Souvent, on vient endormir la soif de sang aux bains publics. Le bruit de l'eau et les murmures le bercent alors qu'il s'applique à sa toilette de son côté, en silence.
L'eau détend ses muscles fatigués, caresse sa peau marquée par un quotidien violent et vient effacer les pensées qui lui pèsent de son esprit. Parfois, il pense aux Spartes. Ce temps où il pouvait frapper sans retenue et côtoyer ses semblables. Pas de politesse, pas de détour, pas de stratagème.
L'ecclesia, c'est différent.
Mais telle est sa volonté.

Tout apaisement à une fin.
Ellair émerge, observant une dernière fois le bassin où baigne déjà moins de monde, puis se lève. Il est temps de retourner à sa servitude. Alors le protecteur longe, tranquille, le bassin commun. Dans un lieu reposant comme celui ci, sa garde est basse, son esprit ailleurs.
Il rejoindra son corps bien vite : à le seconde où, poussé par un fou furieux, il tombe à l'eau.

Une expression surprise s'invite sur son visage habituellement las : peu de gens peuvent prétendre lui dérober son équilibre ainsi ! La tête hors de l'eau, il observe son assaillant.
Sohel.
Vieux frère d'arme agité qui l'attend au bord de l'eau.
Surpris, puis confus, il dévisage le grand tatoué ronchon.

- Quoi ?

La raison de son agressivité lui échappe. Par politesse pour son adelphe, il lui offre un mot qui ressemble à un râle agacé.
Un soupir, puis il se traine vers le bord du bain.

- Pousse toi.

Il l'empêche de sortir à le fixer bêtement.

Voilà qu'il l'agace.
Un autre contact suffit à transformer son expression lasse en une grimace sévère. Sohel peut être tout juste lus grand que lui, de quelques années son aîné, cela ne l'empêcher pas de le regarder comme si c'était le contraire.
C'est nouveau, de dévisager ainsi ce visage qui lui inspirait autrefois autre chose que de l'agacement.
Les temps changent.

Ah.
Son départ des Spartes, il aurait dû s'en douter. Un départ si soudain, une désolidarisation de ses frères d'armes pour suivre aveuglément son souverain.
Naïvement l'ancien Sparte pensait que cela leur ferait ni chaud ni froid. Un autre combattant serait venu le remplacer.
Cela devrait le toucher, cette rage; c'est qu'au fond, ce n'était pas qu'un combattant sans valeur.
Mais là, Ellair voit rouge.
S'il voulais une réponse, alors Ellair aurait répondu que Sohel aurait pu réagir comme un adulte et le laisser vivre sa vie.
Mais Sohel n'est pas le seul à lui en vouloir. Par contre, c'est Ellair le seul à ne pas réaliser qu'il enchaîne les mauvais choix.

Son regard noir le toise, mâchoire serrée, aucun mot ne franchit ses lèvres encore; il s'agirait de les mériter.
La distance se réduit, et à nouveau, Sohel hurle. Ah, ça le saoule. Tout ce bruit, après tout ces efforts pour se détendre...

- Ah ouais ?

Tout juste grogné entre ses crocs, sans le quitter des yeux.
Et la violence lui vient sans prévenir. A son tour, il le pousse pour le faire reculer et profite aussitôt pour récupérer un ou deux pas en avant sur son adversaire.

- Je vais passer, alors bouge avant que ça finisse mal.

Quelque part, il espère que cela se passe  mal.
Ses poings réclament plus : ils sont déjà fermement serrés, ses appuis sont déjà sûrs. Ce n'est qu'un avertissement en souvenir du bon vieux temps, celui où ils s'amusaient encore ensemble comme des chiens fous.

C'était sûr.
Les mots, ce n'est pas pour eux.
Les avertissements non plus.
A moitié nus au bord de l'eau ? D'autant plus de raison de se battre, à voir qui est le meilleur, sans aucun artifice. C'est l'une des raisons pour laquelle il apprécie tant Sohel. Mais tout cet amour est lointain, à ce moment précis. Ni chez Sohel, ni chez Ellair.

En pleine crise de jalousie, le Sparte.
Ca lui manque. Ces frères d'armes, ces coups, cette honnêteté. Des gens qui s'enflamment et pas des gens qui se toisent. Oh, y en a bien, une vieille, qui s'enflamme rien qu'à le voir, mais pas comme Sohel.
Pas comme ses camarades.
Qui maintenant, le voient comme un traitre.
Cela l'aurait peiné s'il n'y avait pas Cecil pour taire ce genre de sentiments. La laisse ferme autour de son cou, il ne le sent pas, ce tiraillement au cœur.

Puis il lui arrache un ricanement.
Mauvais présage, un rire qui invoque le souvenir de son parent divin avec que ses yeux brillent. C'est parti, la fureur le prend. Il n'y a que ce rictus pour le signaler.

- Tu veux voir ?

Le coup part.
Une salade de phalanges qui vient s'éclater contre sa joue.
Envolé, le calme des doux bains chauds d'Olympus district. Quand Sohel l'aura rejoint dans sa frénésie, les coups vont claquer et résonner au même rythme que l'eau du bassin, encore claire pour le moment.

- Ramène toi, je commence seulement !

D'autres coups suivent, maintenant qu'ils sont lancés. Juste de quoi le forcer à parer, sans prétention. Son but est juste de se rapprocher assez, pour le balancer à l'eau s'il trouve une faille.

Il est prêt.
Pas besoin de se retenir avec ses frères.
Et il hurle, Sohel, des idioties comme toujours. Il hurle pour deux, et enfin, vient le chercher.

Ellair se protège, et lorsqu'il veut lui éclater à la tronche à son tour, il encaisse. Ca grogne et ça ne peut pas s'empêcher d'avoir un rictus aux lèvres à cause de la  nostalgie.
Cela lui avait manqué...
Une meute de loups qui ne communique qu'à coups de crocs et de grognement.
Une vie pleine de légèreté, pour lui.

Traitre.
Là, les belles règles du combat se perdent. Son rictus s'efface, laissant que les crocs.
Alors c'est ça, le fond de sa pensée ?

- TRAITRE, MOI ?!

Pas le temps de niaiser.
Cette force divine qui coulent dans leur veine, il sera le premier à l'appeler.
Ellair se jette sur lui, sans sommation.
Tout à l'heure, il glissait, et là, le protecteur compte bien s'en servir à son avantage; il le tacle, et le pousse à l'eau.
Dans l'élan, lui aussi chute.

Cela ne le calme  pas pour autant, non, cela a même l'effet contraire. Ils sont bien beaux à lutter pour se déplacer ! Mais la furie trace son chemin faire son frère, une fois avoir dégagé ses cheveux mouillés de son visage d'un geste sec.

- TU PENSES QUE C'EST FACILE ?!!

Oh, il regrette ne pas pouvoir agripper un col, ou donner un coup de pied...

Il souffle à travers ses crocs, puis se reprend, essuyant avec frustration le sang de ses lèvres.
Traitre... Voilà qui avait eu le don de le sortir de lui.

Et ses yeux le fusille.
Aussi con qu'un Sparte, fils d'Arès, puisse être, il n'a pas tort. Son coup le touche et écarte légèrement son visage. Sohel en profite pour le renverser et le clouer au sol à son tour.
Ellair se débat, tente de griffer les bras qui le retienne au sol et malheur à ce qui s'approcherait trop près de ses canines !

- Ta gueule et frappe !!

Comme s'il voulait y réfléchir.
Cecil a demandé, et il a dit oui.
Comme toujours.
Il n'aurait pas besoin d'entendre les mots que pour plier le genoux et renouveler serment. Alors, songer à ce départ était proscrit.
Ces sentiments devaient restés enfouis pour permettre au royaume que Cecil a construit dans sa tête de tenir debout, solide et fier.
Ses bras le défendent, mais l'une de ses mains finit par attraper son poing et le stoppe, serrant à y planter ses ongles.
Puis, vestige du père, il ricane.

- Me dis pas que je te manque...

Eux, lui manquent.
Il tire la main piégée dans la sienne, puis se hisse un peu pour pouvoir le mordre. Fort, rapidement, de quoi se dégager de là et lui coller un coup de pied pour gagner le temps de s'écarter.

- C'est tout ?!

Il relève les poings.
Il saigne, mais cela ne l'a jamais arrêté.

Ah,  les cris, le déni sentimental.
Cela lui arrache un demi sourire entre deux coups, ensuite, un ricanement.

- Tu te jettes sur moi tellement je te manque... J'en suis presque touché.

Mais Sohel est coriace.
Son coup au visage le surprend, et le fait grogner.

- Arrête de chouiner... Je suis plus là, ça change quoi, hein ? Rien !

Les Spartes continuent leurs vies, et tout se passe bien.
Au final, que changeait il ? Un autre combattant, plus fort, serait venu à son tour et l'aurais remplacé.
Mais qui d'autre aurait été aussi bon que lui pour protéger Cecil ?

Ellair en profite pour essuyer la commissure de ses  lèvres, d'observer le sang s'étant étalé sur son pouce et froncer les sourcils.
Ah, pauvres bains... Témoins de leur lutte insensée. Taché de rouge, y a qu'à baisser les yeux pour le constater.

Tu fais que gueuler, c'est épuisant.

Ah, cet effort l'a fatigué. Cette fois, il reste juste sur ses appuis et attend, défensif, qu'il vienne à lui s'il a fini de causé et de pleurer.

Un aveu d’affection.
Un nouveau poids qui pèse sur ses épaules, une nouvelle déception familiale. C’est qu’il les collectionne, et le tourmentent lorsque la nuit tombe et qu’Ellair attend le sommeil.
Ce sont les yeux de Sohel, plein de haine et de rancoeur, qui griffent sa carapace d’indifférence. Ils ouvrent le chemin pour les autres à venir, qui viendront percer sa peau et commencer sa remise en question.
Mais pour l’instant, ce ne sera que de la violence.
Même s’il l’aimait bien aussi. Que c’est le petit frère Sparte rêvé.

- Y a eu aucune conséquences, Sohel !! Tu n’as aucune raison de m’en vouloir vraiment, pas vrai ?

Ah, il lui arrache tant de mots que ça le frustre.
Et il le provoque.
Lui grogne, resserre les poings.
Il se permet quelques pas, tourne en rond comme un tigre en cage et remarque finalement qu’il y a d’autres baigneurs aux alentours, qui ne savent pas quoi faire. Aussitôt, il les oublie et fusille Sohel du regard.

- Ah tu m’énerves…

Tendu, et cette pause lui donne cette sensation d’inachevé, un goût amer en bouche. Un trop peu de sang sur sa langue. Si Sohel est si en colère contre lui, alors il veut le sentir d’avantage. S’il l’aimait autant, il devrait être au sol à rire entre deux de ses coups.
Alors il souffle du nez, long soupir agacé, essuyant le sang au coin de ses lèvres.

- Tu sais quoi ? Je m’excuserai que si tu gagnes.

Ellair s’approche, torse gonflé, avec l’arrogance du protecteur des Olympiens.

- j’te laisserais frapper en premier mais…

Mais son poing est déjà parti.
Il avait trop faim.

- Je tiens a te prouver le contraire.

Il ne s’est pas ramolli.
Ce mensonge le met hors de lui.
Ellair ne hurle peut être pas, mais il reste furieux qu’on le sous estime ainsi; ses pupilles glacial transpercent son ancien ami, attendant ses coups comme s’il était déjà vainqueur.

La conviction de son frère lui vole un rire sincère.
Il lui rend le coup, sans effacer un sourire de son visage.
Le retour des duels sans raisons entre fils d'Arès... Une violence propre à lui et ses frères, un langage mine de rien affectueux.
C'est le moment de lui rétribuer deux ans d'amour fraternel, et comme c'est un vrai battant, un mec solide... Ellair se lâche. Ses coups, ils sont les mêmes. Mais entre fratrie, pourquoi se retenir ? Un coup en vaut deux, et dans ce festival de douleur divinement doublée,  ses oreilles sifflent. Une balle tirée dans son pied, mais quand il s'agit du bouquet final, pourquoi se retenir ? Non, Sohel mérite toute sa force.
C'est un frère, il peut tomber devant lui.
Lui offrir cette victoire s'il le faut.
Il  lui offre bien des compliments après tout, qu'il reçoit dans un sourire furtif.

- Toujours!

Et les  coups de Sohel pleuvent. Ellair se défend de ses bras, mais ce n'est pas suffisant. Le Sparte a beaucoup appris en deux ans, comme comment meurtrir son adversaire.
Incapable encore de réduire la douleur, Ellair encaisse. C'est ce qu'il fait de mieux.

- Tu t'es amélioré, Sohel ! Tu gagnera peut être si tu continues !

La  fatigue lui vient enfin.
Sans remarqué le sang qui coule de ses tempes et tombe sur le sol humide des bains publics. Ils se sont vidés, même, leur laissant un peu d'intimité.
Un coup de son adversaire, Ellair en profite pour utiliser sa force contre lui, et le renverser ainsi, manquant de tomber avec.

- Nos combats m'ont manqués, mon frère.

Tristesse passagère, qu'il ne réalise pas lui même.
Ellair lui tend alors sa main pour l'aider à se relever, a bout de souffle.