Réunion qui se termine, le Lion prend la fuite, quitte le bâtiment pour rejoindre son appartement minable. Sophia ne manque pas cette opportunité offerte par le destin, suivant d'un pas discret et léger son collègue. Son regard est braqué sur lui, camarade monstrueux dont la complexité la fascine, elle doit l'admettre.

Le chaos régnant dans la demeure d'Oliver lui arrache un frisson de désarroi, alors qu'il la remarque enfin. Retirant sa capuche, elle ôte cette longue cape qu'elle pend à un porte-manteau en lui offrant une révérence élégante et courtoise.

- Oliver, mon cher Lion. Parole narquoise, il en va de soit.

Bien qu'il ne l'invite pas à rentrer - trop rustre ou méfiant à juste titre, Sophia commet l'affront de franchir elle-même le seuil. Le Sphinx avance de quelques pas, avant de répondre à son Lion.

- Ton honneur ? Ou ton Humanité, je ne sais plus... Est-ce qu'un Monstre comme toi et moi peut rêver d'appartenir au monde des mortels ?

Elle lui tourne le dos, observant les toiles d'Oliver d'un oeil intrigué.

- Magnifique, tu es doué dans ce domaine, je dois l'admettre. Tourne la tête en sa direction, l'air froide. Tu peux te détendre, je ne vais pas te tirer les cheveux ici.  

Haussement de sourcil face aux réponses sans convictions du Lion, Sophia observe encore les peintures et les toiles. Le Sphinx s'est toujours montrée friande des oeuvres d'arts, ayant même connue certains des artistes les plus brillants de leurs époques. Cela lui rappelle cette lointaine période où elle parcourait le monde avec une curiosité qu'elle comblait à chaque instant, se nourrissant de la chair des pauvres âmes sur son chemin funeste.

Plus rien ne l'a fait se sentir vivante, si ce n'est l'espoir de voir l'Olympe tomber et tourner une nouvelle page de l'Histoire. Elle n'est pas fidèle au Lotus, pas plus qu'aux autres racailles qui en sont membres. Oliver a su capter son attention, le tourmenter à cause de questions ouvertes et parfois trop personnelles l'amuse.

- Tu peux faire autre chose que fuir en rêvant, je suppose. Si je n'abuse, je dirai que tu as peur et que tu ne sais pas ce que tu fais là. Qu'elle lui dit, avant d'enfin daigner le regarder dans les yeux.

Elle croise ses mains dans le dos, s'avancent lentement vers le Lion, le regard braqué droit sur lui. Pourtant, elle ne paraît pas menaçante - après tout, Oliver pourrait la réduire en pièces sans grand effort.

- Je viens seulement parler un peu avec mon collègue, est-ce si mal ? Les mortels apprécient ces moments intimes, tu sais.

Sophia lui tapote doucement l'épaule avant de se poser sur le bureau, croisant les jambes élégamment.

- Alors, parles moi. Je suis curieuse d'entendre tes aventures trépidantes, Oliver.  

Mener une existence paisible, loin du danger et des complots fomenter par l'Hydre et le reste de leur comparses ? Oliver a un travail, une passion qui ne l'a jamais quitter semble-t-il, il est plus humain que monstre assoifé de sang... Et cela passionnne le Sphinx, être qui ne vit que pour la curiosité et le savoir. Elle ne demande rien, Sophia, elle observe et apprend.

Le même schéma pendant des millénaires, cherchant vainement à tout comprendre et contrôler. L'information est une source de pouvoir pour certains courtisans, à ses yeux, elle est une ressource vitale. Sans connaissance, elle ne serait qu'une bête monstrueuse et abrutie par la violence - comme son collègue Minotaure.

Elle n'a cependant aucune véritable loyauté pour les projets du Lotus, elle n'est là que par curiosité, une dernière occasion de renverser l'ordre établit et voir de nouveaux scénarios se dérouler sous ses yeux attentifs. Alors, elle l'écoute, le brave Lion.

- Tu es un être bien étrange pour notre peuple, Oliver. Dit-elle, sans méchanceté ni hostilité particulière.

La remarque du Lion lui arrache un bref rictus, soupirant légèrement.

- Allons, mon cher. Tu devrais savoir que l'ennui est mon adversaire de toujours, l'ombre qui me poursuit jour et nuit.

Ses mains gantés glissent le long du bureau, le regard fixé sur son camarade.

- En un sens, je pense te comprendre. Tu es las, tout comme moi, de cette vie insipide et méprisable que nous menons. Je n'ai que faire de dévorer des mortels, je préfère me nourir de savoir. Et vois-tu, je ne trouve pas d'autres raisons de vivre. Mon unique but est de connaître toutes choses, chose que je sais bien impossible. Ironique, non ?

Un nouveau sourire sans émotion se dessine sur ses lèvres.

- C'est pour ça que je suis là, Oliver. Tu aimes ce monde, n'est-ce pas ? Tu as l'air d'avoir trouvé ta place parmi les humains, de t'épanouir comme tu ne l'a jamais été parmi nos rangs. Apprend moi, Oliver.  

Les paroles du Lion l'a rassure plus que de raison, bien que cela soit purement logique. Effectivement, son refus de mener un mode de vie bestial, à consommer uniquement de la chair humaine l'a rapproche d'Oliver. Elle ne souhaite pas finir comme Ashe, Lucius ou Duke. Ce serait son pire cauchemar, être un animal dénué de bon sens ou de raisonnement.

Alors, elle se redresse légèrement, la curiosité reprenant le dessus, elle veut en savoir plus.

- Tu as sans doute raison, Lion. Nous sommes peut-être plus proches que je ne l'aurai imaginé à notre première rencontre. Et malgré son air neutre, sa voix paraît s'adoucir.

Quittant le confort du bureau de l'artiste, elle vient le rejoindre, se positionnant face à lui, près (trop pour la bienséance) pour l'analyser sous un nouvel angle. Qu'il est étrange, ce Lion. Courageux et lâche, fort et faible, déterminé et couard... L'Humanité ne s'est-elle pas construite sur des paradoxes après tout ?

- Sa véritable nature...? Elle répond, pensive. Pourtant, tu n'es pas comme les autres monstres. Tu m'as dit que mon refus de me comporter en prédateur nous rapprochait et je pense que tu as raison. Cependant, ne vois-tu pas qu'en adaptant un mode de vie de mortel, tu reprend l'identité des humains ? Tu es né monstre, il est vrai, cela ne veux pas dire que tu dois l'être toute ta vie.

Et en voulant le rassurer, elle vient poser délicatement sa main contre la joue du Lion.

- Monstre ou humain... Le choix te revient, Oliver. Ne les laisse pas décider pour toi, sois ton propre maître.

Sans s'en rendre compte, elle ne déloge pas sa main. Au contraire, elle maintient le contact.

- C'est étrangement plaisant de t'appeler Oliver et non Lion, qu'en penses-tu ? 

Est-ce que Sophia est un nom qui lui plaît ? Elle, née sans prénom, seulement un titre monstrueux. Un héritage de ses parents, une mission confiée par la main divine, une cité à terrorisée jusqu'à la rencontre fatidique et ensuite : l'oubli. Ah, elle a errée bien des années parmi les Hommes.

Le Sphinx s'est déguisée en humain, à apprit rapidement les us et les coutumes pour mieux se fondre dans la masse. Le Sphinx n'avait pas d'identité autre que celle d'être repoussant et de nuire aux sang-mêlés, comme ses compères du Lotus. Sophia n'est qu'un mensonge, construit pour servir ses intérêts.

Et pourtant, elle apprécie quand Oliver l'appelle ainsi.

- Je n'irai pas jusqu'à sourire mais.. J'apprécie quand tu m'appelles ainsi, Oliver.

Ah ! Est-ce un début de rictus sur son visage ?

Le contact visuel maintenu, elle caresse doucement la joue de son camarade, avec une étrange bienveillance.

- Pourquoi tu restes au Lotus, Oliver ? Personnellement je suis curieuse de voir où ce groupe va nous mener, mais si Echidna nous abandonne encore, je quitterai le navire avant qu'il ne coule. Tu devrais en faire de même, tu ne dois rien à ces ignares. 

Hésitation dans la voix d'Oliver, le Sphinx l'entend bien, décrypte toute ses émotions contradictoires avec le discours qu'il tient. Cependant, la voilà elle-même surprise lorsque sa main rencontre le contact de celle de son comparse. Un léger frisson parcours son corps alors qu'elle maintient toujours le contact visuel.

- Tu essaies de me convaincre ou de te convaincre toi-même en disant cela, Oli' ? Première fois qu'elle lui donne un surnom, c'est étrange mais les Humains ont tendance à en faire de même.

La survie lui importe peu de son côté, elle ne connaît que la curiosité et la lasssitude des siècles écoulés. Elle ne peut prétendre réellement connaître la mort, elle, créature qui renaît de ses cendres après chaque fin de vie. Elle ne craint pas le châtiment de ses collègues monstres, en voulant détruire l'Olympe, ils se sont fait son miroir déformé.

Elle reste par passivité et pour satisfaire ce mince espoir en elle : de découvrir un nouvel ordre.

- Tu parles de survivre, pourtant en restant avec eux, tu te tues à petit feu, Oli'.  Crois-moi ou non, je n'aime pas voir ce joli visage attristé par le poids des choix qui lui sont imposés contre sa volonté. 

- Je crois qu'il y a toujours quelque chose à sauver chez chacun, même dans les cas les plus désespérés. Regarde Ashe, il s'avère plus malin quand il veut parvenir à ses fins. Cependant, la plupart du temps, ce n'est qu'une brute stupide et impulsive.

Elle se veut réconfortante, tente de le comprendre et de le rassurer à sa manière. Il est bien étrange pour elle d'être là pour lui, de se montrer réceptive à sa peine et ses douleurs. Bien qu'elle soit dénuée de remords concernant ses crimes, elle trouve en Oliver une sensibilité qui la déconcerte, qui l'intrigue et la fascine.

Sophia ne recule pas, trouvant la présence proche (trop proche qu'à l'accoutumée) de son camarade agréable.

- Tu as un joli visage, Oli. Je ne dis pas ça pour t'honorer, je n'aime pas te mentir.

Délicatemment, elle serre la main d'Oliver contre la sienne, caressant avec douceur sa paume.

- Tu m'as toujours intéressée, Oli. Je n'avais tout simplement pas compris pourquoi avant, tu es...Différent. Tu es mieux qu'eux, tu es humain.

Il reste un monstre derrière ce visage, elle reste le Sphinx derrière cette apparence humaine.  Est-ce vain d'espérer changer la destinée ? Est-ce de l'hubris de défier la nature même de leurs êtres ? Eux, qui furent les instruments de terreurs, les adversaires des nobles héros. La question peut se poser : ont-ils seulement le droit d'exiger une autre fin ? Ont-ils le droit de renverser l'ordre établi ?

Sophia a vu des tyrans être jugés, elle a vu les peuples brisés les chaînes et conquérir leur propres libertés. Oui, elle sait bien que rien ne reste fixé pour l'éternité. Le concept même de l'éternité est risible à ses yeux, ce qui peut paraître contradictoire.

Elle est immortelle, certes, revenant sans cesse. Pourtant, peut-elle prétendre être la même personne que le jour de sa naissance ? Bien sûr que non ! Elle a appris et il lui reste tant à découvrir, la curiosité comme qualité et comme défaut.

La lassitude comme compagnon après des siècles d'errance entre les différents continents, à voir la barbarie des Hommes, la sagesse des savants et la folie des réactionnaires fantasmant sur un passé imaginaire.

- Merci... Elle répond, presque timidement à ce compliment inattendu.

Elle écoute encore les doutes de son camarade, son autre main se posant sur son épaule, tentant de le détendre.

- Qui a dit que la monstruosité était synonyme de laideur, Oli ? Un mince rictus lui apparaît. Tu n'es pas heureux avec le Lotus, n'est-ce pas ? Peut-être que ton bonheur réside ailleurs, après tout... Tu peux être monstre et humain. C'est ta destinée, Oli. Ne laisse personne la guider à ta place, pas même moi ou Echidna. Un lion se moque des opinions d'un mouton. Oliver doit se moquer des opinions de la meute de loups autour de lui.