i'll take you to the sun

les week-ends passent vite quand il s'agit de s'attraper, de se retrouver et d'en même temps étudier -winnie le savait bien. lui, c'était différent : il travaillait depuis longtemps (six ans déjà !), et étudier ne lui avait jamais trop plu. le petit yoshito s'y appliquait pourtant, mais les lettres dansaient sous ses yeux et les chiffres changaient toujours de sens, et saon voisin.e avait toujours quelque chose de trop intéressant à raconter, et jamais il n'a réussi à rester assis bien longtemps au même endroit. alors, les gens comme henriette, il les admirait. quel dévouement à leur art, leur domaine ! quelle énergie, quelle course de longue halène ; et winnie plaçait sur un piédestal ces étudiant.es qui ne savaient souvent pas qui iels étaient, encore moins ce qu'iels voulaient devenir -lui, l'insouciant, qui n'a jamais eu à y penser, à choisir, à se lancer dans le vide.
lui, lui et son auréole, lui et son bouquet de fleurs jaunes, presque un motif de trouble à l'ordre publique dans ce district aux murs gris, si ce n'était troués, auquel la vie ne semblait subsister que par simple esprit de contradiction, par révolte de l'âme. ça aussi, il n'y connaissait rien, tout ce qu'il savait c'est que l'ambiance ne lui plaisait pas, et qu'il avait déjà dit plein de fois à henriette qu'iel pouvait vivre chez lui, au bord de la plage, et qu'il s'occuperait de lui faire des repas à emporter pour la semaine -il n'avait pas insisté, mais à chaque fois l'idée lui revenait, quand il slalomait entre les débris qui jonchaient le sol.
peut-être devrait-il demander à nouveau.
il toque à la porte familière, le bouquet bien devant et son sourire en prime.

i'll take you to the sun

rien que le son de l'ouverture de la porte fait fleurir d'autres beautés (le sourire sur son visage), et il est certain que les jonquilles sont plus jaunes encore soudainement -ou peut-être est-ce parce qu'il les voit sur le fond noir de cet appartement triste, de vêtements noirs, et d'un atmosphère lourde d'une pollution anthropogénique. lui, habillé de ses habituelles couleurs bariolées, ressemblait soudainement à un clown dans un cimetière, dans lequel il n'était pas encore conscient d'être, et à qui on allait annoncer la mort des rires qu'il n'a pas réussi à faire vivre.
bien sûr ! winnie répond toujours, parce qu'il veut arracher toutes mauvaises pensées qui pouvait venir, s'immiscer ; il sait que ces adventices-là pullulent et il ne leur laisserait pas leurs chances : oui, il était venu pour ellui, pour la voir, la prendre dans ses bras, sentir son odeur, la complimenter sur ses cheveux (ou alors, flatter niké à travers elleux), et peut-être jouer à un jeu, et rester dans un silence confortable, et soudainement s'exclamer pour dire oh regarde ça !, et rire, et manger un bout, et faire tout ce que les gens normaux font quand iels s'aiment pour de vrai.
mais henriette s'échappe, et winnie se retrouve sans fleurs ni câlins ; soudainement l'impression d'être vide, fronçant les sourcils un instant, et ensuite essayant de se convaincre que ce n'était rien -oui, iel ne voulait que les mettre dans l'eau, voilà tout, et aussi l'accueillir comme il le fallait. ah, dommage ! de l'eau ça suffira, alors. ou sinon, on peut aller au nouveau café à olympus ? ça vient d'ouvrir, et iels proposent des laits végétaux -il y a du matcha latte ! comme au starbucks au japon. d'un chez lui lointain, qu'henriette pouvait comprendre. enfin, peut-être que je te dérange, ou peut-être que tu ne veux pas sortir. il se sentait trop grand pour la pièce dans laquelle il s'est avancé, comme si sa présence compressait l'air, le rendait difficile à avaler et à recracher -il avait l'impression de lae rendre otage. il n'y a pas de soucis à le dire, hein ? oui, winnie répond toujours aux questions de doute, même celles qui n'ont pas encore été dites.

i'll take you to the sun

il y a un rien qui fait battre son coeur, qui y met un rythme qui n'a pas sens (raté, un de trop, ah badum badum, badumbadumbadum, vide), qui l'inquiète non pas pour lui mais pour elleux -il sent l'hésitation, la porte même dans son ventriculaire gauche, celui qui la dissémine dans tout son organisme. oui, il était le jour, et alors parfois le calme ne lui convenait pas. c'était le royaume d'henriette, celui des songes et des réflexions ; il n'avait pour lui, croyait-il, que la fougue d'une énergie inépuisante, qui irradiait et empêchait de penser plus qu'il ne le faisait (c'était à dire, pourtant, beaucoup).
les bras trouvent leurs places sans y penser, d'un automatisme acquis à travers les années. il est rassuré, quand il se voûte comme il le faut pour qu'henri puisse se mettre à sa place habituelle, en égal-e, en moitié, en continuation. l'un-e avec l'autre. c'était là leurs places, qu'importe la distance qui les séparait -du millimètres aux kilomètres, et même plus tard ah henriette, il est certain que tu le gardera dans ton cœur, toujours, encore. bien sûr, qu'il souffle, encore, à terrasser tous les doutes, à ne leur laisser aucune chance, impitoyable qu'il était, armé de son amour et sa gentillesse. merci de toujours m'appeler. parce que c'était vrai : qu'aurait-il bien pu faire, si iel n'avait pas voulu de lui ici ?
si son épaule n'est plus un lieu de repos, il a l'impression d'encore lae tenir dans ses bras. c'était comme si tout était revenu à la normale, ou presque. oui, presque, parce qu'il a vu, combien henri dévie son regard, et combien iel se tourne vite pour ne plus lui faire face. c'est normal, pense-t-il : la lune valse plus encore que la terre autour de l'astre du jour. oui, évidemment, voilà tout, rien de plus, rien de moins (oh tellement de moins).
il suit dans l'escalier, plus lentement, plus assuré, pas très certain de comprendre pourquoi il ne pouvait pas juste attendre en bas. le voilà contre le mur, et pas la porte, le dos droit et les jambes qui glissaient le long du sol, essayant de s'occuper en s'amusant tout en restant ici, là, plutôt que de se perdre sur son téléphone -henri méritait toute son attention.
et, même en lui donnant, il fronce les sourcils. arrêter quoi ? tout, winnie ne le comprenait pas. tout, c'était trop large, c'était rien et l'ensemble, c'était sa vie au sens littéral ou figuré, c'était inquiétant mais le ton n'était pas angoissé, c'était des points d'interrogation et c'est tout ce qui reste accroché sur la face de winnie quand henriette ouvre la porte. iel fait le show, et winnie en aurait habituellement ri, mais il comprend soudainement que ce ne sont que des paillettes pour l'empêcher de comprendre, pour lui faire croire qu'il ne fallait pas s'inquiéter. pour ne pas dire qu'iel n'osait pas lui parler. alors winnie ne commente rien, et continue. henri, arrêter dans quel sens ? son coeur avait de nouveau perdu son rythme, et ses pieds glissent sur le sol -il est plus petit qu'ellui, maintenant.

i'll take you to the sun

la descente est lente, parce que winnie, malgré sa tétanie soudaine, s'y refuse. ses jambes sont longues, plus que le couloir, et ses genoux ne plient pas, alors la gravité est formelle : il ne peut pas tomber, ni glisser soudainement. non, il divague, regarde henriette de ces yeux qui ne savent pas trop quoi faire. c'est arrivé si soudainement, d'un coup, il n'était pas prêt, bien sûr, qui est jamais prêt pour des révélations qu'on cache jusqu'à les ignorer ? qui est prêt pour les bombes en temps de paix, pour la pluie sous le soleil, pour le trou dans la route ?
il aurait dû savoir, se dit winnie.
oui, avant de voir les larmes et d'être témoin de la fin (qu'importe de quoi), il aurait dû savoir ; il aurait dû deviner, il aurait pu comprendre, et iel méritait qu'on sache déceler ses malheurs, désosser ses douleurs, déchiffrer ses humeurs. et pourtant il n'avait rien vu, et c'était peut-être ça qui le frappait plus que tout autre poignard.
et iel lui dit -c'est les études, juste les études, c'est tout oui, ce n'est rien vraiment, d'ailleurs winnie n'en a jamais fait, ce n'est pas bien grave, mais dans toutes ces litotes winnie ne lisait que d'autres choses, et il y pense en s'échouant au sol.
non, il n'avait pas osé pensé au pire, ne l'avait pas imaginé, ou plutôt s'y était refusé dans la partie du cerveau que l'on peut contrôler ; et alors c'est pour ça que quelques larmes s'amassent au coin des yeux, tu vois, c'est juste la peur, l'angoisse, l'hypothèse, et puis tout le reste aussi.
c'est que, malheureusement pour henriette, il lae connaissait par cœur.
ah, à vrai dire ! moins ces derniers temps.
quand iel s'installe comme iels ont l'habitude de le faire, winnie appose directement sa tête au-dessus des cheveux, n'y pense même pas une seconde, trop ancré dans ces automatismes qu'on oubliera jamais de toute sa vie -et peut-être même de sa mort, oui. il prend la promesse comme il prend sa main : en y liant tout ses doigts, et en la serrant fort, mais ultimement en la laissant libre. ce n'était pas à lui qu'il fallait donner ce genre de serment. d'accord, henri. je te crois.
il n'avait jamais pensé à en douter, mais maintenant qu'il voyait ce qu'il avait manqué, c'était de lui dont il perdait la confiance. les études, alors, hein. il renifle, n'a pas la force pour s'essuyer les yeux. de toutes manières, il n'a aucune honte à pleurer, et ce depuis des années. si t'as besoin d'un logement, dis-moi. j'ai toujours un appartement de libre. il attendrait qu'iel se sente de se livrer, d'en dire plus d'ellui-même ; winnie ferme les yeux, caresse l'arrête de la main de son adelphe. lui, il n'arrêterait jamais de lui donner tout son amour.

i'll take you to the sun

winnie savait qu'on avait souvent peur pour lui.
pour, évidemment, et, avec le temps, parfois de lui. cela prenait longtemps, parce que pour arriver à cet instant-là, il fallait comprendre : accepter que sa stature de pierre tendre ne s'érodait plus sous les quatre vents, que les diamants qui l'entouraient ne faisaient en réalité que refléter les lumières qu'il recevait, et qu'alors cette statue-là était en un sens inarrêtable. elle faisait peur, oui, parce que les ombres ne survivaient pas s'il en décidait ainsi ; devant cet être étrange, ce golem dont les bouts de terre faisaient pousser des cascades de fleurs colorées, il n'y avait nulle part où fuir. une fois ses mots partis, ils n'abandonnaient jamais. ils ne faisaient que poursuivre, à toute allure, sans jamais perdre leurs souffles ; résonnaient comme si le monde n'était qu'une grotte à ciel ouvert qu'il avait fabriqué de ses mains -lui, le géant qui aurait probablement pu tuer s'il l'avait décidé, et qui a plutôt choisi de ne pas si facilement abandonner.
winnie était brave et droit dans ses idéaux. la vie avait été encore douce avec lui, et alors on ne s'en inquiétait pas tant ; mais qu'en serait-il de l'avenir ? plus tard, quand il n'aura d'autres options que de choisir ce qui l'horripile, il ne faudra pas trembler pour lui. il faudra s'effrayer si on se trouve sur les chemins de la résolution.
en attendant, winnie appréciait l'inquiétude qu'on lui donnait. il trouvait cela preuves d'amour, ou au moins, d'intérêt, et les recueillait comme on garde des pierres lissées récoltée sur les plages en plein été : en souriant, et en se les rappelant avec émotion, convaincu que rien de bien grave ne pourrait lui arriver. n'est-ce pas ?
mais il n'était pas question de lui.
c'était henri qu'il fallait continuer de doucement rassurer, c'était henri qui avait enfin osé parler après probablement des mois entiers dans des tunnels mal éclairés. il se doutait qu'elle n'en était pas encore sortie. il y avait juste une fenêtre, une bouche d'aération, un grillage qui laissait voir ce qui pouvait l'attendre ailleurs. la marche était à reprendre -après. plus tard. une fois qu'iel se serait un peu reposé, d'avoir déjà trouvé un début de sortie.
winnie accepte le mouchoir, se tamponne le bas des yeux. il lae laisse parler en silence, le contact toujours aussi fort et présent. iels avaient à nouveau une quinzaine d'années, et iels chuchotaient dans le bungalow esseulé, de choses si importantes qu'iels les avaient oubliées. d'accord. dans ta colocation, c'est ça ? il sentait ce pincement au coeur caractéristique qui revenait à chaque fois qu'un-e de ses adelphes quittait nausikaa. ce n'était pas la peur d'un parent, il n'en était pas un encore, mais c'était un sentiment d'abandon étrange qu'il savait injuste et injustifié. encore plus là et maintenant, alors que rester ici avait déjà tant endommagé henriette et tout son esprit. pourtant, les monstres rôdent encore (de celleux qui préfèrent la chaire, ou bien d'autres l'esprit). avant que tu n'y ailles, on pourrait marcher sur la côte jusqu'au camp ? et puis, plus tard, si tu reviens, dis-moi, et je te ferai à manger, et on regardera de l'urbex sur youtube. et si moi je vais à new york, tu sera lae premier-e à savoir ! les mots s'empressent, ils s'ajoutent comme pour annuler toutes les mauvaises pensées, et alors créer, imaginer, un futur qui n'avait pas l'air si gris. et, bien sûr, si tu veux parler, tu as mon rainphone. ou même, tu sais, rien dire. juste salut. tu me connais. j'ai toujours trop de choses à raconter. il sourit. quand iel lui manquera, il écoutera la playlist qu'iel lui a fait.

i'll take you to the sun

c'était ces tendresses-là dont winnie se rappellera plus tard. plus tard, oui, quand un voile empêchera ses yeux de bien voir, et que les couleurs paraîtront délavées à force d'être vues, il imaginera : un couloir, pas bien large, éclairé par une lumière jaunâtre même à seize heure, et une odeur de renfermé probablement irrémédiablement associé à la moquette qui avait eu de meilleurs jours ; il verrait : les yeux d'henriette qui le regardent, qui le voient en entier, et qui l'acceptent, le rassurent, lui donnent toute l'honnêteté dont ils sont capables, qui lui confient son cœur et tous les esprits qui y habitent ; il sentirait : la douce chaleur de l'embrassade qui les lie, qui ressemble à une maison, auquel on repense parfois avant les choses difficiles, et qu'on sait toujours là pour plus tard, quand on en aura besoin. qu'importe la saison.
oui, winnie se rappellera des joies comme celle-ci. il les racontera un jour à ses enfants, et il espèrera que ses descendant-es comprendront de suite, parce qu'iels s'aimeront autant qu'henriette et lui s'aiment. ça le rassurerait, de savoir qu'iels ne seront jamais seul-es.
il s'esclaffe à la main qui vient décoiffer sa tignasse pourtant méticuleusement peignée. ce n'était pas grave. il ne se devait pas d'être le plus beau devant henriette, ni le plus tiré à quatre épingles. iel l'avait vu en bien pire état, et son sens du style était de toutes manières toujours aussi déplorable.
ce n'était pas grave. leur amour n'était pas conditionnel. ah ! alors j'espère que tu t'en donnera aussi. du temps. il sourit, comme il sourit toujours quand il dit ces phrases simples aux significations exposées à tous regards ; celles qui font contracter le ventre et qui font rire aussi.
il pose un baiser sur son front. bon, alors, café ? et, de son mouchoir, il essaie d'essuyer le noir du khôl des yeux d'henriette, n'arrivant qu'à l'étaler encore plus.