le jour était déjà vieux et, comme nous, commençait à se couvrir d'ombres. il n'y avait rien pour m'accompagner : les oiseaux dormaient dans mon arbre, et la lumière hypnotisait les insectes, et mes collègues étaient chez elleux, et le ressac des vagues était si faible ici qu'on l'entendait à peine essayer de s'accrocher à la terre. non, il n'y avait rien, jusqu'à ce qu'il y ait toi.
toi, tu sais, je n'en pensais pas grand chose. j'espère que tu pardonnera mon tord ; comment est-ce que j'aurais pu savoir ? il y a tant d'humain.es, et si peu comme toi tu l'es, et aujourd'hui je pense des mots qui plus tard, seront probablement des mensonges, mais c'est que je te vois et à chaque fois je pense : elle s'en ira. c'est pour ça qu'on danse ainsi, don. c'est pour ça que je ne sais plus si j'aime le chaud ou le froid, le sucré ou le salé, toi ou ton absence. ah ! c'est que tu es encore jeune, mais je sais que jeune ça ne veut pas dire grand chose pour ces autres-là. et alors, je continue de me dire : elle s'en ira. elle s'en est déjà allée une fois. elle recommencera un jour. et peut-être qu'elle ne reviendra pas.
mais, pour le moment, tu n'en as pas le droit. et, alors, peut-être que ça me rassure. peut-être que j'ai envie de poser ma tête sur ton épaule et de l'y laisser aussi longtemps qu'il le faut pour qu'on s'endorme, et peut-être que je glisserais mes doigts entre les tiens, et le lendemain je verrai dans la couronne de mon frêne des feuilles toutes vertes, jeunes, pleine de vie. celle qui me quitte parfois, mais pas avec toi.
et si je savais ! si je savais qu'il nous resterait quelques années, ou alors à peine plus que ça, aurais-je agis différemment ? non. bien sûr que non. j'aurais repris toutes les secondes que tu m'avais donné, et je les aurais gardées là où tu n'ira jamais chercher, pour ne pas t'encombrer de tout cela -je sais que tu ne veux pas sortir, mais je me demande tout de même ce que tu aurais fait si j'avais tourné la clé dans la serrure.
j'avais menti. le vent m'accompagnait. de son souffle, il rendait mes traits flous, et les tiens difficiles à lire. ce n'est pas grave. je n'en avais pas besoin. le rituel était toujours le même et l'invisibilité de ta moue rendrait peut-être la tâche plus facile. don. le soleil ne réchauffait pas mon dos malgré sa présence. la porte était un pochoir qui nous enveloppait, qui interdisait qu'on ne marche là où le noir s'accumulait. non, don. pas hier, pas aujourd'hui. probablement pas demain non plus. je ne sais que dire d'autre, coincée entre l'amie, la gardienne, et le reste de ce qu'il y a entre nous. je ne te laisserai pas partir, parce que c'est ainsi. parce que ni mon cerveau ni mon cœur n'en a le droit.
et pourtant, je savais. je savais toutes les souffrances de ce choix-là. c'était pour ça que tu venais quand même, n'est-ce pas ? pour ma droiture, mon égoïsme, et ma sagesse du deuil. pour ne plus être si seule.

quelle compagnie pouvais-je bien lui donner ? je n'ai derrière moi que des restes de gens que j'oublie, que je confonds. même celleux que j'ai aimé plus que quiconque, et plus que ça encore, il n'en reste que des objets poussiéreux, des chansons aux rythmes rayés, des histoires qui n'ont pas l'air vraies tant elles semblaient heureuses.
ce n'est pas que je me crois incapable d'accéder au bonheur. parfois, il revient. mais plus autant qu'avant. il doit être fatigué de m'avoir tant visitée.
et je pourrais dire que ce n'est pas grave. je crois même que ça ne serait pas grave, vraiment, si seulement j'avais de quoi m'en souvenir. si seulement je pouvais y penser, un sourire sur les lèvres, soulagée d'avoir vécu ce qu'il fallait avec celleux que j'ai croisé ; ah, si seulement je pouvais penser : quel chance d'avoir vécu à leurs époques !
mais de ma mémoire il ne reste rien, et des bonheurs à peine plus ; les absences ne me rendent pas tristes mais c'est bien là le problème, puisque je ne sais plus quoi faire de moi face au reste.
face à toi. toi, qui reviendra peut-être demain, et j'ai envie de te dire que ça ne servira à rien, mais tu le sais déjà, et je sais que tu sais que je sais. oui, je crois qu'on en est là, dans notre silence. deux vivantes qui ne s'en voulait pas de l'être, mais qui se demandaient souvent pourquoi. c'est différent, don. nous étions pareilles, en un sens. je ne peux qu'être là où se trouve mon arbre. le frêne est gigantesque face à ma stature presque frêle, menue, et pourtant c'est bien une de ses branches qui s'incline, qui s'invite, et pourtant c'est bien un bourgeon qui se forme et qui éclot, en plein mois d'août. les humain.es ont cette liberté, et alors s'en suivent bien plus de questions auxquelles répondre. ma tête se tourne, regarde les feuilles et les pétales, violets, de la teinte de mes yeux. tu peux les cueillir si tu le veux. et si tu me le demandes, je les mettrais dans tes cheveux. il ne te manquera plus que cinq couleurs, alors, pour porter sur la tête celleux qui hantent ton cœur.
je connais bien les drames des massacres. j'en ai vécu plus d'un, jamais de loin, mais crois-moi c'est du pareil au même. dans le chaos des choses, nous n'importons que peu ; et si mes hécatombes étaient dû à des monstres (oh ! des biens différents de ce que tu crois), tu n'y peux encore moins ici. ce n'est pas un ennemi qui se tue d'une lame.
je sais bien que ce n'est pas que pour ça que tu voudrais y être. je crois savoir qu'on pense que dire au revoir, qu'être là, ça change quelque chose. peut-être. je ne sais plus trop. ça fait longtemps. oui, très longtemps. mais je sais une chose : si tu étais là-bas, tu voudrais être ici aussi. et tu as déjà choisi.

au début, il n'y a rien. il n'y a que soi. ce n'est qu'après qu'on se croit obligé.e par les autres : par la tendresse d'un.e parent.e qu'on doit accompagner alors dans ses derniers instants, comme ellui à nos premiers ; par l'amour d'un.e amant.e ancien.ne, qui, même une fois les sentiments moins forts, ou même une fois les sentiments inversés, gardent cette place étrange qui fera qu'on se doit de rendre leurs affaires ; par la tendresse d'amitiés qui réparent et pour lesquelles on se cassera aussi, pour lesquelles on dira : je ferai tout pour elleux, et en le faisant on ne le sait pas encore, mais on deviendra quelqu'un d'autre -quelqu'un avec des parent.es, des amant.es, des ami.es, et bien d'autres choses aussi. des enfant.es, peut-être. j'ai le cœur qui se serre.
en veux-tu, don ? tu es encore jeune, il est encore temps. et même plus tard, ça ira aussi.
ah, quelle question idiote. je sais très bien que tu en as déjà. c'est pour elleux que tu es là, de toutes manières. que tu es restée. je crois que je n'aime pas compter ces enfants-là (celleux pas issu de nos chaires) parce qu'iels sont faciles à réfuter, et parce que je peux alors nier que les mien.nes sont parti.es. qu'iels sont toustes mort.es. et alors, je me jurai : plus jamais (j'avais déjà failli). non. la liberté est libre. ce n'est qu'après que viennent les droits et les devoirs. ceux sur papiers ou ceux dans ta tête. moi, je n'ai rien fait pour elleux. j'ai fait ce choix-là. que serait-il advenu si je les avais sauvé.es ? iels ne savaient pas se défendre, ou alors pas assez. je ne leur voulais pas une vie de peur. c'était là mon échec de mère-qui-arrive-trop-tard : de n'avoir été là plus tôt.
la fleur a l'air d'avoir poussé entre tes doigts. c'est l'encre, probablement, qui mime les petite branches, celles aussi fines que de la porcelaine ; si tu ne bougeait plus, on aurait dit une peinture. et, alors, tu aurais pu rester pour toujours.
moi, je crois que tu ne serais pas morte. ou, du moins, je crois que ton cœur battrait encore. tristement, peut-être, mais cette subtilité ne faisait pas partie de la définition. la vérité, c'était que le monde s'en fichait.
tes mots font sens. j'ai encore des erreurs qui me grattent la gorge, et j'ai sur mes bras, mes jambes, des rappels qui restent près de mon cœur : les brûlures me marquent comme pour se moquer, et dire ah ! aurais-tu faire ainsi ?, et si je me refusais au doute, il germait bien à l'intérieur de mon tronc (là où les champignons sont les plus durs à traiter). mais ce n'est pas pareil. ce temps est révolu pour moi, et je prends le thé avec celle qui a brûlé mes non-enfant.es (celleux que j'ai élevé.es, protégé.es, navré.es, et que je trouve plus simple de nier pour ne pas ajouter à ma liste de regrets (iels y sont quand même)).
toi, tu avais le chemin devant. et, évidemment, en prenant à gauche, on regardait le tronçon de droite. le temps viendrait, et transformerait les doutes en d'autres choses. il a déjà commencé.
reste. s'il ne te fallait qu'un ordre, alors le voici. s'il ne te fallait qu'un mot, qu'une prière, qu'une envie, alors les voici. s'il ne te fallait qu'une personne, alors va voir tes enfants.
je déguise derrière ma face lisse un égoïsme grandissant. reste, don, et reviens chaque jour devant la porte, mais cette fois-ci apporte des fruits et du vin, et écris des lettres sous l'ombre du frêne, et laisse y grimper les bambins, et ajoute plein d'autres choses, remplis ton cœur jusqu'à ce qu'il déborde : ce n'est que comme ça qu'on ne pense plus à rien.
mais voilà : le tien avait un trou sans fond, et il prenait l'eau. quelle épreuve, celle que d'aimer trop.

quand viendra ton temps, don, où ira-tu ? c'est que tu ne le sais pas encore, mais plus tard, on se parlera comme on le fait ici -un peu différemment, mais si peu, si peu qu'on en retient que la patience, que les silences, et tout ce que ça dit de nous, et c'est peut-être grâce à ce je reste qui tonne, ah ! as-tu invoqué l'éclair ? il vient de toucher ma colonne vertébrale, et l'électricité se répand partout ailleurs ; don, tu aurais du me prévenir, j'en aurais eu moins mal au ventre, c'est qu'il gazouille d'un reste de peur, d'un peu de surprise aussi.
et, si tu restes, alors -ah ! c'est que j'en perds mes pensées, laisse-moi les rembobiner : restera-tu ici quand ton corps ne t'appartiendra plus ? quand tu aura rejoins les champs, et que tu verra de loin ce paternel qui ne t'a jamais rien donné de plus que la vie ? si je te le demandais, si j'osais le dire, viendrais-tu dormir à mes racines ? serais-tu d'accord pour devenir un peu de moi avec le temps ? ne t'inquiète pas. je ne suis pas égoïste : tu servira à bien d'autres choses, parce que mes feuilles elles aussi mourront un jour, ailleurs, plus loin, qu'importe où les emporte le vent ; parce que mes racines ne fonctionnent qu'avec les mycorhizes ; parce que la décomposition ne se fera pas toute seule ; parce que, oui, tu cessera enfin de prendre, et tu redonnera tous ces atomes que tu as gardé pour toi pendant tout ce temps -et moi, j'essayerais, je crois, de m'y accrocher un peu. de te conserver auprès de moi. c'est que je crois que tu me manquera, plus tard. je ne m'en souviendrai pas, mais je saurai quand même, c'est certain, ou alors -alors il faudrait que tu me donne quelque chose, n'importe quoi, et quand je le verrais je me dirai : oui, c'était quelqu'un qui m'aimait ; je me souviendrais alors des atomes à garder, et jamais vraiment on ne sera séparées.
ah ! enfin, jusqu'à ce que je m'en aille aussi. qui sait, peut-être que je mourrais avant toi, et alors qu'adviendra-t-il de tout cela ? rien, parce que tu n'as promis que de rester, et un.e humain.e ça ne reste jamais trop longtemps ; dans ce cas, j'espère qu'on pourra se rejoindre, quelque part, et qu'on saura encore se reconnaître malgré toutes les retrouvailles qu'on y fera.
oui, j'espère que tu aura encore un peu de temps pour moi. tu fais bien. je ne t'aurais pas souhaité cela. j'avais vu ce que cela faisait, que d'essayer de n'aimer qu'une seule personne dans tout le monde entier. jamais rien de bien n'en était sorti. l'humain.e est un.e animal.e grégaire. c'était un non-sens étrange que de mettre tant d'importance sur les sentiments amoureux, ceux-là même qui flétrissaient si facilement chez vous ; et en y repensant j'ai des visions d'un autre monde, d'une autre vie, où mes sœurs et moi nous vivions toutes ensemble, et où d'autres étaient invité.es parfois, et je crois que c'était là où mon cœur était en paix. voilà : c'est cela que je te souhaite, don.
et, alors, il m'est impossible de refuser ta main. comment le pourrais-je ? j'ai aux bouts des doigts des restes de ton éclair ; ils fourmillent, hésitent, s'abandonnent. c'est ta question qui requière toute mon attention, mais un bout de mon esprit reste là, emprisonné entre nos paumes qui se touchent à peine, timides d'une pudeur nouvelle. il fallait la libérer, mon âme, pour que je puisse répondre. c'est moi qui soulève le lien, qui le monte là où aucune de nous ne pourrait le nier, là, juste sous nos yeux ; et quand je l'approche de ma peau, je le transforme pour pouvoir apposer ma joue contre le creux que j'avais plié, fabriqué, de ta main. je ne peux promettre des toujours, don. mais je peux faire de mon mieux. et mon regard dit : cueille la fleur, puis se ferme.

la potentialité de l'éternité rend les choses si distantes qu'on en oublie qu'un jour, ça sera bien fini. parce que c'est là le soucis des probabilités : elles ne valent pas la réalité.
tu vois, don, mes enfants aussi étaient promis à des avenirs plus beaux que ce que tu n'imaginera jamais ; il n'y avait sur terre rien de mauvais si ce n'était eux, et leurs tâches étaient simples : vivre. à vrai dire, je ne sais pas vraiment ce qu'on attendait d'eux. ni de toi, et des autres, Humain.es ou demi-déités. moi je sais juste que quand on réalise qu'on engendre des monstres que l'on aime, on les défend quand même. on espère qu'il y a quelque chose de plus sous ce qu'on voit pourtant sans aucun détour.
mais zeus les a noyés.
et, plus tard, il t'a créée.
ne serait-ce pas de bonne guerre que de t'emmener dans la mer ? que de te prendre par la main, de rire en t'y plongeant, de regarder nos cheveux onduler ah de t'embrasser tendrement sous les vagues pour te prendre ta respiration, et te laisser sombrer là, là où moi, fille aussi de l'Océan, je peux désormais survivre -ah ! l'ironie.
ça serait si facile, et alors je pourrais moi-même te mettre à mes racines, respecter la promesse que tu viens de nous imposer. avais-tu réfléchis à ce que je souhaitais ?
non, moi je ne veux pas me venger à travers toi, je le déteste toujours autant mais je suis déjà devenue trop de bourreaux, et je crois que ma rage n'a plus le même éclat ah elle s'essouffle, et la flamme diminue -la cire s'accumule le long de la bougie, arrive-tu à en voir le chandelier ?
alors je reste dans la tendresse, et tu ne saura rien des images qui ont défilé derrière mes yeux fermés. le contact est chaud, et si sous le soleil du crépuscule se créé une rosée de peau, ce n'est pas si grave -rien ne bouge, même quand tu fais l'affront de me démontrer que tu n'as pas appris ta leçon. non, don. ne dis pas ça. regarde : tu étrangles ta liberté. je te l'avais dit ; on est libre si ce n'est des autres. je refuse ta promesse. et, dans le blizzard de cette réponse, ne se cachait pas un cœur gelé, bien au contraire ; c'était là le signe d'une certitude tranquille, qui sait que tu sera là où tu devra l'être, et si c'est à mes côtés hé bien ! j'en serai ravie, mais si un jour tu dois partir, alors, fais. je crois que je te maudirais pour que tu ne reviennes jamais, mais ça ne sera un sort fait de mensonges, et alors il se retournera contre moi, me rendra misérable quelques décennies, et tout continuera.
ah ! peut-être avais-je besoin de quelqu'un comme toi.
disons jusqu'à ce que la porte se rouvre pour toustes. ce n'est qu'équitable, non ? un pan de ta vie, un pan de la mienne. et après, après nous verrons ; regarde : la potentialité de l'éternité rend les choses si tangibles qu'on en craint qu'un jour, ça se termine.
les yeux se rouvrent.

te voyais-tu empereur, debout, dans l'ecclésia, circulaire mais avec tous les regards rivés sur toi ? qu'est-ce que cela faisait, que d'être enfant du roi, du divin, et du mélange des deux ? je ne parle pas de la haine ; je parle du pouvoir. c'est que je t'écoute, et j'entends une tendresse farouche. je sais que c'est une mauvaise qualité pour celleux à qui on en demande toujours plus.
et n'était-ce pas qui tu étais ? le visage de l'île, la sainte, la despote, et tous les entre deux, l'excuse facile, l'obstacle évident, la femme de tous les possibles. comment étais-tu, avec elleux ? ouvrais-tu ton cœur comme ici ? je n'arrivais à t'imaginer enfermée, entourée d'éclairs.
je devais être trop habituée à tes regrets, à tes certitudes dont tu ne voyais rien pourtant, à ton courage qui t'échappait aussi. je n'ai jamais rien dirigé, mais déjà ainsi j'ai peur parfois ; alors je n'ose imaginer le poids sur tes épaules -j'attendrais que tu me le confies, plutôt que d'essayer de le comprendre toute seule.
et, alors, cette promesse-là, n'était-elle pas dépendante de tes envies ? n'était-ce pas toi qui déciderait de l'ouverture de la porte, insufflant ce souffle à d'autres à travers ta voix de tonnerre et ton enthousiasme esbroufant ? ou, peut-être, les trônes resteraient mais pas les femmes ; tout cela va si vite, je me rappelle à peine le nom de taon prédécesseur.euse.
qu'importe. je venais de réaliser que mes mots étaient injustes, et qu'ils te laissent décider de la longueur de ton emprisonnement. ou, peut-être, du temps tu souhaites me laisser.
cela me faisait un peu peur.
n'est-ce pas l'inverse, don ? ne suis-je pas à l'origine de cette bêtise ? on me couvrait d'or, d'ailes d'anges, quand je ne suis que païenne, chaire du polythéisme, et que mes cheveux ne sont pas d'or -oh non ! on croit toujours qu'ils sont couleurs flammes, mais si je les essors trop fort, peut-être que du carmin en sortira. ah ! mais ne te méprends pas. si je suis la raison, je reste innocente dans tous les cas. il ne me fallait ni louanges ni anathèmes, ce ne sont que tes choix qui parlent, ceux que tu portes, et qui seront, parfois, à condamner. d'eux, il n'y restera que peu de moi ; à peine la vraie, peut-être plutôt l'idée que tu te faisais de ce que je t'ai dit. comment en être certaine ? étais-je réellement être de chair et de bois face à toi, ou aimais-tu la pensée, le songe, le concept de cette fille sans autre choix que de se laisser vivre ?
de si près, le grain de ta peau révèle ses imperfections. je vois -les cils non droits, courts, la délimitation naturelle de tes cheveux, les débuts d'encre sur le bord de ton cou, le froid du métal de tes oreilles reflété dans le gris de tes yeux. je ris à une pensée : cela manquait de couleur.
alors elle vient, la truculence, lâche ta main pour mieux glisser le long de tes épaules jusqu'à se lover dans ta nuque. mes bras étaient un piège, pensais-je, verrouillés l'un dans l'autre, et pourtant, ils protégeaient la tendresse de ta chaire. très bien. jusque là, alors, tu appartiendra surtout aux vivant-es.

et, alors même qu'on ne se dit plus rien d'autre que des mots qui ne se parlent pas (mon pouce qui caresse la naissance de ton cou, les poumons qui se gonflent presque jusqu'à se toucher, les cils qui battent un peu trop, les fronts qui ne se délient pas, la courbe de ta tête qui se penche, mes pieds en équilibre sur leurs pointes, l'épée oubliée quelque part loin de mes idées), j'entends. je ne sais pas comment, mais mes yeux y sont attirés : par les tiens, bien sûr, et j'y vois enfin ce qui t'as amenée ici, sur ce rivage d'où on ne voit pas l'océan, et contre lequel on ne peut que s'échouer tout-e seul-e. la peine. la voilà. elle ne s'échappe pas, j'en suis sûre, elle sait toujours comment rester, comment creuser là où on pensait que tout était terminé ; tu m'as laissé des mots, et je me demande combien de temps ils resteront des mots avant qu'ils ne soient sacrés, proverbes, mantra, rappels, souvenirs, sourires, oubliés.
je ne me souviens pas de mes promesses passées mais je suis certaine de les avoir brisées. c'est bien là la preuve : elles étaient si importantes, et il n'en reste rien si ce n'est la bouche qui les a parlées. la mienne, mais pas vraiment. une étrangère d'un autre temps, un fantôme dans le miroir, un livre qu'on redécouvre en même temps que les notes qu'on y a écrit nous-même.
don, don, quelle erreur. arrête, ai-je failli te dire ; arrête, blâme-moi plutôt que d'être malheureuse, mais je ne t'aime pas assez pour te faire pleurer, mais je ne m'aime pas assez pour parler. alors il ne reste que cette promesse de plus, et tout ce qu'on y accrochera jusqu'à ce que l'oubli ne vienne -parce qu'il viendra.
et, alors, si c'était très bien ainsi, il n'y avait besoin de rien d'autre. rien de plus. rien de moins non plus. alors, il fallait arrêter là, avant qu'il ne devienne plus possible de ne rien se reprocher, avant que le rocher ne commence à rouler, avant que nous ne sachions le goût de l'autre. ne plongeons pas, don.
mon front glisse, bat en retraite et se réfugie dans ton cou, là où tu ne me verra plus mais où tu sentira mon souffle saccadé, désolé, triste. très bien. à demain, alors.
j'annonce l'adieu mais ne l'acte pas, encore accrochée à ces épaules bien plus larges que les miennes, et on aurait pu croire qu'on m'avait mal entendue, ou que je m'étais trompée dans mes mots, mais après quelques instants, je me détache comme on enlève du lierre d'un tronc ; en glissant mes mains remettent ton col à sa place, droit comme il faut, et mes yeux, assortis à mes cheveux, te confrontent encore. ils disent des mots qui ne se parlent pas.
reviens dans quelques années. reviens après que les portes ne s'ouvrent. reviens quand tu aura du mal à marcher, et que tu ne voudra plus être nul part si ce n'était là, reviens quand ça sera le bon moment.
reviens quand tu n'arrivera plus à me promettre quoi que ce soit. reviens quand ça ne sera pas trop pour moi.
mon corps recule, et ma main fait un signe d'adieu.