Naissance Niké l'avait laissé-e là, dans la loge de son père ; il était sorti de scène et il avait trouvé ce bébé dans lequel il avait reconnu son visage. Iel était belle et iel lui souriait, et Jean-Baptiste avait laissé derrière lui la tournée pour lae ramener au pays natal.
10 ans Chez ellui, l'air était moite et les orages terribles ; iel avait grandi sans craindre les grands vents de l'été, les yeux portés vers le soleil qu'iel voyait orné d'un cerne noir. C'était les femmes qui l'avaient élevé-e, entre les mains douces de sa tante et de sa grand-mère iel s'était forgé, en prince dont on dévore avec joie les éclats de rire. La maison était un temple où résonnaient toujours des incantations, les pieds dans la terre iel avait appris de ses mains maladroites à tracer les vévés comme le voulait la tradition ; sa force était dans la famille et la communauté qui l'entouraient d'un amour pur et inconditionnel.
15 ans On était venu lae chercher le jour béni de la liturgie. Sa tante avait lavé sa tête avec une tendresse lourde de piété, et les chants l'avaient submergé-e d'une émotion intense ; son front et ses joues étaient brûlants d'un bonheur sacré—iel ne se sentirait plus jamais profane. Puis, dans la chaleur du soir, quand le silence s'était fait et que la maison s'était vidée des voix familières, son père, grand dans l'encadrement de la porte lui avait dit, à travers la moustiquaire : il est l'heure de partir. La nuit sentait la citronnelle. Iel avait sagement fait ses valises et s'était laissé guider par son père jusqu'à New York, puis jusqu'à l'isthme, où il avait lâché sa main. Il lui avait dit au revoir avec un grand sourire : iels savaient qu'iels se reverraient.
16 ans Le camp était joyeux, ses adelphes solaires et les nuits new-yorkaises moins étouffantes que celles de la maison ; iel ne dormait plus avec la fenêtre ouverte. En digne enfant de son père, iel est un-e membre fondatrice d'un groupe un peu rock et un peu punk, Hvbris, avec qui iel s'amuse bien.
18 ans Iel est à l'âge où iel veut être une fierté pour sa mère, celle qui lae regarde par-dessus son épaule et n'en voit que la silhouette floue et sans éclat. Iel arrête la musique, quitte le camp et prend le chemin de la fac pour étudier le droit ; iel ne trouve pas sa place à Nausikaa et New York est vide de promesses, iel avance un pied dans chaque monde et absent-e dans les deux. Partout où iel va, l'air est vicié ; pour rire, iel tire les cartes dans la cuisine pourrie de la maison de l'Atè District où iel vit les week-ends, les prophéties sont fausses mais l'argent des mensonges est vrai. C'est l'âge de la chute.
24 ans Les autres sont solaires et iel n'est rien. Ses six années d'université sont un fardeau dont iel ne sait se défaire : iel se dit qu'il faut continuer, parce qu'iel est arrivé jusque là. Iel flirte avec la médiocrité mais s'en sort par l'ardeur de ses ambitions. Le barreau est proche quand iel s'effondre : il faut tout arrêter, couper les ponts avec la mère solaire et rendre à ses adelphes leur amour. Iel suit Pascal jusqu'au Danaé ; on lui proposer d'aider à payer la dette de son petit frère. Désabusé-e, iel s'y installe, s'y enterre pour se reconstruire.