le temps
passe
un peu, sûrement
les chiffres -les chiffres, je les connais toujours, je crois que ça serait la dernière choses à m'enlever si on me prenait un jour tout ce que je sais, parce que les chiffres, les chiffres veulent dire tellement de choses comme :

• il y a 5 minutes j'ai bu un café (je n'aime pas les cafés)
• dans 2 minutes je demanderai (et alors je saurai et tout s'arrêtera de trembler je crois je n'en suis pas sûr-e je me retiens pour me ronger les ongles c'est rien ça ira)
• il y a 2 mois et 3 jours je suis sorti-e sans pull (c'est l'été déjà et l'été je ne l'aime que par moment, c'est-à-dire quand le soleil paraît une bonne idée, quand les fleurs m'accueillent et qu'elles ont toute l'eau qu'il leur faut)
• il y a 8 jours jacinthe n'est pas revenu (peut-être qu'il s'est perdu je ne sais pas à quel point il se débrouille avec une carte)
• dans 5 minutes je reprendrai sûrement un café (c'est la faute de jun si je ne les aime pas, ceux du distributeur, je n'aime que ceux le matin qui sont déjà prêts quand je me lève quand ils sont pas amers je ne sais pas si c'est à cause du sucre de la crème ou de lui)
• dans 3 heures ma chromatographie sera terminée (il faudra retourner au labo se pencher sur les tâches et les lire comme on le peut oui s'éloigner d'ici c'est que j'ai es choses à faire des avenirs à bâtir alors adieu le monde, adieu oui, adieu les fleurs lilas)
• dans 1 jour je lui enverrai un message (je dirai : luther, si tu as mangé tu me dois mon dû, et j'irais peut-être le voir et comme d'habitude j'aurais la sensation de m'être fait avoir)

les chiffres mènent à d'autres endroits
certain-es cherchent les portails vers d'autres mondes mais ils sont là déjà
et puis, parfois, ils nous gardent ici
enfin, ici mais ici dans ma tête, ici dans un monde qui tremble et rouge et la gorge sèche et ils défont les phrases jusqu'à ce qu'il n'y ait plus aucun sens et qu'il ne reste qu'un sentiment et un chiffre un nombre l'un qui devient l'autre parce que le temps
passe
et donc, cela fait 8 jours maintenant
et 16 heures
je le sais j'ai un chronomètre sur mon téléphone d'ailleurs c'est une mauvaise idée d'avoir un chronomètre sur son téléphone solan arrête-le de suite allez vas-y appuie sur le bouton efface-le il n'existe plus pour toi ça ne sert à rien il n'a jamais été plus qu'un
plus que
plus que des chiffres (4 ans et 11 mois que mon père a disparu)(2 ans et 8 mois que j'ai la lettre au fond du coffre fort)(8 jours et 16 heures et 26 minutes et 15/16/17/18/19/20//22 /////23//////////25///////////////////////// secondes)(j'appuie sur le bouton)(il a disparu, comme ça, d'un rien)
la séance est levée
on entend les gens marcher
il faut que je choisisse bien, que je saisisse l'instant
je regarde, les yeux curieux, qui dévisagent sans trouver ce qu'ils cherchent
il n'y a pas de fleurs ici, iels n'ont rien planté et alors ! alors comment voulez-vous qu'on puisse vivre dans l'ecclésia au lieu de seulement subsister, à s'accaparer de l'oxygène que d'autres ont créé (loin d'ici)
les silhouettes disparaissent, il faut agir
j'avais déjà choisi avant de venir
au cas où
c'était une épée à double tranchant dionne ! c'est que tu es de celle qui saurait le mieux, oui, et si quoi que soit s'est su, tu aurais des hypothèses peut-être meilleures excuses que les miennes,
et
peut-être qu'aussi cela mettra un chien de chasse sur une piste
c'était stupide
solan solan t'aurais pu juste attendre, ne rien dire, mais shhh, shhhhhhhht arrête, concentre toi, garde la brume au creux de ta main ne laisse rien paraître, non ! semble inquiété-e mais pas trop garde le regard fixe dis-toi : un ami me manque (j'ai envie de vomir) désolé-e de vous déranger, est-ce que vous auriez un instant à m'accorder ? bien sûr la
politesse
pour les gens comme ça, comme moi j'aurais dû être, il paraît que c'est important (pourtant on sait y a que les chiffres qui ont du sens) alors je m'y plie et si ça garde un écart entre elle et moi alors oui hum, je cherchais jacinthe, et je pensais le trouver à la sortie du conseil, mais je ne l'ai pas vu ? je laisse ça là ah c'est laid mal dit si je le pouvais j'écraserai pour tout réécrire mais c'est trop tard et tant mieux si ça paraît normal
les yeux clairs te regardent
les sourcils froncés
la moue fermée

je n'aime pas poser des questions aux autres parce qu'iels ne répondent jamais comme il faut, c'est-à-dire : a. avec des stupidités, b. avec des banalités, c. avec trop peu de détails, d. d'autres choses sûrement que ce classement inopiné ne couvre pas et ce que tu dis ça va là-dedans dionne dionne dionne ce n'est pas la réponse que je voulais mais ah ! je te pardonne
je ne t'ai pas posé la question qui allait avec aussi (est-il mort ? pour de bon pour de vrai ? il reviendra jamais ?)
et alors, je sais
les sentiments étaient mon erreur.
ça se voit dans le reflet sur tes dents quand tu souris et que c'est juste une manière de voir s'il ne reste pas un morceau de viande entre tes canines et tes incisives,
ça se voit dans ta politesse dans celle si normale qu'on ne la justifie pas et moi je sais, tu sais, je suis traitre aussi et sans le savoir on a cette normalité qu'on joue en espérant être à l'équilibre, ni trop ni assez
une semaine déjà
que le rôle était plus difficile
une semaine oui
c'était bien cela
si
dionne est belle, féminine d’une fraîcheur qu’on admire et, à ses côtés, moi je voulais être aussi jolie qu’elle, pire ! en sa présence, je voulais mentir comme mentent les femmes dans les films faits par les hommes : en minaudant, en étant précieuse, en étant plus une image qu’un vrai être, en étant pandore innocente qui déverseraient tous les maux et qu’on accusera de tout -on en oubliera qu’on l’a créé juste pour ça
je voulais être coupable, parce que je n'avais jamais été faite pour quoi que ce soit d'autre
je voulais être coupable, parce que je savais alors que ce n'était pas ma moralité qui serait jugée
je voulais être coupable, parce qu'on m'élèvera plus tard en rang de mythe d'icône d'injustice
mais ah ! je ne suis poupée de personne
j'ai créé mes propres malheurs
alors je mens comme celle qui a la bouche sèche, et les yeux ronds, et le visage qui se tourne un peu pour pas que tu le vois, les cheveux qui cascadent en rideau, en paravent pour cacher la vulnérabilité de mes sentiments
de ma rage de l'injustice de savoir : je l'ai tué sans le savoir
sans en tirer aucun plaisir avant la crainte la peur l'angoisse
ah ! il l'a mérité
il ne m'a pas aidé à sauver auparavant, alors je n'ai fait que renvoyer la balance
c'est juste un autre type de meurtre
enfin, pas depuis une semaine. on a un projet ensemble, on devait se revoir sans mettre de date, et bon, tu le connais, une fois qu'il est dans une de ses phases frénétiques, rien ne l'arrête c'est vrai c'est vrai et tu sais comment je le sais ? j'ai été une de ces phases-là mais hier je suis allée chez lui, pour en parler, et il n'a pas répondu, et il n'y avait pas de lumières allumées, ou de cris comme il en fait d'habitude, aucun signe de lui. alors je suis rentrée. et me voilà, ça continue dans le silence
j'ai essayé de contrôler ma voix mais je crois qu'elle a laissé des remous s'y glisser et je me cache je ne devrais pas porter ma tignasse en coiffe de deuil déjà ce n'est pas annoncé et d'ailleurs ! peut-être
peut-être
n'est-il pas mort
(ahahahahaahahahahahahahahhahaaah)
il faut que je sorte de ma cachette
le visage se tourne, te regarde droit dans les yeux
les sourcils sont froncés, les pupilles un peu vacillantes
je suis inquiète pour lui, dionne. quelques jours, ça va, ce n'est pas inhabituel, mais une semaine ? rater des conseils ? et elles passent les émotions elles ne se retiennent plus c'est un mélange étrange ah l'inquiétude oui elle est là (qu'il soit vraiment mort, que ce soit ma faute, qu'on le sache d'une quelconque manière) et la colère aussi (qu'il soit parti aussi simplement que ça sans feu d'artifices après tout ce qu'il m'a fait subir) et le marchandage  (peut-être pas encore !) et le choc et la panique et le questionnement et l'angoisse et il ne sait même pas se nourrir correctement tout seul. les confessions d'une vieille amie de lui
d'une femme qu'il a créé dans son imaginaire
jacinthe : c'est tes tords qui t'ont tué face à mon image de vierge éplorée
(j'espère que tu m'as peinte avant d'expier tes péchés)

les sentiments étaient mon erreur.
évidemment ! évidemment dionne tu ne te fais pas avoir par des larmes et des inquiétudes bien sûr ! bien sûr que ça ne t'intéresse pas mes états d'âme et les suppliques tremblantes mais non ! non, tu n'es pas comme ça je sais parce que c'est ton métier d'enlever toute émotivité aux choses et de ne leur redonner qu'une fois enfuie de l'ecclésia une fois le téléphone refermé une fois que tu as arrêté de réfléchir mais arrête-tu jamais ? ça fait si longtemps que tu es là, dionne, est-ce cela qui nous attend ? le marbre de ta peau mérite-t-elle les efforts que l'ont s'inflige pour rester en vie ?
ne réponds pas
ce n'est pas la question
oui, ne parlons pas de mort, pas de vie
puisque ce n'est pas le sujet.
oui, la milice, bien sûr c'est vrai assurément tu proposes ce qu'il y a de plus logique de plus tangible honnêtement, je viens d'apprendre par toi que cela fait plus d'une semaine, ses collaborateur-ices proches n'auraient déjà signalé une absence irrégulière ? ah ! personne alors ? ni son équipe, ni ses ami-es, ni ses amant-es ? quelle triste vie,
peut-être lui ai-je fait une faveur
ce n'est pas grave -je me débrouillerai pour qu'iels signalent à ma place
mais ce n'est pas le cas, on dirait, si tu n'en as pas entendu parler, ou qu'une alerte n'a pas été diffusée à nausikaa. j'imagine que ... qu'il n'y a rien. que comme tu dis, c'est une lubie. je ne sais pas. un ambassadeur, ça ne disparaît pas comme ça, j'imagine. un instant de doute, de repli, de presque vulnérabilité, je montre la déception derrière mes traits en préparation de ce qui est à venir ; quelle ironie, non ? si quelqu'un pouvait répondre à cette question, c'était bien t o i
le souffle, long, la nuque qui penche, je recommence ; je le sais c'est une erreur de jouer là-dessus mais ne dois-je pas me justifier ? je sais mentir mais pas à ta hauteur et ces questions font frissonner mon dos tant elles sont tranquilles, je n'imagine pas
le jour où
ça sera mon tribunal a-ah, à vrai dire, je-- je crains qu'il ne m'évite. la dernière fois qu'on s'est vu-es, on s'est ... engueulé-es disputé-es querellé-es oh le sous-entendu est si gros je n'ai même pas besoin de le dire et le pire c'est que je ne mens même pas ahah et l'air triste s'affiche se consolide il est réel je suis triste triste triste de ne pas avoir su avant et ! sans perdre une seconde je me
reprends
on a eu un désaccord. et si je l'avais tué ça n'aurait aucun sens de venir ici n'est-ce pas mais, ah, je ne vais pas t'embêter avec ça ! tu as du travail, probablement. tu n'es pas plus grande mais je te cours après et l'image ne me plaît pas on dirait une prémonition une métaphore plus grande que nous, serais-je condamnée à te recopier maladroitement ? merci de ton temps, dionne.
puisqu'il fallait toujours être polie quand on parle à plus maline

je n'aurais pas cru entendre ça de toi dionne -non, pas un non impérial, pas un ordre ni une preuve pas un fait ou une opinion mais juste un non qui demande, qui supplie même un peu, m'étais-je trompée alors ? y avait-il, sous tes horizons d'analyses, une terre de sentiments ? fallait-il creuser si profond, bien plus loin que la largeur de ta peau, pour arriver à te toucher ? fallait-il invoquer la mort, et les tristes choses encore, fallait-il faire partie de celleux qui pleurent, fallait-il que je me présente victime alors ?
parce que ça
je sais le faire
ne suis-je pas joli moi aussi ? oh j'aurais aimé que tu me le dises dionne mais ça ferait mauvais ton dans cette conversation ; ce n'est pas grave, tu me le dira une prochaine fois, je m'habillerai tout bien juste pour toi et alors personne ne saura que c'est un déguisement un loup dans la bergerie --ne t'inquiètes pas
je n'ai pas faim
je veux juste croire que je suis agneau encore un peu
d'accord et la nuque baissée veut dire : j'espère que vous trouverez, parce que je veux savoir je veux savoir mais s'il a été avalé par un monstre vous n'en saurez jamais rien il ne sera que disparu et s'il revient, s'il revient, il a pas le droit de revenir il --
ah ! dionne, merci ! dionne, merci vraiment, de me ramener les pieds sur terre de m'interrompre dans cette colère décorée de larmes merci dionne de me l'avoir demandé je n'étais pas certain oh ç'aurait été si dommage de rater cela et mes yeux
sont si grands
ils te regardent, toi qui domine de quelques centimètres bien suffisant
ta main sur le métal de mon bras -il est froid, bien sûr
la lèvre frémit, elle tente de dire quelque chose, et puis et puis ça paraît trop non je ne peux décemment pas te le dire l'avouer là comme ça droit dans les yeux j'ai besoin d'une pudeur pour raconter ces choses qui te feront trembler non et après je ne peux que regarder le sol tes jolies chaussures tes talons trop hauts et les élégantes couleurs qui te donnent l'impression de venir du printemps c'est -- ce n'était pas comme ça, non, je … il … c’est … c’est un peu délicat les yeux qui s'embrument pour de vrai parce que comment a-t-il osé ce connard cet idiot ce traitre à mon nom il m’a fait des avances, et je … je ne … j’ai refusé, il n'a pas apprécié ça s'entend clairement enfin, je suis partie, je suis rentrée et j'ai retrouvé mon copain, c'est tout c'est aussi simple que ça et rien que je n'ai dit est un mensonge et quand ça part quand le bouchon s'en va tout dégouline ça sort d'un coup sans s'arrêter sans prendre de pause on dirait un discours paniqué mais on y trouve tous mes alibis toutes mes justifications c'était il y a trois semaines et je sais que tu l'as vu après parce qu'il a dit qu'il resterait un peu parce que quand j'ai refusé ses amours il m'a demandé et j'ai répondu : tu sais ce que je veux (ce que je veux c'est ta mort qui me rend service, et alors moi je n'ai rien fait tu as tout fait tout seul je ne t'ai même pas ordonné de te sacrifier) je ne l'aime pas comme ça mais je tiens à lui. c'est la vérité rien que la vérité toute la vérité. je veux qu'il revienne. ça aussi c'était vrai mais ce n'est pas tant ce qui m'intéresse parce que ---dionne
tu as juré
si je t'avais dit les secrets qui ne sortent pas de ma tête, aurais-tu menti au conseil ?

et alors soudainement nous sommes deux traites : le théorique (toi) et l'application (moi)
c'est tentant vraiment de te faire changer de camp de te dire des horreurs que tu n'aura d'autres choix que de garder mais comment t'avouer que jacinthe s'est tué tout seul parce que je ne lui ai pas demandé ? toute cette histoire n'a pas de sens à moins d'être lui ou moi et malheureusement on dirait qu'il ne reste qu'une seule option, et moi je suis déjà pris et jamais personne n'entrera dans ma tête c'est interdit c'est interdit interdit et devant le conseil je n'irais jamais non plus je préfère encore la cavale que le risque oh certain-es pensent sûrement que ce sont des synonymes mais pas du tout, pas du tout : leurs natures sont différentes
le conseil est une pré-prison
la fuite est une liberté
bien sûr, je préfèrerai aucun des deux
et c'est pour ça que je me tais que je ne me laisse pas tenter
j'ai le couteau entre les doigts et la lame cisaille mes phalanges
ça te serait simple de la pousser jusqu'à mon coeur
mais toi, tes mains sont occupées par d'autres clés (celles qu'on ne retrouvera jamais non plus)
non, je-- je ne crois pas et dans mes hésitations j'essaie de montrer que je réfléchis comme je vois mes amies parfois prendre la faute quand ce n'était que celles des autres et c'était si évident pour moi éduqué comme un garçon mais elles semblaient être obligées de se blâmer pour accepter de condamner j'étais trop secouée je crois même que je n'ai rien dit je suis juste partie quand j'ai pu, j'ai pleuré de suite je crois ? je ne sais plus. d'un souvenir flou comme ceux qu'on a quand on n'est plus vraiment soi et oh ça non plus ce n'est pas un mensonge je n'ai pas explosé je n'ai pas hurlé j'étais si calme dans ma déception parce que je savais qu'elle arriverait bien un jour justice ne sait pas de qui il s'agit, je n'ai pas donné son prénom, ni trop de détails vraiment, je ne voulais pas--- le contaminer
je ne lui parle jamais travail parce que je ne veux pas
l'emmener avec moi
là où il ne survivrait pas.
et quand mes yeux remontent et qu'ils découvrent ton sourire, je pleure encore plus. je me sais cruel. et écoutée. c'est une ambivalence étrange, ce sentiment de trahison qui tapisse ma gorge comme un pare-feu à mes vérités horriblement présentées. je sais que je trahis plus que toi, mais c'est dionne devant moi,
et ta gentillesse panse les plaies de celle en moi qui avait peur de l'amour trop grand de jacinthe
je suis un homme malhonnête
parce que j'en avais marre d'être une femme terrifiée
mais tu la fais revenir et je déteste ça, mais tu la fais revenir alors je te la donne, je te la confie, fais-en ce que tu veux, elle n'est plus très utile je suis venue pour lui dire qu'on a qu'à tout oublier maintenant qu'il avait rempli sa part du marché, et pour revenir comme on revient toujours envers ces gens qu'on aime malgré le fait qu'on les déteste aussi terminer cette histoire une bonne fois pour toutes refermer les livres et les ranger dans les plus obscures librairies là où personne n'irait plus jamais la chercher mais il n'est pas là.
et il ne le sera plus jamais, je crois
je ris en-dedans
d'un rire bref, sans joie, d'une voix d'homme, comme seuls les hommes peuvent encore mentir par peur d'être trop faibles.

ai-je le droit, encore ? de natter mes cheveux, de les laisser longs, de vouloir porter des robes, de signifier ma féminité en ne pensant qu'aux clichés ? ai-je le droit, encore, de m'affirmer en elle(s) quand ce que je fais les blesse une fois qu'elles sont devenues si braves d'être vulnérables ? ai-je le droit encore de crier aux mondes quand parfois je dis des mensonges ? ai-je le droit d'être en colère ai-je le droit de pleurer ai-je le droit à tes mouchoirs ?
c'est que, soudainement, devant cette grande dame qui est toi -celle qui a vu beaucoup de choses, et qui sait les mécanismes les plus retords-, je crois qu'il ne reste plus qu'une fillette
celle d'à l'époque
quand rien n'était arrivé encore
quand elle ne devait même pas exister alors
quand jacinthe est venu et qu'il lui a dit qu'elle était jolie
on dirait un autre temps, une autre époque, une autre vie
et quand tu tapotes mes larmes, tu éponges le sang aussi
un instant alors, je me dis : il ne m'a jamais rien prouvé, jacinthe
ah ! je devais le croire sur parole, jacinthe
parce que rien dans ses gestes ne criaient la tendresse
et alors je crois que, lui aussi, il s'était trompé
ce n'est pas grave
c'est une horrible histoire qu'on ira jamais raconter
je ferme les yeux en même temps que j'oublie
et je laisse les souvenirs s'échapper par mes yeux
que vas-tu faire d'eux ?
j'aurais aimé te prendre dans mes bras
je n'en ai jamais parlé à personne et
je me croyais coupable, et injuste à justifier le crime commis par moi en réponses à ses délits
mais peut-être
peut-être que

ah, non
je ne sais pas.
je prends le paquets de mouchoirs
et dans le silence des reniflements, j'acquiesce.
oui, ça ira
le loup dormira tranquille ce soir.