onyx exige et ikal répond à cet appel d'un tremblement imperceptible de son être - les mots lui sont d'une violence toute nouvelle, pauvre petit lapin au rythme cardiaque affolé dans les grippes d'un loup au sourire dévastateur. il l'a vu surgir à l'entrée du danaé et c'est sans une pensée qu'il s'est terré derrière son comptoir, pétrifié, ignorant s'il devait s'enfuir ou rester ; alors il est resté, comme de coûtume, sans savoir ce qui l'attendait cette fois de cet être imprévisible, illisible, incompréhensible.
il ne lui sourit pas, ne le salue pas, l'accable simplement d'un regard perplexe, un peu craintif - c'est que les brimades passées ont forgé son corps à la défensive, et les avances plus récentes ne l'ont que davantage poussé à la perplexité. c'est une défiance toute confuse qui inspire les battements incertains et le feu aux joues, réactions qu'il peut aisément expliquer par les yeux noirs qui le décortiquent sans détours.

il lui faut du temps pour répondre, et les secondes s'égrènent douloureusement alors qu'il se démène pour ne pas se détourner de ces puits d'obsidienne - il lui semblent qu'ils happent toute la lumière, l'attirent à son tour vers les tréfonds du léthé. je... je ne sais pas trop ce que tu essaies de me dire, ce n'est pas satisfaisant, au camp, tu ne me regardais pas comme ça... enfin, je ne crois pas, tu étais méchant, voilà, mais depuis... comment expliquer ce trouble qui l'agite également ? les lèvres se pincent, forment une moue équivoque. tu as toujours envie de me faire du mal ?
car même lorsque l'on t'oublie, la malédiction, elle, n'oublie pas.

il sait déjà qu’onyx a oublié ; comme il sait que ce n’est pas de sa faute s’il l’a malmené comme tant d’autres, alors il ne le prend pas personnellement. au contraire, c’est toujours d’une résignation exemplaire qu’il supporte l’expression de son trouble, réprimant les frissons courant le long de sa colonne.

ce ne sont pas des choses qui se disent, voilà ce qu’il devrait lui rétorquer sèchement avant de couper court ; mais ikal n’a jamais appris ce langage sans concessions : il ne sait qu’offrir l’oreille attentive et supporter des paroles qui lui sont pourtant souvent accusatrices et pénibles. il a vu, d’un coup d’œil, les phalanges blanchies sous l’effort de la contenance – d’un battement de cils, a constaté, deviné, les élans qui agitent son bourreau d’antan. cela l’effraie et c’est fidèle à lui-même qu’il en demeure pétrifié, passif récepteur de cette attention qu’il n’a pas demandé à recevoir, tu me fais peur. – petit animal qui frémit sous l’emprise des instincts primitifs.

peut-être que c’est arrivé, difficile à dire quand la mémoire est altérée par les sévices des abus répétés, tu ne m’aimais pas, en tout cas, et tu me le montrais, il ne parle pas de jalousie, se refuse à évoquer arden, leur amitié, l’envie, l’ambiguïté. le regard est fuyant quand les mots eux, sont d’une vacuité pourtant sans artifices : mais ce n’est pas grave, je t’ai pardonné. il le dit sans arrogance, au contraire, avec cette candeur enfantine qui lui donne des allures puériles auxquelles on n’associerait pas vingt-sept ans. sensible à la violence qui agite son interlocuteur, il sait qu’elle n’est que le produit de la malédiction : puisqu’elle a survécu même au léthé, il comprend qu’il n’y échappera jamais.

les excuses sont singulières, accompagnées d'un mouvement de recul qui ne manque pas de surprendre ikal. il ne lui est pas coutume de provoquer chez autrui honte ou accablement, lui qui s'est habitué aux représailles gratuites. onyx lui apparait alors extraordinaire dans sa violence retenue.
ikal le dévisage alors avec un intérêt tout particulier et un peu perplexe - sans défense aucune, les talons enfoncés dans le sol.
non, excuse-moi, c'est plus fort que lui, il prend le blâme, c'était il y a longtemps, et de toute façon tu as oublié. et dans cette abnégation sincère, on décèle une naïveté soigneusement cultivée, prétendue, par instinct de préservation. il est incapable de lui en vouloir alors il s'abandonne à l'étrangeté de cette conversation inopinée. dans sa voix, une défiance persiste malgré tout. de quelles sensations tu parles ? je n'ai rien fait pourtant... encore, on a l'impression qu'il cherche à se faire pardonner pour une faute qu'il n'a pas commise.
les yeux d'onyx lui brûlent la rétine mais ikal ne s'en détourne pas, non, il n'ose pas : ce serait lui laisser le pouvoir d'exister hors de sa surveillance.
ça n'a pas l'air d'aller ? la question est posée sous tension, en résistance au vague malaise dont il est lui-même saisi. éperdument, il s'évertue à trouver un moyen de ne plus se sentir sale sous ce regard qu'il ne comprend pas.

ikal est pris par surprise. il ne s'attendait pas aux déclarations inachevées et lourdes d'ambiguité ; il ne s'attendait pas au contact qui s'impose comme une brûlure sur son épiderme ; encore moins à l'intimité éprouvée tout d'un coup en face à face, dans la solitude d'une pièce fermée. le souffle et le coeur réduits à n'être plus que des chuchotements ténus et le dos obstinément plaqué contre la porte, il lui semble que son corps cherche à s'enfoncer dans le mur et y disparaitre. que va-t-il advenir de lui ?
oui, c'est ça, ikal, et c'est un murmure qui a peur de se faire entendre. il est à la merci d'onyx et ce dernier exige des explications, alors il se fait violence pour activer ses cordes vocales afin de satisfaire sa curiosité : non, ce n'est pas toi, tu n'es pas fou. et c'est vrai, il pourrait en dire davantage, si sa voix ne tremblait pas sous le poids de la frayeur.
non, pas de pacte - une malédiction. thanatos. (ce nom que tu crains même de prononcer !)

secoué d'un sursaut incompréhensible, ikal parvient à se délivrer de ces yeux noirs qui semblaient avoir avalé l'univers tout entier. son regard se fixe au sol avec obstination. il fait ce qu'il sait faire le mieux.
excuse-moi, voilà la prière qu'il brandit toujours en supplication : excuse-moi de te rendre fou.

un instant, la confusion : celle de ne plus reconnaitre le prédateur avec lequel ikal appréhendait la confrontation en seul à seul. il demeure interdit, perplexe de constater que sa frayeur est retombée soudainement et déraisonnablement alors que son corps lui-même semble contraint de maintenir sa garde.
le dos impeccablement aligné à la porte au point d'en épouser la forme, il hoche la tête à la mention de son père. il ne dit rien, jamais, à ce sujet : il ne ressent pas le besoin d'en parler à quiconque ne partagerait pas la tare de son sang - sait déjà qu'il ne trouvera qu'une compassion empreinte de pitié, donc par essence insupportable.
ne sois pas désolé, tu n'as rien fait. ikal le dit avec une douceur distante et tiède, celle qu'on invoque pour pardonner les vices des inconnus.

onyx ne lui fait plus tant terreur mais son invitation se heurte au non précipité d'ikal qui a conservé la défiance en seul rempart défensif. enfin, excuse-moi, je veux dire, ça ne sert à rien.  comment lui expliquer qu'il a tout essayé, tout imaginé ! qu'il s'est saigné des heures durant et a échoué à se purger ; que sa seule existence accable autrui de péchés ; qu'il n'ose plus espérer pouvoir changer. ce n'est pas moi qu'il faut désenvoûter. envoûté, c'est toi qui l'es, enfin, pas que toi, c'est ma malédiction. il ne lui expliquera pas, non, pas maintenant. mais il osera peut-être, capturé dans l'immobilisme du moment, lui suggérer : tu es peut-être capable d'y résister, sans savoir que c'est là son ultime effort de préservation.