Ça m’a agacé à la seconde où j’ai posé le pied sur la plage : j’ai du sable plein les chaussures, chaque pas est un calvaire, et le vent souffle trop fort et emmêle mes cheveux, et la mer fait trop de bruit et couvre le son même de mes pensées—je déteste la plage. Georges m’avait eu dans un moment de faiblesse, c’est vrai. Je n’avais rien d’autre à faire et personne à voir, et la perspective des heures de route vers l’île, de la soirée dehors, du sourire solaire de Georges m’avait parue préférable à celle d’une nuit d’ennui total à me fossiliser chez moi. Et je regrette d’avoir cédé : je déteste être là. Prétendre l’indolence sur cet îlot grand comme un jardin, ça me retire le goût de la fête.
Ça ressemblait à toutes les soirées d’été de films américains, un cliché lisse et gentil de l’ivresse de vivre et de l’insouciance juvénile de ceux qui se donnent le jour au soleil pour en garder la tiédeur même en pleine nuit. Il y avait un feu, parce qu’il en a toujours un, et de la musique aussi, et dans le groupe faussement californien dont les cheveux défaits portaient la promesse d’un bain de mer sous minuit, j’ai reconnu Georges. Je voulais déjà déverser tout mon venin, tout mon agacement, mais je l’ai trouvée mignonne, j’ai flanché ; puis je l’ai vue si heureuse, j’ai voulu gâcher ça.
Geooooorges—
J’ai passé mon bras autour de ses épaules pour sentir si sa peau d’ambre portait encore la chaleur du jour : je sais très bien que j’y trouverai la mollesse tépide des bienheureuses pour qui l’été ne se termine jamais, un alanguissement extatique que je lui envie, en vérité. Je me suspend presque à sa nuque pour implorer sa pitié, sa tendresse, je veux qu'elle me regarde de ses yeux pétris du bleu de la ligne d'horizon, et qu'elle voie mon sacrifice, mon grand sacrifice, celui que je fais par amour pour elle.
J’ai mis des HEURES à venir ! C’est quoi le plan, alors, on reste là ? On s’ennuie, non ?
Je balaye la plage du regard pour embrasser le tableau d'une soirée pitoyable qui ressemble à toutes celles qu'on avait déjà fait ensemble, qui se superposent en un kaléidoscope de nuits insupportables dont je rentrais tout ensablé, les cheveux lourds du sel que portait le vent. C’est vrai, oui, je veux qu’elle me regarde et qu’elle ne voie que moi, qu’elle me dise pauvre toi ! et qu’on s’en aille enfin.
Je t’ai apporté un cadeau, regarde !
Pour l’attendrir, j’ai sorti de ma poche une petite boîte, quelque chose de joli que je lui mets entre les mains : dedans, il y a un collier, une petite chose fine et brillante, toute faite d’or, qui n’est pas faite pour les filles comme Georges qui se donnent aux vagues ; c’est une preuve d’amour que ces filles comme Georges finissent toujours par perdre dans le sable ou alors dans l’océan, et ça fait toute une histoire parce qu’on ne les retrouve jamais—voilà ce que je veux donner à Georges.

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C’est trois fois rien, ça fait longtemps qu’on s’est pas vues, alors je voulais que t’aies un truc pour te souvenir de moi !
Georges est belle quand elle est aussi heureuse, et je crois que je l’aime bien comme ça—elle est très gentille, elle me prend dans ses bras, m’embrasse, est d’une tiédeur dégoulinante qui me flatte un peu, et je me rappelle alors pourquoi je l’aime. C’est un peu cruel : j’aime Georges parce qu’elle m’aime beaucoup, me le montre, me le dit, alors je l’aime aussi, et je lui montre sans lui dire, et c’est ainsi que font les amies qui s’adorent. C’est à la fois hypocrite et très sincère, j’ai de l’affection pour elle comme j’affectionne le soleil qui se lève le matin : sans y faire attention, sans le vouloir, sans y penser, avec un naturel qui me surprend parfois. Quand elle m’embrasse encore, elle sent un peu l’alcool, en effluve vague de la fête déjà commencée que le vent marin balaye bien vite—tout sent le sable et le sel, et quand je l’embrasse en retour, sa joue a une odeur de crème solaire. Je me demande ce qu’il arrive aux filles comme Georges quand l’été se termine, que les plages se vident et que la mer prend une couleur grise qui n’appelle plus à l’insouciance estivale ; je me demande si elles peuvent exister sous le vent d’octobre ou sous la bruine de novembre, sans soleil pour réchauffer leur peau faite pour que s’y couchent les vagues. Peut-être qu’à la fin du mois d’août, elles se volatilisent, comme un mirage qui n’apparaît que lorsque les rayons réchauffent le sable et font onduler le paysage de leur chaleur écrasante.
Le collier lui va très bien, d’un or plus fade que celui de ses cheveux, et je suis satisfait du tableau que j’ai peint ; une impression d’un soir d’été. Quand elle me prend les mains, j’éteins mon sourire pour dessiner de mes yeux l’ampleur de mon martyre, car je ne veux pas rester ici. Je n’ai rien de l’indolence des enfants de la saison, et mon agacement, déjà, se mue en un caprice que j’ai honte de faire : si elle m’aime, ah, si elle m’aime ! elle acceptera de partir.
Noooon j’ai la flemme de rencontrer des gens—et j’essaye de la retenir, je m’arrête pour ne pas rejoindre le groupe abstrait qui se dessine en clair-obscur, salut tout le monde ! Voilà, c’est fait.
Je ne leur offre qu’un geste vague qui dit mon désintérêt : je ne suis là que pour elle, et c’est moi qu’elle doit voir, c’est moi qu’elle doit aimer, et je ne veux rien de cette joie qui s’échange au coin du feu. Sur la mer, à notre droite, il reste à l’horizon un point orange, seul vestige du jour écoulé, qui colore la nuit d’un vert nauséeux qui n’a rien de poétique. J’entraîne Georges plus près de la ligne des vagues qui s’échouent sur la plage, pour que l’obscurité nous appartienne, qu’elle m’appartienne, et qu’il n’y ait que nous au monde. Là, le sable est humide et l'air est alourdi des embruns qui embrassent nos joues.
C’est toi que je viens voir, juste toi ! Je m'en fiche, des autres. Si on y va pas, au moins, reste avec moi !

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Georges dans la mer est une apparition, un mirage dessiné par le reflet arrondi de la demi-lune sur l’horizon, qui se dessine en ondulation sur la ligne des vagues : je la trouve très belle, c’est vrai, avec ses cheveux qui prennent la couleur froide de l’argent quand, de jour, le soleil les baigne d’or. C’est une muse à qui je veux offrir le monde, pour qu’elle le tienne entre ses mains comme elle tient chacun de mes cadeaux—avec l’amour des jolies choses, et de toute chose, en vérité. Je crois que c’est facile de plaire à Georges, et que c’est pour cela qu’elle m’aime bien, moi aussi, comme toutes les choses de l’univers. Je crois aussi que la certitude de cet amour appelle à tout ce qu’il existe de plus amer en moi, de plus mesquin aussi, et que plus Georges est belle, tendre et douce, plus je suis mauvaise. Oui, je veux qu’on s’en aille. J’aime pas la plage, j’ai plein de sable dans mes chaussures et je veux pas avoir les pieds mouillés.
Les vagues qui caressent ses chevilles meurent sur la semelle de mes chaussures ; c’est un crime envers l’été que je me fiche de commettre. La main de Georges est chaude dans la mienne, et je la serre en retour. L’indolence du contact, l’affection non-calculée et profondément ingénue en appelle à une part plus molle de mon coeur, et je lui souris, et j’embrasse encore une fois cette vision de Georges en Galatée née de l’écume. Je la tire à moi pour l’étreindre et l’eau fraîche de la mer rendue noire par la nuit m’éclabousse les mollets ; je pose ma joue sur son front baigné de la douceur du soir, encore tiède du soleil de l’après-midi. Oui, viens ! J’ai plein de choses à te raconter, c’est vrai, ça va être cool !
Je la laisse dire au revoir sans lâcher sa main, je la laisse m’entraîner dans cette sociabilité solaire de fille de la plage comme si j’étais une extension d’elle, une excroissance de sa joie tranquille que je ne peux que tempérer. Quand il est vraiment l’heure de partir, je dépose un baiser très chaste sur sa joue, en réponse à ceux qu’elle avait bien voulu me donner, plus tôt. Quand il n’y a plus qu’elle et moi, tout va beaucoup mieux, tout est plus beau, plus doux, plus grandiose aussi ; et je peux laisser libre court à l’exaltation bavarde de mon amour pour Georges, que je pense bien réel. J’enroule mon bras autour du sien pour la rapprocher de moi, et ne pas la perdre sur le chemin côtier qui nous mène enfin à la soirée promise—celle où nous ne sommes que toutes les deux.
Qu’est-ce que tu veux manger alors ? J’ai ramené des trucs à boire aussi, faudra les mettre au frigo ! Ça va être une trop bonne soirée, je sais que t’as plein de choses à me dire, toi, j’ai entendu des rumeurs !!

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