la liberté est le propre de l’homme, et sans doute álvaro en avait cette fois trop abusé - les restreintes qu’on passait à ses mains pour lui empêcher la fuite se faisaient soudain gage de la loi qu'il avait brisé, à trop vouloir impressionner. outrage, menace, agression, les explications des méfaits dont on l'accuse étaient claires, détaillées, mais lui était encore trop sonné pour les comprendre, n'y avait vu qu'une seule chose. "garde à vue" : on l'enferme, voilà tout, et si il avait bien voulu un jour s'admettre une peur, c'était bien celle de la restriction. aux miliciens qui avait pris son cas en charge, il avait expliqué, effrayé par la réalisation soudaine de sa situation lorsque divine l'avait quitté, que ce n'était pas grave, vraiment, qu'il n'allait pas chercher à fuir, de toute façon, qu'ils pouvaient au moins le détacher - qu'ils devraient le libérer, même, puisqu'ils leur dit qu'il n'a rien fait de mal. sans doute avaient-ils vu en son besoin pressant de sortie un risque - et sans doute avaient-ils eu raison, puisqu'enfant de niké, il lui aurait suffi de peu pour en mettre un autre à sa place, et s'échapper très loin, très vite.

alors, toujours en tirant discrètement sur les menottes, à en abîmer ses mains, il avait suivi les procédures. on lui avait autorisé un appel, et sans hésiter, il avait contacté son frère. allo, winnie ? c'est juste pour te prévenir que- on t'a dit ? je dois sortir demain oui, normalement. non, non, t'inquiètes pas, y'a rien de grave, je te rappellerais dehors, promis. je t'expliquerais. non j'ai rien fait de mal, c'est une erreur. oui oui, je t'expliquerais. et il était resté comme ça un peu, jusqu’à ce que les remords l’atteignent - si il avait bien un tort, c’était inquiéter son aîné, et de ce crime là, il s’en voulait terriblement, alors il avait fini par prendre sa peine.

un pied dans la cellule, et déjà, il sent sa gorge se refermer sous le poids des peurs latentes.

il n'a rien fait de mal.

défait, on l'a laissé là, et puisque toutes les procédures sont finies, on ne répond plus à ses reproches incessants. c’est dans le silence que le temps s’écoule, les phobies s’aggravent - et il reste là, les subit, enragé, se consume jusqu’à servilité.

douze heures.

le soleil du matin le frappe comme il réveille les endormis, mais il est bien conscient, posé trop calmement - de toute la nuit, il n'a pas dormi plus d'une heure. son silence ébranle. c'est qu'il est rare qu'il se ferme autant, c'est qu'il a passé ses heures à bouillir, à chercher les seuls mouvements qu'on lui accorde, parcourir le peu d'espace qu'on lui donne - chaque geste, marche dans les retenues, lui semblaient unique fuite de cette cellule qu'il exécrait chaque minute un peu plus. le soleil le frappe, mais il vient accompagné, et un instant, il se croirait apaisé, dans ses paniques alourdies, à la vue de la femme qui mène le ciel à lui. divine, tu l’auras laissé seul trop longtemps. il te dirait presque que tu lui as manqué, et tu aurais pu le frapper encore - ça serait honnête, il n’aurait pas répliqué.

"putain", il marmonne doucement, inaudible, ”c'est pas trop tôt.” qu'enfin, peut-être, on vienne faire quelque chose. car si quelqu'un ici a bien conscience de la nécessité de sa situation, il estime que c'est elle - qu'elle a gagné son respect, et que quand bien même elle serait responsable de sa détention, qu'elle pourrait aussi se tenir garante de sa liberté.

"de guisé, salut."

assis de travers, il se lève d'un coup, pesé par la fatigue dont il s'est lui-même accablé, le visage marqué - avance de pas certains jusqu'aux barreaux qui les séparent. à ses yeux, il présente les poignets liés, tend les bras comme pour répudier l'ennemie captivité. n'est-ce pas ingrat, d'enfermer la victoire ? celle qui a tant à montrer.

"allez, enlève moi ça." c'est un ordre. sa parole est autoritaire, érigée des audaces qu'il ne contrôle pas. "on sait tous les deux que je devrais pas être là. j'ai rien fait de mal."

tu as accepté, divine, tu as même porté le premier coup ! si tu tiens tant que ça à le maintenir là, alors rejoins-le, au moins. non, il n'a rien fait de mal, rien fait de mal du tout.

"tu m'enlèves ça et je pars, et je te laisse même tranquille, si tu veux." álvaro, lui, ne le veut pas - s'est juré de revenir, estime qu'on lui en a donné le droit, mais il ne supporte plus de rester là, se sent prêt à sacrifier beaucoup plus que nécessaire à sa liberté. les émotions sont trop grandes, il ne sait pas les retenir - les échos de sa voix, sous les hostilités fracassantes, les paroles accélérées, sonnent tristes. "mais tu veux pas, hein ?" toi non plus ! tu lui as montré ! alors il répète, répète, répète encore, accentue ses vérités :

"je n'ai rien fait de mal."

innocente bête en cage.

divine ne le salue même pas en retour, et pourtant, malgré le regard noir qui témoigne facilement de ses intentions, il se surprend à se retenir de la remercier - il exècre sa condition dépendante, ne veux admettre générosité quand il se présente ainsi comme condamné de sa main. on veut le nourrir, álvaro aimerait dormir, seulement, se battre, alors il se désintéresse d’abord des attentions, avant de les accepter avec réticence. mais puisqu’on lui dit de boire, puisque c’est un ordre et qu’il ne veut pas accepter la docilité, il mange - songe que ses crocs sont assez acérés pour mordre, même dévorer la main qui le nourrit et pourtant se contente qu’elle le serve. c’est étrange, de se voir ainsi abaissé quand on se veut aussi haut - qu’il aimerait se contenter de plus que ses insolences banales ! il écoute, fixe avec constance la sardonique bienfaitrice en mâchant le pain qu’il ramasse, qu’il tient et arrache à ses mains liées.

c’est guttural, ça veut sortir mais pourtant, il attends quelques secondes, laisse le silence tonner pour parler. c’est qu’il finit bien d’avaler, et ce n’est pas par quelconque politesse, respect fondamental, non - il prend le temps de déglutir, même - c’est qu’il veut que ses mots sonnent clairs ! qu’ils sonnent et qu’ils frappent, puisqu’il ne peut pas frapper encore, et que si ses mains sont incapables de faire résonner, il a encore la voix, plus raisonnable, aussi honnête.

”t’es venue la première. j’ai pas à deviner, tu parles assez.” comme moi, avec les poings ! nous avons discuté, il me semble.

dédain évident et pourtant il écoute - tu parles et il écoute, c'est l'ordre que tu établi. a-t-il déjà autant porté l’oreille ? on devine facilement l’attention particulière qu’il soumet, dans une volonté que l'on admet pas. la voix de divine, pourtant si dominante, relance ses élans de confiance acerbe. au lieu d’accepter l’autorité, il reflète d’un miroir singulier la clarté de la cheffe, la fierté des battants. abattu trop vite, álvaro se redresse pour tenir tête - les liens le long du corps, les poignets resserrés. retour d’image imparfait, toi, tu es libre - brillant pourtant.

”j’ai raison sur TOUT les points”, et il appuie bien le tout ! comme si il avait beaucoup à dire, et pourtant il n’affirme que son innocence, que sa rage - les sait toutes les deux bien réelles, dans le cadre restreint de cette cellule où il se déteste d’être, et cela suffit à lui donner toutes les raisons, oui, c’est déjà bien assez. ”je sortirais.” et là encore, j’ai raison.

n’y-a-t-il pas plus à dire, à rétorquer ? bien souvent, le silence se fait marque d’acceptation. ses yeux font en sorte d’indiquer le contraire - un refus trop banal pour qu’il puisse encore être répété, peut-être en cerne-t-il l'irrationalité ? il semble que dans les iris métalliques se reflète une compréhension muette.

”je t’écoute. ça veut pas dire que j’accepte.”

álvaro ne plaidera pas, il n’utilise pas les mots comme ça - il montre, les canines et les chaînes.

tu sortiras ! bien sûr, tu as raison - un sourire satisfait tord ses lèvres d’une évidence suffisante, bien assez vite écrasée par le poids même de ses orgueils. on menace de l’afficher, il considère ça mensonger, blasphématoire - trop important, il tourne autour de ça !  il serre les dents, affirme toujours avec la même fierté pourtant :

”arrête de me parler de ça. j’ai pas honte de ce que j’ai fait, comme t’en as pas honte non plus. s’il faut, j’irais même le crier partout, y’en aura forcément à qui ça plaira. t’imagines, la publicité ? le regard du public, je l’ai.”

álvaro prend le problème autrement - on lui offre l’humiliation, lui veut en faire gloire, c’est ainsi qu’on l’a fait. il s’imagine devancer divine, retrouver la foule qui n’attend de lui que violence - ravie par les excès ! le public sait toujours plier les officiels. triomphant alors, il reviendrait à elle, face à eux peut-être : imaginons le combat comme il en rêve encore, les gros titres, le spectacle ! ses mains veulent se lever pour s’écarter, mimer les gros titres, vendre peut-être cette sortie miraculeuse - c’est évident, il ne peut pas, les poignets toujours liées, sa liberté et les beaux jours toujours conditionnels.

voilà tout, sans ça, il n’est rien : on lui annonce, et c’est une offense trop haute à sa suffisance ! ainsi, la colère appelle au combat, et sans tarder divine lui offre la porte de sortie. tu pourras me défier, il a les yeux qui brillent - elle sait maîtriser les chiens, il aimerait se rassurer que la laisse n’est que temporaire, mais il se voit bien saliver à l'appât des os.

”si tu penses que j’suis aussi nul que ça, t’as aucune raison de vouloir de moi non plus. ça peut pas être aussi facile. j’vais devoir surveiller des gens comme ton collègue là-bas, hein, tu veux juste me donner des travaux d’intérêts généraux c’est ça ? tu fais ça à tout le monde ? si c’est comme ça que tu recrutes, faudra penser à revoir les ressources humaines. non, sérieusement-” álvaro s’étend dans son discours, se réconforte dans ces mots qui n’ont pas de sens - c’est qu’il a besoin de se sentir estimé pour accepter, c’est dans le superbe qu’il retrouve sa place, il forme lui-même sa constance. ”qu’est ce qui te pousse à marchander comme ça ? c’est quoi qui t’as poussé à me chercher comme ça ? t’es venue en premier, je te le dis ! tu fais comme ça parce que tu veux pas l'admettre, mais tu VEUX que j’accepte, c’est ça ? tu sais, t’aurais juste pû demander, j’suis plutôt sympa. allez, vends-moi du rêve. tu m'entraînes, mais encore ?” son visage reprend des couleurs à l'insolence rieuse de ses mots, exprime ce que les gestes ne peuvent pas, et tant est-il investi qu’il semblerait qu’il se libère - l’heureux arrogant sourit !

”donne moi une raison de plus d’accepter, un petit truc, je sais pas. je veux pas rester là plus longtemps.”

ça veut dire oui.