combien d'heures, de jours, de mois, d'années, que tu étais là,
affamée, assoiffée, grognant, salivant comme un animal en cage face à cette Brume ?
combien de temps ?
depuis que tu as posé les pieds à New York aux États-Unis, s'étaient écoulés trois ans.
trois ans pour découvrir cette ville, trois ans pour prendre l'accent, pour paraître une des leurs,
un loup déguisé en agneau.

et le loup s'éveille la nuit pour chasser, attend dans l'ombre que sa proie soit endormie, affaiblie, sans crainte.
l'odeur ennivrante du sang semi-divin te rendait folle à t'en manger les doigts, mais tu attends, attends, attends de longues heures avant qu'une odeur solitaire ne se fasse plus distincte — un demi-dieu est sorti de la Brume !
ta patience a porté ses fruits !
tu aurais pu crier de joie, mais tu ne pouvais pas laisser ta proie s'enfuir si vite ! et malgré ta faim, tu étais d'humeur à jouer un peu.

cachée derrière les arbres, il semblerait que tu ne respires même plus. tu suis le jeune demi-dieu sur quelques mètres, faisant craquer sous tes pieds quelques branches exprès — tu veux que son angoisse monte, monte ! — avant de grimper en hauteur dans le feuillage dense d'un arbre pour lui souffler petit ~ ta voix était mielleuse, mais peut-être était-ce la faim, la folie ou l'écho de la forêt qui la rendait plus grave il est dangereux de sortir seul la nuit... qui sait ce qui tu pourrais croiser en chemin...

tourmenter une âme si jeune avant de la dévorer,
cela t'avait manqué.

il est pressé — quelqu'un l'attendait ?
quel désastre ça sera s'il n'arrivait pas au lieu de rendez-vous ! que de peine, que de pleurs !
tu imaginais déjà le carnage que tu allais faire de son petit corps.
tu imaginais déjà le visage qui l'attendait aux yeux rougis, aux joues mouillées et salées de larmes, au cœur brisé, vidé.

tu ne pouvais être plus extatique.

pitié, laissez moi... qu'il te répond, et tu ne peux que rire !
qu'il est mignon,
naïf,
à croquer.

tu sautes du haut de l'arbre, prenant ta forme monstrueuse mi-lion mi-chèvre,
un saut,
deux,
trois — tu es derrière lui, ta respiration lourde effleurant sa nuque.
quatre — tu sautes plus haut pour passer au-dessus de lui.
durant le saut, tu avais repris forme humaine pour ainsi atterrir sur tes deux pieds devant lui. sous cette forme, tu étais grande et fine, vêtue dans les tons sombres — pantalon taille basse, crop-top sous une veste et baskets —, cheveux noirs et longs qui t'arrivaient au milieu du dos et avec une frange qui tombait devant tes yeux. bonsoir petit ~ tu as l'air pressé... promis je ne te retiens pas longtemps ~ un grand sourire aux lèvres. tu t'avances de quelques pas vers Ethel, la voix plus ferme, les dents serrées, tu n'imagines pas combien de temps je t'ai attendu... toi, un.e autre, n'importe tant qu'iel avait du sang semi-divin, tu poses une main — soudainement lourde — sur son épaule et l'autre vient attraper son menton pour le tourner vers toi tu me dois bien cinq minutes de ton temps... toujours le sourire aux lèvres.

quand on a vécu autant que toi, on savait reconnaître les faux airs de confiance. il essayait de faire le grand, de te menacer, de te faire peur — mais tu ne sentais personne venir — alors qu'il panique, il panique et toi, tu t'en régales !
les enfants n'ont aucun sang froid, c'est ça que tu préférais chez eux — tu n'as encore rien fait qu'il s'était déjà pris à ton jeu !
quoi que détruire un adulte au sang froid avait quelque chose de très satisfaisant aussi.

son madame t'arrache un long rire oohh que tu es mignon à m'appeler ainsi ! tu aurais préféré le mademoiselle qu'on t'adresse plus souvent. mais malgré la politesse et le sourire imperturbable aux lèvres, ta main passe de son menton à ses joues, que tu serres plus fort, plantant tes longs ongles dans sa peau sans la faire saigner. mais je crois que tu ne m'as pas compris ~ la voix encore mielleuse, puis plus grave, plus rauque tu vas me donnez cinq minutes, tu vas même me donner tout le temps qu'il te reste sur cette Terre. c'est la moindre des choses qu'il te devait en tant qu'enfant semi-divin.

d'un geste rapide, la main sur ses joues passe sur son épaule et l'autre passe sur sa tête, la pencheant sur le côté pour t'offrir son cou. aussi rapide, tu te glisses dans l'intention de le mordre à la jugulaire, d'arracher ainsi un bon morceau de viande mais, à peine tu poses les lèvres sur sa chair parfumée, tu t'arrêtes, laissant seulement une légère trace de rouge à lèvre. quoi que... tu commences, chuchoté doucement à son oreille et te redresses pour lui refaire face, posant la main sur sa tête à nouveau sur son épaule si tu me dis les noms des enfants de Poséidon que je peux trouver dans New York, je te laisserai partir. mais ne t'avises pas de me mentir ! mais toi, tu en as le droit.

tu adores qu’on te regarde, admiratif, apeuré, comme une icône religieuse,
tu adores qu’on te prie, qu’on te supplie, genoux à terre.
mais tu répondais à ces prières et supplications après une longue attente pénible.
surtout quand on implorait ta pitié.

sshhh… une main vient couvrir sa bouche, tu l’avais à peine mordu alors pourquoi criait-il ainsi ? le creux de sa gorge avait plus de trace de ton rouge à lèvre que de son sang — quelques perles seulement estompé par sa main et sur le coin de ta lèvre.
et malgré cette délicatesse, ton regard reste figé dans le sien derrière ta longue frange. tu te nourris de ses mots — plus maigre pitance que la peur qui ouvrait grand ses yeux et faisait frissonner son corps —  ah oui ? tu réponds curieuse je n’aurai jamais cru vu le personnage. lui et Zeus adoraient coucher à droite à gauche après tout, alors tu t’attendais à ce que ce maudit Poséidon ait une vaste progéniture pour te rassasier… bon tant pis, tu te contenteras d’autres rejetons.
et tu aurais pu en finir là avec lui,
s’il s’était tu.
une de tes mains vient à nouveau serrer ses joues, si fort qu’on croirait que tu lui casserais la mâchoire, l’expression sombre tu me prends pour une idiote à ton jeune âge ? il ose te prendre pour une idiote !? bien sûr que je sais ce que c’est ! ceux qui se mettent inutilement en travers de votre chemin à vous les monstres, ceux qui ont plus de courage que les autres, ceux qui vous amuse et font votre festin — maigre ou généreux. puis à nouveau, tu lui lances un grand sourire, passant une main dans ses cheveux mais ton espoir est vain, personne ne viendra te chercher…

surtout maintenant qu’il ne peut plus bouger, son corps devenu si lourd,
qu’il ne peut plus crier, sa voix éteinte à la racine,
qu’il ne peut que regarder ton grand sourire vorace s’approcher de sa chair.

tu ne sentais rien ni personne autour de vous, et tu voulais que cela reste ainsi. donc tu lui couvrais la bouche puis le paralysais car tu voulais jouer, tuer, manger dans la paix la plus absolue avant que le Soleil ne découvre les horreurs que tu avais commises.

il est devant toi en belle statue apeurée de laquelle tu t’approches pour mordre dans sa chaire fraiche. tu clignes des yeux il est encore devant toi mais tes mains ne touchaient plus son corps et derrière lui tu voyais les lumières de la ville au lieu des ténèbres du chemin de forêt. ha… tu rigoles, impressionnée tout de même par ce petit tour de magie inattendue. mais tu ne le laisseras pas partir aussi facilement. tu tends déjà tes longs doigts ornées d’ongles semblant des griffes vers lui, l’attrapant plus fermement, enfonçant tes ongles dans ses épaules.

à nouveau entre tes mains, tu allais à nouveau le paralyser mais tu entends un couteau siffler en tranchant l’air. tu l’esquives de justesse - la lame passant dans ta longue chevelure -  entraînant ta proie dans ton mouvement.
personne ne devait le blesser.
personne sauf toi.
tu souris tu es bien plus précieux que je ne le pensais… et savoir que tu avais presque entre tes griffes une progéniture aimée, te donnait encore plus faim. mais ce couteau t'avait empêché d’appliquer entièrement ton pouvoir sur Ethel, donc, il n’en gardera qu’une sensation d’engourdissement dans le corps pour quelques minutes. tu le balances par terre de côté pour qu’il ne gêne pas à ton combat contre ce traqueur sors de là, qu’on joue un peu ! grand sourire aux lèvres.

le traqueur sortit de l’ombre se jette sur toi et tu ripostes avec force mais avec beaucoup de joie aussi — il y avait longtemps que tu ne t’étais pas battu contre quelqu’un d’expérimenté. les griffes et les couteaux luisants se couvrent bientôt de rouge, les poings aussi. mais cette danse effrénée te heurte plus que ton ennemi qui te maîtrise en quelques tours de force.

te voilà alors au sol, ensanglantée ne pouvant poursuivre tes proies. tu essayes de te débattre avant qu’un long cri guttural ne quitte ta gorge. un cri qui se mêlera au houlement du vent plus les demi-dieux s’éloigneront de toi.

il était à toi et on te l’avait volé !
tu te détestes, tu les détestes.
comment tu feras pour affronter Maman maintenant qu’ils t’ont couvert de honte ?

agenouillée, tu prends ta tête dans tes mains, tire sur tes cheveux en lançant un regard furieux vers l’île des demi-dieux — tu te vengeras.
une fois qu’il sortira de Nausikaa tu le traqueras.
et s’il n’en sort pas ?
le jour où les monstres rentreront dans Nausikaa tu le dévoreras.