Exister sur le côté, soupçonner sans savoir ce qu'il en est. Ainsi se résumaient pour lui les dernières heures, qui s'étaient étirées au point de lentement se muer en journées, et qu'il avait subies avec une langueur préoccupée. Quelque chose s'était passé, il le savait, quelque chose d'important – quelque chose de grave, même. Il en connaissait les composantes les plus basiques, comme la quasi totalité des îliens désormais, mais c'est l'après qui l'interrogeait. Quelle décision prendraient les dix-neuf ambassadeurs, qui s'étaient murés dans l'enceinte de l'Ecclésia avec l'Aigle de Caucase arraché aux cieux ? Quel serait le choix de cette faction qui était depuis peu la sienne, et dont il se sentait malgré tout à l'écart dans sa crainte de ne pas être à la hauteur ?

À l'aube de ce samedi huit avril, ses prières semblent avoir été entendues : une convocation expresse pour l'Ecclésia lui parvient. Un·e membre des olympiens se présente sur le pas de sa porte afin de l'escorter jusqu'à l'assemblée. Il remercie sa malvoyance, et le bandeau noir noué sur ses yeux, de le préserver des regards des ambassadeurs, qui doivent de leur côté percevoir sa nervosité, bien qu'il s'efforce de la dissimuler. La personne qui l'a accompagné lui adresse quelques mots à voix basse afin de lui désigner un siège, sur lequel il s'installe avec des mouvements raides. Laissant sa canne blanche reposer à portée de main contre l'assise, il tâtonne du bout des doigts contre la surface de la table placée devant lui jusqu'à parvenir à trouver la tasse de thé qu'on lui a indiquée. Il la porte à ses lèvres, sirotant doucement sa boisson non sans concentration face au récit qu'on lui fait du conseil des ambassadeurs qui vient de s'achever.

C'est alors qu'on le questionne – qu'on lui demande s'il a été frappé d'une vision qui aurait un lien avec cette situation. S'il s'y attendait ! La sollicitation est comme directement perçue par son don de prophétie, qui se manifeste sans attendre. Son souffle se fait court devant l'assaut des images qui assaillent son esprit. Il se courbe vers l'avant, une main agrippant le bord de la table, l'autre reposant violemment la tasse de tisane contre sa sous-tasse avec tant de précipitation que la porcelaine se fendille. Alors, sans quitter cette posture qui pourrait presque témoigner d'une souffrance passagère, sa voix s'élève dans l'immense pièce, forte et claire :

Vers l'ouest vous vous empresserez d'aller,
Dans la direction du traitre qui a déjà fauté.
Guidés par des éternels seconds dans votre quête,
Ils échoueront à quelques lieux seulement de la fête.
À l'énigme posée, la réponse sera dormir ou mourir,
Même les glorieux vainqueurs devront se repentir.

Un silence abasourdi accueille ses mots. On entend seulement sa respiration qui retrouve rapidement un rythme normal, maintenant que l'influence de son pouvoir l'a quitté. Ses membres se départissent de la raideur qui les avait envahis, lui permettant de lâcher à la fois la table et sa tasse brisée, mais surtout de se redresser pleinement sur son siège. Il cligne des yeux sous son bandeau, médusé par ce qui vient de se produire.

Par son entremise, l'avenir a accepté de se révéler. Que chacun exerce ses choix en conséquence.