‹ Y'a le mec à Milla ! ›


Les paumes posées à plat sur le matelas de chaque côté du dos, il la regarde dormir. Peut-être ferme-t-elle juste les yeux pour profiter de la chaleur mais Leïla est sur le ventre, la tête à l'opposée de lui qui est assis près d'elle, alors il imagine qu’elle dort. De son dos nu effuse un rayon rose bonbon renvoyé par la lumière de midi. À cette heure, la chambre est en plein soleil et il fait une chaleur à crever. Il y a bien un ventilateur, mais il n’est pas allumé, et recueille la poussière dorée que l’on voit passer dans les rayons blanchâtres, presque rosés ; la torpeur estivale s'affaisse dans la campagne pour se recueillir sur leurs corps fourbus d'avoir ri toute la nuit. La mollesse des matins s’est fondue dans l’oreiller et dans ces journées retardées, il n'y plus de soleil ni de lune, juste de longues heures déliées en rupture du monde, juste la lumière qui emplit et dévide la chambre comme une grande respiration universelle.
Tout ici est bon et d’une couleur à la teinte variable mais qui tire toujours sur l’impression que l’on a du matin, de la jeunesse et de l’insouciance. Il s'est réveillé dans la chambre de Leïla il y a quelques minutes, et allait sans doute se rendormir ou préparer quelque chose à manger — quelque chose de très simple, histoire de.

Mais à la porte, on frappe, coup de théâtre, trois coups réguliers et rapides. Il se lève d'un bond par réflexe, et dit à mi-voix qu’il y va, ‹ j'y vais › voilà, poliment, mais sans s’habiller, il récupère juste son caleçon qu’il enfile en sortant de la chambre, en marchant sur les vêtements jetés là.
Il traverse le petit couloir en baillant et en se grattant le cou. Pour se réveiller, il inspecte au passage la longue plaie neuve lui boursouflant la paume, la plaie qu'elle lui a taillé, dont le départ se trouve sous son doigt manquant. Le sang lui monte aux joues puis à la tête en marchant dans cette maison de poupée, il y a quelque chose d'absurde et d'esthétiquement impie dans sa silhouette brûlante au milieu des murs clairs, un drôle de sentiment qui lui donne l'air naïf de celui qui titube puis fait sembler de chercher les clés, de ne pas trop savoir comment ouvrir la porte, trop ouvragée et trop légère pour lui, à la fois. Il est d'une maladresse comique et fait beaucoup de bruit dans le vestibule. ‹ J'arrive j'arrive ! › Le ton empâté et strident de sa voix est identifiable comme le sont les cris d'oiseaux.
En ouvrant, un frisson le parcourt par deux fois : il fait bien plus frais dehors et le visage de la personne qui frappe, le frappe doublement. Le lecteur attentif saura qu'il l'a d'ailleurs déjà frappé auparavant.
Mal tiré de ses songes ténébreux, les paupières collantes, le détective lui paraît un mirage, inoffensif et grandiose. Peut-être a-t-il rêvé de lui. Il déclare tout fort, surpris pour de vrai :
‹ Oh mais, patron ! ›
Il sourit de toutes ses dents cassées, en avisant le visage de Zana tranché en deux par l’ombre du toit, et les deux flammes qui brillent dans ses yeux caves.