentative de maîtriser la situation par sa parole mais nul irre n’enflait en tes côtes. C’était plutôt la curiosité renouvelée dont la forme guidait tes yeux cramoisis sur les traits de ce visage, ce sang n’attirait guère ton attention. Divine n’était pas un requin. Divine n’était pas ce prédateur condamné à un ballet incessant pour rester en vie. Divine n’était plus un requin.

-Non, nous ne sommes pas égaux.

Car cela était la vérité la plus pure. Mais une vérité que tu nuançais en te détachant de lui,hissant ta divine carcasse vers l’Hélios en les cieux. Ta chevelure noyait Alvaro, et tu n’accordais qu’un intêret diffus à ce fait. Il t’avait provoqué, il t’avait eu. Ton intêret pour sa fragilité, sa violence, cette évolution, cette apothéose cachée dans la débilité de son sang d’enfant de Deucalion.

-Pas encore.

Et ta main attrapait son avant bras, le hissant à sa hauteur, soutenant encore une fois son poids le long de tes hanches élargies. Le futur n’attendait jamais le coin ensoleillé des conditions idéales. Il fallait franchir et arracher les potentiels croisements de leurs fils des mains de l’égoiste Atropos. Ton esprit était fait, ta détermination toute simple prenait l’aspect de la destinée.

-Suis-moi Guerrero. Tout guerrier que tu sois, les lois ne sont pas faites pour être ignorées.

Thémis bénirait tes actions, Divine de Guisé. Car tu avais trouvé en Guerrero au délà d’un descendant de sang, un héritier d’esprit.