Les coups fusent. Dans un rythme aussi frénétique que soutenu, les enchainements défilent à une vitesse qui ne fait que s’accentuer. Le silence n’est rompu que par les impacts. S’il y avait un public pour observer, sans doute que beaucoup en seraient subjugués ; mais tu es seule.

C’est le genre de spectacle qu’on ne contemple qu’une fois dans sa vie… avant que tu ne la prennes. Il n’existe qu’une poignée d’individus que tu as martelés ainsi et qui peuvent en témoigner. La majorité d’entre eux sont sur l’île ; et tu ne peux plus y accéder.

Pas plus que tu ne le voudrais d’ailleurs. C’est peut-être une bonne chose d’en être bannie ; rien que la vue de certains te donne envie de vomir. Dans un coin de ton esprit, tu espères que tes petits « cadeaux » ont fait leur effet. Cette pensée t’arrache un sourire mesquin.

Sentant toutefois le souffle te manquer ; c’est après un dernier horion que tu décides de faire une pause. Et c’est quelques minutes de repos plus tard que tu te sens de reprendre.

Mais « il » vient t’interrompre. Pénétrant dans le local sans prendre la peine de frapper à la porte. Il te faut quelques secondes pour que tes yeux puissent se délecter de son expression… la mine des mauvais jours.

Sans le moindre regret ni vergogne, tu te moques de ton petit frère :

─ J’en conclus que tout le monde a reçu son cadeau ? Ricanement goguenard, tu viens t’appuyer contre les cordes du petit ring au milieu de la salle, délaissant le sac de sable. J’aurais tellement aimé voir leur tronche quand ils l’ont ouvert. T’aurais pu penser à prendre une petite photo de leur réaction nan ? Pour faire plaisir à ta grande sœur.

D’une petite impulsion des cordes pour te donner un peu d’élan, tu fonds sur le petit livreur à son papounet ; gardant une distance de deux pas.

─ Pourquoi tu fais la gueule ? T’as eu ton argent, j’ai eu ma revanche. Tout le monde est content. Ses yeux croisent les tiens ; son humeur massacrante contraste avec la tienne ; d’une jovialité sans précédent. Tu en as parlé à notre queutard de père ? Lui aussi a bien reçu son colis ? C'était le meilleur d'entre tous après tout...
 

Le geste de trop. Il se serait contenté de tourner les talons et de quitter l’endroit, tu l’aurais laissé s’en sortir indemne. Mais il fait l’erreur de te manquer de respect. Confondant témérité et stupidité. Sans doute qu’il ne t’imagine pas cruelle au point de s’en prendre à un frère ?

Ah. Mais il ne sait pas, Leslie.
Ce que ta propre famille te faisait.
Alors tu vas lui montrer.
Que ça reste gravé dans sa petite tête de con.

─ Leslie ! Attends ! J’ai quelque chose pour toi, pour me faire pardonner.

L’expression habillée de faux remords, juste de quoi attirer son attention ; qu’il baisse sa garde même une fraction de seconde… c’est suffisant. Tu murmures, nocive :

─ Un petit cours d’anatomie.

Une course rapide, comme un éclair. La prothèse gauche s’étend le poing fermé, heurtant son torse avec violence ─ et un brin de retenue.

─ C’est ton plexus solaire. Si t’as du mal à reprendre ton souffle, c’est normal, c’est fait exprès.

Cette fois tu vises le foie, assénant une série de coups de pied, augmentant graduellement ta force ; il ne faudra pas longtemps pour que sa colère se mue en terreur.

─ Je suis prête à parier… que t’es le bon petit toutou à son papounet. Peut-être même que tu lui rapportes tout ? Difficile à dire comme t’as du mal à aligner plus de trois mots…

Le poing gauche referme sa poigne sur son vêtement, le relevant afin que son visage rencontre le tien.

─ Mais il t’a mal dressé… faut tout reprendre depuis le début, petit frère.

Cette fois c’est le poing droit qui lui sert une salade de phalanges ; heurtant sa tempe à trois reprises. Curieusement, tu canalises tes coups alors que tu n’as aucune raison de le faire. À croire que tu t’adoucis à mesure que ton enfant grandit.

 

L’incompréhension imprimée sur ses traits, contraste avec la détermination des tiens. Résolu à lui nuire ; pour une raison que tu juges paradoxalement logique et rationnelle. Leslie n’est pas de cet avis, sans surprise. Aggravant encore un peu plus son cas déjà irrécupérable.

─ Folle ? Vraiment ?

Deux nouveaux coups méthodiquement placés sur ses côtes et son foie ; si tu lui casses la mâchoire, tu n’obtiendras pas de lui ce que tu veux. D’autant qu’il n’a pas encore déchiffré les raisons de ta colère, et de sa punition.

─ Je me trouve plutôt pondérée compte tenu des circonstances.

Sa chevelure fermement agrippée d’une poigne impitoyable, ton genou percute violemment son estomac. Il faut tout leur expliquer à ces gosses.

─ J’ai un problème avec toi, petit frère. Tu m’as manqué de respect.

Pendant que tu le redresses avec ta main droite, ta main gauche vient attraper la sienne, les phalanges artificielles venant caresser sa paume, puis agripper son doigt, celui qu’il n’aurait jamais dû lever vers toi.

─ En temps normal, je t’aurai déjà découpé en petits morceaux pour les envoyer à père. Mais la maternité m’a appris à faire preuve d’un peu plus de souplesse et d’indulgence. Une légère pression s’exerce sur son majeur, tes intentions sont claires. Tu es l’un de ses oncles après tout.

Et c’est la seule raison pour laquelle il respire encore… enfin plus ou moins.

─ Je vais te donner une chance, de t’excuser. Une seule.

Et la pression sur son doigt s’accentue. Un mot de travers et… surprise, surprise.
 

Tu n’as jamais su t’arrêter. Il aurait beau te supplier, tu continuerais jusqu’à ce que tu sois satisfaite. C’est d’une lâcheté sans pareille de s’en prendre aux plus faibles… mais à certains égards cette cruauté n’est que mimétique à celle que tu as vécu plus petite.


Tu les auras suppliés aussi tes frères et sœurs. Tu auras imploré les enfants Kemonobami pour qu’ils arrêtent, qu’il ne te fasse plus souffrir. Mais ils se sont montrés à l’image de vos parents : sans aucune pitié. Il est injuste que Leslie soit victime des mêmes élans qui t’ont fait tant souffrir ; jusqu’à cracher tes trippes et ton sang… mais ainsi va le monde. Il est cruel à ce point, toi aussi.

Pourtant il y a une limite à cette brutalité et cette noirceur. Une que tu t’es imposée, qui croît au fur et à mesure que le temps passe. Et lorsqu’enfin tu obtiens des excuses avant d’aller plus loin, tu t’interromps, le soupir frustré s’échappant de tes lèvres.

─ Dommage… j’aurais aimé que tu fasses un peu le fier.

Il aurait mérité une sentence plus grave encore. Mais si tu enseignes toi-même de bonnes valeurs à ta fille… l’hypocrisie de ne pas les respecter serait aberrante.

─ Mais faut bien que je respecte ce que j’apprends à ma gamine, sinon je ne vaux rien en tant que maman.

Du pied, tu viens frapper son visage pour le mettre au sol, appuyant celui-ci sur sa tempe, le maintenant au sol.

─ Bon garçon. C’est bien, tu apprends vite.

Le talon se visse sur sa joue quelques secondes, écrasant encore un peu plus son visage. Tu viens alors t’agenouiller, caressant sa tignasse avec cette douceur maternelle dont tu peux parfois faire preuve.

─ Sans rancune petit frère ? N’oublie pas que j’ai encore besoin de tes services. Je vais m’en tenir aux colis plus classiques pour la prochaine fois. Plus de caprice, c’est promis.

Il doit sans doute se demander de quel droit tu penses pouvoir profiter de son travail…

─ Dès que je ferai appel à toi, tu rappliques, pigé ? Pas de caprice, pas de connerie, pas de désobéissance. Essaye simplement de me poser un lapin…

Consciente que la terreur seule ne suffira pas à le faire revenir, tu l’appâtes avec la seule chose dont il veut bien de toi :

─ Je serais généreuse dans mes paiements. Promis, je ne ferai pas la radine. Deal ?

Une façon détournée de t’excuser pour l’avoir amoché un peu ; si tes mots n’ont aucune valeur pour lui… l’argent c’est une autre histoire.
 

Tellement inhibé par la peur que tu pourrais lui faire faire n’importe quoi. Tu lui demanderais de te lécher les pieds qu’il s’y plierait avec joie ; ne serait-ce que pour échapper à ce passage à tabac. Ironiquement ; là où il doit te trouver impulsive, tu penses être rationnelle.

Il ne peut que s’en prendre qu’à lui-même, chercher les hostilités auprès de quelqu’un comme toi… c’est littéralement demander de se faire tabasser.  C’est d’autant plus aberrant qu’il cherche des explications.

— Sérieusement ?

Pourquoi le prédateur, chasse et tue ? Parce que c’est dans sa nature. Il en a vu suffisamment pour comprendre la tienne, pourquoi s’étonne-t-il encore de ce qu’il voit ? Sans doute parce que tu es la seule de toute la fratrie à être aussi cruelle avec lui.

— Tu payes juste le prix de ton insolence, ça te servira de leçon pour la prochaine fois.

Le sourire mauvais aux lèvres ; plus tu le regardes et plus tu trouves qu’il a une tête à claques. Il y a un monde d’écart entre ta relation avec lui et celle avec Arden. En y repensant, tu as l’impression de ressembler aux ainés tortionnaires de l’archipel japonais.

— La prochaine fois que tu veux chercher la merde, rappelle-toi que j’ai été banni de votre havre de paix pour de bonnes raisons… fais un peu marcher ta cervelle.

Un soupir.

— Bon… je vais m’arrêter là pour aujourd’hui. C’est d’un ennui mortel de cogner quelqu’un qui ne réplique pas. Un conseil petite crevette : apprends à te défendre.