Naissance Sa mère était si pieuse qu'elle avait épousé le Christ. Elle avait quitté le vieux pays avant la guerre, mais l'italien roulait toujours sur sa langue avec la même rondeur que dans son enfance. On l'appelait Sœur Mary, car elle avait allègrement abandonné la dernière syllabe de son prénom pour un dieu presque aussi grand que le Créateur : la sainte Amérique. Elle avait le nom de la Mère, il était donc naturel qu'elle soit visitée par le Tout-Puissant ; il lui était apparu dans un halo de lumière (c'était 1949, et Zeus avait un pacte à briser). Maria lui donne une fille, don de Dieu, qui n'a rien de christique, et se fait expulser des ordres.
Elle avait épousé, quelques mois avant l'accouchement, un homme pathétique et violent qui avait bien voulu sauver son honneur et celui de sa famille.
8 ans Son enfance suit la ligne sinueuse des Appalaches. Derrière elle, il y avait toujours la forêt, comme une présence sombre, et elle sentait mille yeux toujours scruter son dos. Elle pouvait déjà balayer de son regard juvénile le trailer park où elle avait grandi, et elle voyait au loin la caravane de sa mère qu'elle savait peuplée de crucifix et d'images de la Vierge, qui la regardaient aussi. Les après-midis moites de l'été avaient le goût des pêches et du lait, et le dimanche, il fallait aller à la messe.
11 ans Don avait toujours senti son regard glisser sur les longs cheveux des filles, et elle, elle ressemblait à un garçon. À onze ans, elle avait coupé ses cheveux avec les ciseaux de la cuisine. Les mèches brunes étaient tombées sur le carrelage dans le bruit ténu de son émancipation ; on ne l'appellerait plus Donatella. Sa mère avait pleuré devant le grotesque de sa figure en robe du dimanche, et ses cheveux en bataille qu'elle avait essayé d'arranger lui semblaient plus insolents que jamais.
13 ans (tw, maltraitance, homophobie, violence parentale) Plus tard, on la surprendrait à embrasser chastement une fille du lotissement d'à côté. Elle avait des boucles blondes et s'appelait Barbara, Don l'appelait Barb, et elles s'étaient rencontrées un dimanche à l'ombre de l'église. C'était une gentille fille catholique aux chaussettes toujours très blanches et aux sourires un peu timides (ses parents l'auraient adorée). Les rumeurs courraient toujours très vite dans la campagne du Tennessee, surtout l'été, quand l'air était lourd et qu'il n'y avait rien à faire de ses journées.
Son père l'avait frappée jusqu'à ce que son nez en saigne et que sa vision se trouble, puis au matin, elle avait découvert sa peau bleuie d'hématomes : il n'y aurait pas de ça chez lui.
14 ans (tw, meurtre) Une fois, elle avait rendu ses coups, avec une colère archaïque qui venait du creux de son ventre. Il avait ployé sous sa force titanesque et elle l'avait laissé là, à terre. Sa mère n'avait rien dit et le crime avait résonné dans un silence de cathédrale, puis son père divin l'avait revendiquée. Voilà sa progéniture qui comme lui avait commis le parricide, elle avait rompu le cycle de la violence en tuant son simulacre de paternel de cette force primitive qui coulait dans ses veines.
On avait appelé la police, mais dans ces marges appauvries de l'Amérique cruelle, on se fichait des cadavres et on se méfiait de l'ordre. Don passe un an dans une maison de correction.
15 ans Don sort de sa détention avec un regard plein de défi, des cicatrices en plus et vingt dollars pour prendre le bus jusqu'au trailer park où elle avait grandi. Il n'y a plus rien pour elle ici : elle prend le bus de nuit jusqu'à Chicago, et se réveille à la lumière de la ville, loin de la présence obscure des Appalaches qui avait pesé sur son enfance. Elle vit dans des appartements pourris et multiplie, avec d'autres butchs, les jobs précaire à l'usine. Elle vit à Chicago, puis à Cleveland, Pittsburgh et Detroit : là où la mort de l'attend pas.
19 ans On lui avait montré l'annonce découpée dans le journal : "D. (23, f) cherche coloc. (18-30, f.) pour appart. T3 à Greenwich Village". Don voulait quitter Detroit et son austérité grise, géométrique ; elle n'en pouvait plus du bruit de l'usine automobile qui résonnait à ses oreilles jusque dans son sommeil. Elle portait son auriculaire segmenté comme le stigmate d'un travail trop dangereux qui usait son corps encore si jeune. À New York, elle rencontre Dionne : l'appartement n'est pas grand mais il sent toujours les fleurs coupées. Don n'apporte qu'un tourne-disque, et leur amitié naît bercée par la voix rauque de Chet Baker.
Elle découvre les milieux queer underground de NYC et fréquente les ballrooms, elle coud des ourlets et colle des strass sur les robes éblouissantes des sœurs qui veulent bien de son aide. Elle trouve là une famille de substitution.
23 ans Elle rejoint Nausikaa à l'ouverture de l'île, amenée par la nymphe qui découvre Dionne. Elle devient ambassadrice de ses rares adelphes et préside au conseil des ambassadeurs d'une main ferme. Elle fait des aller-retours entre New York et Nausikaa, et accompagne elle-même les sang-mêlé-e-s qu'elles rencontre jusqu'à la presque'île. De celleux qui meurent avant d'arriver en sécurité, elle se sent responsable : incapable de tous les protéger, elle demande aux dieux, au nom des ambassadeur-rice-s, que l'île soit fermée.
30 ans (tw maladie, mort) L'isolement est pour Don une tragédie personnelle. Elle perd beaucoup de ses ami-e-s, celleux qu’elle considérait comme sa famille, pendant l’épidémie du sida : les portes de Nausikaa sont fermées et elle ne peut pas aller aux funérailles. Coupée du monde, elle ne sait que faire de sa frustration face à sa propre impuissance. Elle se dévoue corps et âme aux sang-mêlé-e-s dont elle se sent responsable, et est très attentive à l'éducation des plus jeunes. Elle sait que cette sécurité n'est pas éternelle : il faut les préparer.
63 ans C'est Zeus lui-même qui la destitue, craignant peut-être que la courbe de la vieillesse qu'il voyait poindre sur la nuque de sa fille ne lui fasse finalement honte. Elle avait longtemps été la préférée. Elle avait, après tout, tout pris de lui ; mais il ne retrouvait plus rien de sa gloire dans les rides de sa fille, qui trahissaient son âge. La retraite ne lui va pas, elle décide donc de dédier son temps aux jeunes sang-mêlé-e-s et propose d'assister Dionysos à la colonie.
C'était son cadet qui lui succèderait en tant qu'ambassadeur, alors, Don avait cédé à David son épée, dans un geste qu'elle espérait sans amertume (elle haïssait son père mais elle aimait son frère). À sa demande, elle rejoint les Olympiens parce qu'après tout, c'était à elle de tuer le père, comme son père avant elle et son père avant lui ; le parricide se muerait en déicide à ses mains affamées.