craindre d'aimer

le générique de fin se déroule mais winnie ne le voit pas. il a les yeux caché derrière des larmes, et il renifle tellement qu'il n'entend plus très bien d'autres choses que sa peine, sa joie, son envie, son admiration. il y avait un trop plein d'émotions, un volcan qui s'était réveillé et qui avait déversé des choses qu'il n'arrivait pas à nommer -la lave brûlait parce qu'il ne savait quoi en faire, et parce qu'il ne s'y était jamais trop intéressé, lui trop occupé à empêcher les autres d'exploser.
mais voilà, ce soir-là, ils s'étaient retrouvés, àlvaro et lui, parce que winnie parlait bien trop de son film favori -ils se devaient d'enfin le voir, après tant de mots et tant d'années. ça faisait quelques temps que winnie ne l'avait pas re-vu, et alors peut-être que c'était pour ça que cette fois-là, ça lui faisait un peu plus mal. avant -avant, il n'y avait que du bonheur de voir ces deux gens qui se retrouvent, au bon endroit, au bon moment, et si winnie savait qu'il ne s'agissait que d'une histoire, d'une chose un peu trop parfaite, il soupirait en imaginant son tour, son amour rien qu'à lui.
il n'a pas besoin de regarder pour voir qu'àlvaro est là, juste à côté de lui. oui, il n'oubliait pas : l'amour de ses adelphes, de son père, de niké, de ses ami-es, de lui-même, de ses followers et d'autres encore (la personne qu'il a aidé le matin à porter ses courses, lae commerçante à qui il a laissé la monnaie, ). mais, dans tout ça, il n'arrivait pas à trouver un satisfaction tranquille, sereine. il se mentait en disant que ce n'était pas grave, et alors, cela s'aggravait évidemment. iels étaient trop fait-es pour être ensemble. sa voix est mouvementée, et sa bouche pâteuse, plein de salive et peut-être de pleurs ; on sent dans le ton un désespoir étrange pour une histoire qui se finit aussi bien.
le générique se fini, et avec lui une dernière scène du paysage de tokyo ; le cœur se serre face à une skyline qu'il ne reconnaît plus, lui qui peut encore citer tous les quartiers mais qui est incapable de recommander un restaurant -il les a vu arrêter l'un après l'autre, sur google maps. il se retrouve inconnu dans sa ville, loin d'un chez lui qui le serait toujours mais qui n'y ressemble plus. seul, aussi. pas dans les faits, mais dans les sentiments. je me remets jamais de la scène des trains qui vont en sens inverse, je pleure jusqu'à la fin après, t'as vu combien de fois iels se croisent sans savoir qu'iels sont juste à côté ? iels s'aiment tellement et- et ..! un grand geste dans le vide, le rien, parce que avait-il vraiment besoin d'expliquer ? de mettre des mots là-dessus ?
de toutes manières, il ne les avait pas.
pas pour lui.

craindre d'aimer

c'est fini -c'est fini, oui, mais seulement le film, parce que les deux protagonistes, elleux, resteront vivants dans l'imaginaire collectif. parce qu'iels, iels resteront ensemble dans la mémoire de winnie, et dans ses rêves aussi, et dans d'autres iels ne sauront résoudre leurs soucis, et parfois peut-être qu'iels se retrouveront un jour à nouveau sur les quais d'une gare, dans le wagon d'un métro, dans le reflet de leurs téléphones. comme dans le film. comme si l'histoire était tracée, qu'elle était obligée.
comme si les scénaristes n'en avaient jamais fini, passaient d'un staff d'un film aux pensées des spectateurs.
comme si leur histoire fictive resterait toujours dans cette boucle d'infinité, gravées sur cd.
comme si les parques existaient, et qu'elles avaient décidé d'en faire ce genre d'amour sans retour.
et, alors, winnie se demandait : est-ce qu'elles avaient écrit des histoires pour lui aussi ?
oui, iels finiront ensemble si on veut que ça soit comme ça. moi j'y crois. t'as vu non ? comme elle commence toujours tout, mais lui finit, et comment elle a une vision d'ensemble, mais lui les détails, et qu'elle est ambitieuse et qu'il la soutiendra en gardant sa routine et il sera heureux pour elle et elle apportera le dynamisme et-- iels vont être ensemble. oui, il avait lu des dissertations entières sur le couple de ce film sur tumblr, il avait regardé 90% des vidéos analyses disponibles sur youtube, mentionne cet anime au moins une fois par mois sur ses streams, avait même hésité à contacter un psychologue pour demander son avis tant ça le rendait passionné, mais évidemment il ne l'avait pas fait. ces gens-là était occupé-es.
winnie avait laissé s'échoué son menton sur le haut du crâne de son frère. de temps à autre, un mouchoir y volait, pour empêcher tout liquide de s'échapper. c'était là, maintenant, que la sensation de vide venait. l'histoire n'était pas finie, non, mais winnie avait déjà décidé comment elle continuerait, et alors il devait faire le deuil de ce conte-là, celui qui ne lui apportera rien de plus que de la mélancolie face aux paysages d'antan, et le confort triste d'une histoire qu'il voudrait sienne. parfois, il n'arrive plus à dire s'il l'adore ou la déteste.
les ventilateurs de l'ordinateur protestent soudainement, comme pour marquer la fin du visionnage et de son créneau de travail. winnie ferme le clapet du pc, le pose ailleurs. il ne reste plus qu'eux, et leurs esprits encore englutinés dans les espoirs et leurs inverses.
winnie, maintenant, se sentait seul. pas seul vraiment (son menton remua un peu au-dessus d'àlvaro), mais seul quand même. tu crois que ... tu crois que ça existe pour de vrai, des histoires comme ça ? mais qu'en savait-il ? il ne faisait qu'espérer des contes de fée, sans jamais les voir arriver.

i found love where it wasn't supposed to be

ça ne suffisait pas, alors ?
non, voulait dire winnie : àlvaro posait la mauvaise question. ce n'est pas une histoire de choses compliquées. c'est que, voilà, l'amour vient de quelque part, et on ne sait pas vraiment d'où ; alors on essaie de trouver des explications, des mots qui font sens, des métaphores de sentiments. on explique mal, parce que ça ne s'explique pas, ou alors pas vraiment totalement -on entend les papillons dans le ventre, les joues rouges, les pupilles dilatées, la gorge sèche et le cœur qui bat, bat, bat, qui crie : je suis là, laissez-moi sortir.
winnie, il a peur alors il cherche à comprendre. il a peur parce qu'il n'a jamais ressenti tout ça et on lui a dit : ne t'inquiètes pas, tu saura le moment venu ; et depuis il attend mais ça fait vingt-six ans et jamais son cœur n'a déraillé comme on le lui avait juré. jamais son esprit ne s'était dit : c'est elle, c'est sûr. jamais sa bouche n'avait eu envie de se plaquer sur celle d'un autre. jamais il n'avait eu envie de s'ouvrir en deux pour montrer au monde ses sentiments tout grands.
alors, à la place, il justifiait. il disait : ah, non, elle n'a pas exactement le même âge que moi ; oh, non, il aime nager et pas moi ; eh, non, ça m'arrivera quand ça arrivera, et on verra. il voulait vraiment y croire, à cette tranquillité d'esprit qu'il essayait d'invoquer. rien n'y fait. il est inquiet et impatient et transi de peur. n'est-ce pas trop tard déjà, vingt-six ans ? ce que pensait le monde glissait sur winnie comme l'eau sur les plumes d'un canard, mais pas ça. parce que, s'il y avait une chose que winnie voulait faire sur terre (en plus de rendre sa famille, ses ami-es, les inconnu-es heureux-ses), c'était trouver sa moitié. son âme sœur. cellui qui complèterait sa sphère, cellui dont zeus l'avait éloigné-e il y a de cela des millénaires déjà. sa part manquante.
oui, elle existe. c'est certain, si c'est àlvaro qui le dit. c'est vrai ! d'où viennent tous ces contes, toutes ces explications, toutes ses compréhensions-là, si ça n'arrivait pas ?
ça vient des autres.
ça vient des autres et pas de lui, et il regarde de loin, derrière la vitre du train qui ne s'arrête nulle part, qui ne croise personne, qui n'a pas de voyageur-euses, sauf lui et cette solitude particulière. elle ne le fait pas se sentir creux. elle lui donne l'impression qu'il pourrait être plus encore. un amoureux. un mari. un père.
s-si, parfois on fait des soirées anecdotes en stream, et on a souvent des histoires de rencontres rocambolesques. une fois, je me souviens, c'était quelqu'un de vingt ans qui n'avait pas été prévenue qu'un cours était annulé -et il y avait une seule autre personne qui était venue, lui aussi sans savoir. alors, pour tuer le temps, iels sont allé boire un café. ça ne tenait pas à grand chose. iels auraient pu se rater, si proches et si loin. dans un amphithéâtre, on ne regarde que devant. quand iels m'ont envoyé leurs histoires, ça faisait quinze ans qu'iels étaient ensemble. iels attendaient un enfant. le cœur se serre. dans dix ans, winnie aura leurs âges mais, déjà, il ne pourrait pas avoir eu quinze ans d'amour comme ça. ah ! enfin ! ce n'était -ce n'était pas grave. il écrirait la sienne. oui, et elle sera bien comme il faut juste pour lui.
àlvaro n'avait pas tord. c'était simple, on dirait. d'après les autres.
et toi ?
il ne voulait plus parler pour quelques instants.