il lui semble inviter le monde et sinon la ville entière à siéger au salon : New York la jolie convive, avec ses moteurs ses klaxons, sa respiration dioxyde et tous ses soupirs crasses - venez, entrez, comme chez vous prenez place - via la fenêtre ouverte leur offre grand les bras au fond. il a l’un d’eux tout balant, échoué sur un accoudoir. la totalité de son corps même est vautrée lâchement, car il repose sans posture au creux de la méridienne. son séjour, béant, possède la vue sur l’avenue : du septième étage parait se goinfrer des vacarmes, étouffés en hauteur : avalés néanmoins. le son de la circulation, le brouhaha des passants. il entend, et ne cherche pas à chasser. juste à passer le temps ; aussi s’occuper son esprit. il est quinze heures, peut-être seize. il a toujours ses habits de nuit. ne fait pas un seul geste.

morose, Lazare.
ça lui ressemble peu - il sait - se prélasse dans son morne.
au-dessus lui, le plafonnier cristal est éteint mais l’éclaire quand bien même, chacun de ses faux-diamants capturant un reflet soleil. il pleut des fragments de lumière, partout. partout l’appartement fait penser à ceux de Paris - paisibles milieu d’aprèm’ - de son mobilier chiné à ses agencements atypiques : ses moulures sont menteuses mais font très charmantes à ses murs, qui montent assez haut par ailleurs et tous parés d’un papier, peint, coquet dans les tons verts imprimé fleurs de lys. les boiseries foncées d’un verni luisent à la façon des anciennes, jusqu’au plancher vermoulu l’on dirait que l’endroit remonte : rappelle un vieux Montmartre à la belle époque des bohèmes. ainsi, son morne s’y marie comme il faut, il pense, et s’y prélasser est admis. s’il fallait choisir un décor à quelconque poète maudit, en l’état aujourd’hui, son living-room irait.

il n’a de toute manière pas envie d’y toucher, ni à l’ambiance ni au bazar. recevoir qui que ce soit, Lazare ne veut pas non plus. il a déjà New York pour lui tenir compagnie - lui combler son silence - sa rumeur citadine suffisamment distrayante. à choisir, il préfère, à n’importe qui d’autre puisque n’importe qui d’autre lui dirait la vérité vraie : morose, Lazare, ça te ressemble si peu ; qu’est-ce qui te prend dis-moi ? qui te tourmente ? est-ce Maria, est-ce ton Ange ? si ce n’est ta fratrie, ton chagrin - le sang de ton prochain éclaboussant quelque part, qui sait - qui sait toutes les horreurs qui s’orchestrent au lointain ? il n’a pas envie d’y toucher, ni même d’y songer une seconde - comme à l’ambiance, comme au bazar - ne veut y recevoir personne.

malgré ça, quelqu’un sonne.
à l’interphone d’abord - carillonne atrocement - le tire des léthargies fait qu’il se lève à demi. une fraction de minute il hésite à jouer le mort, l’absent trop occupé - dehors, qui s’amuse on-ne-sait-où parmi l’on-ne-sait-jamais-qui - et puis, finalement il s’anime. c’est presque se traîner ce qu’il fait pour atteindre l’entrée, et lorsqu’il y décroche sa voix résonne endormie. c’est qui ? tu dis c’est moi comme si c’était évident, toi, pile en bas de l’immeuble, Sasha ? … tu m’as pas dit que tu passais - ou j’ai zappé, mais je crois pas - enfin… je t’ouvre, monte. tu connais le chemin je t’apprends rien. septième étage, vue sur l’avenue ; sur ce qu’il t’accorde l’accès, coupe court.
tu verras au palier : la porte entrebâillée exprès,
à l’identique signifie : New York et toi désormais
venez, entrez, comme chez vous prenez place ;

ah, et, faites comme moi voulez-vous ?
ignorez le désordre.

la bienvenue alors,
à vous - à toi, surtout - le seuil tout juste franchi Lazare y vient te l’offrir, fidèle à lui-même c’est-à-dire sans relever l’allure : il se fiche, tu sais bien, de la façon dont tu tranches : chez lui le cadre agréable, toujours, aujourd’hui quasi-capharnaüm mais qu’importe ; tes portraits seront accueillis, quoi qu’il arrive sois en sûr. en témoigne là maintenant qu’il t’étreint à l’entrée - comme on ferait les fleurs, livrées à domicile - ses bras refermés sur toi t’enserrent léger trois secondes. à ton épaule il te dit, c’est pas un temple ici, tu sais, tu peux t’amener sans offrandes - sincère et scindé d’un sourire - mais merci. trois secondes ; à quatre il te relâche, s’écarte, que tu fasses comme chez toi.

ton corps et tes achats tu les déposes où tu veux, de son côté lui se charge de parachever l’asile - referme la porte, puis débarrasse - désencombre les espaces qui pourraient être utiles. de sur la table basse il enlève le plus superflu, les verres vides les bouquins, aussi l’éther qui traînait. croise ton regard à l’instant - s’étonne un peu des espoirs - depuis quand les tiens s’inquiètent de lui causer l’embarras ? c’est déjà arrivé ? que tu me déranges, c’est possible même ? indolent, il se marre. t’en fais pas trop pour ça, va. sous-entendu ne t’en fais pas trop, va - pour moi si ce n’est pour nous - il s’écarte, s’éclipse, provisoirement en cuisine histoire d’y planquer la vaisselle. hors de vos vues, un minimum, son bordel du moment.
de là-bas qu’il t’entend lui confier le timing, de là-bas qu’il répond, dans deux heures ! t’es mignon. c’est rare que tu squattes aussi peu - deux heures, tu vas repartir frustré. en deux heures, on refait à peine un bout de monde.

enfin, ça ne fait rien. la mine très impassible il repasse tranquille au salon - jette un cil aux fenêtres, ajourées toutes entières - toi ça te dérange pas ? qu’ici soit ouvert à la ville, à ses airs et ses anges, si t’as froid tu me dis. tout ce qui te plaît tu as le droit de lui dire ; tant que tu ne lui dis pas qu’ici parait aller mal.

il s’assoit, en tailleur et miroir, sur l’un des petits fauteuils exactement face à toi - entre vous la tablée - se penche pour déballer l’oblation de fortune. dans un bruit de papier froissé Lazare dispose ta commande, tous les gobelets à ton nom mais il voit lequel est à qui : vous connaît très par cœur. en fait, ça tombe bien que tu sois là. il ne boit pas encore, laisse son mocha refroidir - se sert, plutôt, parmi les poisons gentils - la cigarette qu’il pioche au fond d’une boîte en argent n’est pas blanche mais vert empire, son filtre dans les tons ocres liseré d’un doré. assortie à ses yeux lorsqu’il la porte à sa bouche. mais donc, t’avoir sous ces dits-yeux tombait bien parce qu’avant ça, il t’avoue, je m’ennuyais à mort, Sasha. la flamme du briquet lui fabrique une lueur espiègle à l’iris, presqu’une artificielle. le temps d’embraser le tabac, il se tait, toise ses doigts. se cale au creux des assises après avoir inspiré - si t’en veux tu te sers. et soupire un nuage. il te dévisage, flegme - en cela vous trahit - vous aurez beau vous tisser des voiles brodés de silence, vous faites en vain : une œillade est assez pour passer à travers : droit dans l’âme, ça ne va pas.

ainsi c’est un moment où il fait bon de s’alanguir, d’autant plus à présent qu’il te le sait tolérable : son moment sans-souci, défait de ceux des hommes, absolument distinct de tous les moments du monde car ici, à ce moment précis, le reste du monde n’y est pas. dès lors subsiste Lazare en penseur avachi, son dos entièrement accordé au soutien des assises, les rumeurs de sa tête livrées à l’appui du fauteuil tandis que ses yeux s’en vont, indolents au plafond. dessus vous planait un air sans importance, sans gravité vraiment et soi-disant léger - pareil à vos cœurs, ces jolis hypocrites - senteur de la nicotine et du café au lait. il y avait des lectures attendant ça et là : deux trois livres à la table basse, une centaine d’autres aux étagères - à vos visages, aussi, tant ils se révélaient flagrants, odieusement déchiffrables - mais personne ne lisait, ni rien ni personne, surtout lui ne te lisait pas tout comme tu ne lisais pas lui. on s’oubliait, juste, comme on fait les ouvrages dont on soupçonne le chapitre : final, probablement terrible, inexistant du moins tout le temps qu’on s’en moque.

vous auriez pu, tu vois, vous en moquer longtemps - bien plus longtemps qu’un moment - peut-être même pour toujours si tu ne l’avais pas ouvert : ta bouche à l’instant, en cela l’omerta puisqu’elle brisait le silence et sa loi du non-dit ;
ta question, tout de suite, résonne quasi-comme un glas
fait tomber de son ciel le regard absent de Lazare - présent soudain, posé sur toi - et lui ne prononce pas un mot, se feint d’abord d’un sourire, immense, presqu’un beau de railleur, quoi ? si moi j’ai un truc à te dire ? son rictus, empiré, manque de frôler le rire - il se marre pratiquement - je te fais des cachoteries, tu crois ? c’est vrai que c’est mon style. n’est qu’à demi-menteur ;

il se redresse en une furia brève - comme si l’hilarité lui avait filé un coup de jus - électrisé, remis droit, se penche après cela pour cendrer nonchalant. tapote une fois le filtre, le reporte à ses lèvres. au fond, se fabrique un bâillon - éphémère, qui part vite en fumée - j’en sais trop rien moi, Sasha. tu veux m’entendre te dire un truc ? genre quoi ? une bonne nouvelle ? un aléa ? peut-être une mise au parfum - lequel alors ? il y a celui de la ville, polluée tu connais, celui de la ruelle grise au creux des nuits citadines - celui des plaies de Lazare, triplement au poitrail, sanguinolentes et poisseuses - des crasses, tu voudrais ? qu’il t’en livre une poignée ; seulement, Sasha, s’il te confie les récentes sache que tes mains seront sales.
alors, lequel - il décide à ta place - ne t’en choisit aucun, aucun véritable, au lieu de ça t'en invente, tu veux que je te dise : putain tu sais pas la dernière ? j’ai un paypig là, ça va faire deux semaines qu’il me paye - le type est multi-millionnaire - mec, je me fais rincer comme jamais ! ponctué d’une risette affleurant la ricanerie, encore. il plaisante tu te doutes - quand même il précise - c’est faux. se calme sa mine amusée tout en prenant son gobelet - plus afin d’occuper ses doigts que pour y boire in fine - est-ce qu’il t’a diverti ? suffisamment distrait ? est-ce que son spectacle est assez pour vous ravoir insouciant - vous re-voiler la face - pas sûr, il ajoute histoire de, toi, t’as un truc à me dire ? hausse un peu les épaules, comme s’il était bel et bien l’ignorant du séjour ; (tu n’as qu’à me dire un truc, toi - peu importe le truc - et moi je verrai selon si je te réponds sincère).

toi d’abord, comme on fait l'éclaireur - et tu sais à quel point certains peuvent serrer le cœur - quand bien même tout l’amour, toute l'amitié précieuse ; toi d’abord ! à la manière laide des carriers à la mine, qui encagent un oiseau chaque fois qu’ils creusent la terre : pour prédire l’explosion, se sauver si possible ; souvent, d’ailleurs, ils ne prenaient pas le temps d’emporter la volière avec, et les canaris crevaient oubliés aux charbonnières.
alors, toi d’abord ;
malgré tout, c’est promis, Lazare ne s’enfuira pas :
quoi que tu dises toi d’abord il te suivra, toujours ;
si tu cours à ta perte elle deviendra la vôtre.

il te le promet tellement qu’il se sent alcyone, quasi-serein à l’idée de te voir passer le premier et ce qu’importe où tu mènes : la preuve à son visage dépourvu de froissement. tu l’accuses gentiment et lui ne récuse pas, te sourit juste ça, ton insulte accueillie - casse-couille quand il s’y met seulement, tu le connais : ses mots sont comme des lames sinon des boucliers, son unique armature car il n’attaque pas, Lazare, ne tire jamais le sang. il n’a rien des serpents - n’est pas un si sournois - rien de plus qu’un garçon qui sait manier les masques.

ainsi c’est toi, d’abord qui lui parles
tandis qu’il te contemple sans un air à ses traits - à part peut-être - peut-être un soupçon d’assombri au creux de son œil vert, comme une gemme brillant au soleil et puis trahie d’un nuage. tu parles, et les termes dissonent. Yeon, en danger, dans une même phrase - qui plus est une signée de toi puisque de ta faute tu penses - mal ponctuée, tout en suspens… trois secondes écoulées après les trois petits points, (pensais-tu trois fois entretemps, Sasha ?) tes prunelles sont allées ramper comme les bêtes lorsqu’elles sont coupables, et Lazare te fixe impavide sans saisir d’où te vient le tort - s’étrangle aussi le sien - (ton regard, il lui rappelle son regard croisé dedans les miroirs : parfois il le fait tomber, pareil que toi maintenant, parce qu’il lui rappelle le sien reflété par les iris d’Ange) ;

il y en a qui passe ici :
tout le long du silence.

simili-calme, Lazare s’affale à nouveau le dos offert au fauteuil. ne te quitte pas des yeux. il prie, un peu, que les tiens se relèvent. vous les ressent comme un fil reliant vos deux âmes - se confier désormais revient à jouer les funambules - regarde-moi Sasha auquel cas nous risquons la chute. il inspire, et son souffle vacille, qu’est-ce qui te fait croire ça ? tu te crois responsable, c’est donc que tu es un acteur - littéralement, c’est-à-dire, celui qui commet les actes - dans ce cas qu’est-ce que t’as fait ? toi d’abord, et ensuite moi je te dirai ce que j’ai commis il me semble - pas grand chose, quelque part, enfin sûrement tout comme toi - je ne sais pas, je suppose. t’as rencontré quelqu’un ?
la question très mondaine, elle peut signifier tant ;
elle peut signifier, quelqu’un d’autre ? si ce n’est
pas grand chose, quelque part
voire quelque chose au fond ;
au fond il sait, tu sais ?

tu ne le sais pas encore, voilà tout.

je sais. je sais.
avant même de te voir rentrouvrir la bouche, au fond de moi je sais : tu ne l’as porté nulle part, Sasha, surtout pas à celle d’un.e autre. tes souffles me le prouvent, à soudain te manquer - tu n’es donc pas allé dérober les siens à quelqu’un - aussi tes couleurs délavées peu à peu : tu cacherais des Amours, tu les aurais aux joues, rouges, tout comme les mains sont tachées lorsqu’on arrache une vie. et ton cœur - oh ton cœur ! l’on en revient aux oiseaux, les canaris des mines : tes côtes rendues un nichoir où ça s’agite frénétique, presqu’une hystérie folle qui bat dedans ta cage d’os - moi je sais - je l’entends, moi, ton vacarme endocarde.

silence - on dirait - c’en est un tapageur
que tu brises en te confiant seulement les bruits sont terribles - ton cœur, Sasha, ton cœur - ça frappe tellement aux barreaux que Lazare te discerne à peine. ça ne fait rien vraiment, il savait in fine. ça ne fait que lui confirmer la redoute pressentie difforme. tu lui parles de parfum, et il a la nausée - n’affiche pas la grimace mais ses tripes se tordent - elle, sent quoi déjà ? il l’a très oublié, ne s’en souvient même plus, s’imagine qu’elle sentait l’enfance et les toutes premières fleurs, aussi les chrysanthèmes puisqu’il en faut sur une tombe. Lyra, maintenant, sent vaguement la terre, comme un air de cimetière ; peu importe après tout car personne ne l’inspire, et ce depuis des lustres. personne si ce n’est l’Hydre. sur toi, elle-

il croit qu’il va cracher ses viscères, entièrement, cille
pour fixer la fenêtre, arrête, arrête-toi là
ça craint, j’ai capté. j’en sais trop.

il inspire, et ici sent chez lui mais ici sent Lyra, sans qu’il ne se l’explique, ici sent les sols meubles et le bois taillé des cercueils, le formol et les plaies, cette odeur du sordide. il crève discret de te dire allons-nous en d’ici, sur-le-champ ça vaut mieux - s’empêche, ravale la fumée - les poisons aux poumons recouvrent l’arôme de mort. il tend au cendrier, ne te regarde pas. ses effrois invisibles transparaissent au bout de ses doigts, fébriles tenant le filtre. c’était quand ? les secrets, Sasha, couvés combien de temps ? il conscientise alors, t’aurais pu y rester. tu te rends compte ? t’aurais pu y rester et toi, premier truc qui t’inquiète c’est qui tu sentais sur le moment ? putain mais Sasha- sifflé, nerveux - pianote la cigarette, s'éparpille la poussière - relève les yeux vers toi, pense à ta gueule un peu ! ça t’arrive pas des fois ?? tu te fais un sang d’encre pour les sangs adorés, tous les sangs sauf le tien ; à raison mais quand même ! tu le mets en colère - c’est injuste il le sait - il t’aime, tu sais, pour cela qu’il s’énerve. également pour cela qu’il se fait des violences, se force une accalmie : fume encore et puis pousse un soupir longuissime - vacillant - tu l’as pas dit à Yeon… il y a que moi qui le sais ? il ne t’en voudra pas si tu l’admets seul complice, veut uniquement savoir - quitte à lui dire, autant dire tout - ah et, au cas où tu ne sais pas il tient à te rappeler, comme t’as dit, t’as rien fait, prononcé par tes soins ça sonnait comme un blâme, rectifié de sa part c’est un murmure tendre, tu n’as rien fait de mal. ponctué d’une œillade, signifie : je te sais.
tu t’accables toi-même, facilement et souvent.
mais arrête ça, aussi.
à la place, raconte-moi. meilleur, tout en détail.
c’était quand ? et où ? raconte-moi comme il faut.

à quoi bon revenir sur ton côté martyr ? tu le portes à ta peau tant que te prier la trêve reviendrait à souhaiter, Sasha, écorche-toi tu veux ; pas le genre de Lazare d’ordonner la réforme, surtout la sanguinolente. malgré ça il n’est pas non plus de ceux qui reprochent à d’autres - à Vega par exemple il ne se permettrait jamais - qu’elle ait pu se servir des mots comme d’une arme blanche, tu vois, il ne peut pas tancer : d’ailleurs il te le déclare sans hésitation aucune, tu sais comment elle est. mon adelphe à moitié mais aussi mon inverse, parfois ; souvent lorsqu’il est question d’accuser le sororicide.

il se fait taire alors, et t’incarne l’audience - odieusement silencieuse tandis que tu redessines - les sentiers tortueux, la rencontre vilaine : l’irruption monstrueuse en milieu de soirée. dégoûtant il lui semble qu’on te l’ait pollué, ta nuit parmi les nuits, ta sortie très mondaine, humaine simplissime mais c’est ce qui lui parait sain ; que l’horreur ait osé la souiller, paisible, lui soulève le cœur. la couleuvre de Lerne elle s’est invitée sans avis, t’est venue se vanter d’avoir mangé comme une reine, pire, de s’être fait un festin de tes Amours de jeunesse : Lyra, délicieuse presque ; là, lui, s’interdit de te voir.
quand bien même tu te coupes : le terme lui reste en éclat logé au creux de sa gorge. il aura beau fumer, il porte l’amer aux joues.

compris, oui.
tellement qu’il ne parle pas - pas encore - laisse s’écouler un temps, liquide quasi-poisseux, ressenti melliflue. ne demeure que la rue pour combler le motus, son vrombissement lointain comme un écho de ressac. la city - l’océan - et dedans des requins. une trentaine de secondes, peut-être, avant qu’il réponde enfin, quelqu’un de raisonnable te dirait : casse-toi de New York, emmène Yeon avec. annoncé si soudain comme on fait les sentences - pas la sienne, tu te doutes - quelqu’un de raisonnable pour ne pas dire un malhonnête, qui révère les cieux et qui ne respecte pas les hommes, qui t’aime mais d’une foi mauvaise, te dirait, va-t’en vivre exilé jusqu’à la fin de tes jours - sur Nausikaa, il t’arrivera rien - quelqu’un qui n’est pas lui te dirait cela justement, et puisqu’il ne le pense pas Lazare se feint d’une risette, acerbe, le regard bas et blasé, tss...

plutôt crever que t’offrir le conseil - cruel il trouvait - de l’exode infini ; il vous voyait sacrés mais tout autant païens : ainsi, se priver de la terre pour se cantonner à des temples est une idée sensée mais qu’il abhorre, et méprisera toujours.

... t’as vu à quoi il ressemblait - tu le reconnaitrais dans la foule, qu’il reprend d’un ton sobre tout en posant sa boisson. dessus la table basse, il achève la cigüe en l’éteignant au cendar, s’en sert une flambant-neuve dont il se rhabille la bouche - allumée illico, légèrement fiévreux - ça de fait il lâche le briquet, un peu brusque, quelle crevure. tu t’imagines ? toi aussi : l’Hydre libre comme l’air, baladant débonnaire ; cette image le débecte, visible, si claire à son esprit qu’elle le froisse jusqu’à sa surface ;
dessous celle-ci Lazare cogite
à toute vitesse à tout prix - un instant
et puis après délibération - il te toise,
d’un œil incontestable te prononce son verdict :
il faut que d’autres le sachent, et même,
qu’on soit un maximum à savoir.
on va te dire que t’as été inconscient, ou putain de chanceux, que tu devrais t’estimer heureux de t’en être sorti mais que tu ferais donc mieux de rester sage, voire d’aller te planquer mais tu t’en tapes, Sasha ; quoi qu’on te dise tu dois t’en foutre, et le dire, il se redresse et d’un mouvement du bras, preste, te désigne l’au-loin, les confins familiers au-delà sa fenêtre - tu sais lesquels - vas-y Sasha !
va leur dire, aux autres là-bas bien lotis sur leur île,
aux Olympiens, aux chef.fes de fratries, à tout le Panthéon même tu vas leur dire, parce que tu sais quoi ? au fond peu importe que tu leur dises ou non, s’il arrive quelque chose à quelqu’un, si l’Hydre revient s’en prendre à toi ou à tes proches ou à un demi-dieu lambda ça change rien, tu sais ;
ce sera la faute aux Divins. et pas la tienne.
très froidement furieux, non pas contre toi mais elles.eux : les semi-pères et mères ; à cause d’elles.eux les sangs rongés, vos sangs mauvais, tous ces sangs qui teintaient, teintent et teinteront à nouveau les crocs voraces des chimères - bientôt, qui sait - pas vous, mais ce que vous saviez déjà suffit amplement et qui sait ; qui sait si les démiurges ne vous inventeront pas le crime.

et toi, Sasha, as-tu compris tout comme lui ?
il n’y a pas le choix. il faut que tu leur dises.
sinon, tout sera de ta faute - pour de faux -
c'est ça le plus abject.

il a pensé
c’est trop tard
à peine avait-il vu ton regard ramper au plancher, s’évader à la vue - sur l’avenue - comme pour s’y défenestrer ; d’ailleurs s’était-il étoilé d’une figure ébahie, une fraction de seconde, l’air d’avoir assisté la chute pour de vrai dès maintenant. tu dis, c’est compliqué, lui étales ton cœur à la suite façon d’une gouache éprise mais c’est trop tard Sasha, et tu le dis toi-même. tu peins des portraits de famille dont il n’est même plus tant question - largement transcendés - te cantonnes à ton cadre mais ton dilemme en déborde. surtout, tu te trompes, car au fond tout est simple : si tu dénonces les monstres tu seras témoin des procès, tandis qu’en cédant au silence tu joueras le rôle du complice.
et tu hésites, un instant minuscule, te dérobes c’est flagrant
pour cela : c’est trop tard, peut-être, ressenti viscéral ;

il l’a pensé tellement fort qu’il en ressort étourdi, s’est tout juste imprimé tes mots à son esprit trouble - tes prénoms préférés, ton grief infaillible - ça l’afflige de t’aimer et d’ainsi te savoir autant, te connaître à tel point qu’il pressent d’avance ton choix : Sasha confiant ne dit pas je verrai comment ; c’est trop tard. confirmé.

et bientôt tu t’en vas, déjà ? souligné d’une risette quasiment résolue ; (quelque part en-dedans il crève d’envie de nier, se retient tous les gestes qui pourraient te sauver : il voudrait te prier : reste là, ne bouge pas, aussi fais-moi la promesse de passer vraiment aux aveux, et sinon moi j’irai, à ta place je le jure)
le supplice étouffé se tapit au creux de son ventre.

... en tout cas. tu verras, oui.

comme s’il n’avait rien pensé et même comme si l’on ne s’était rien confié, Lazare se redresse, la posture dénuée de mal ne semblant porter aucun poids, aucun plomb - tous les nœuds désormais internés aux entrailles - je vais t’appeler un Uber, va. qu’est-ce qu’il peut bien faire d’autre ? à présent qu’il est tard - trop - son portable déniché il s’y plonge pour y commander, une voiture, en fait la moindre des choses et comme ça, tu peux trainer sans pression. et ton cours t’y seras à l’heure.
le reste, tu sais, ne dépend que de toi.