ssap
J’ai fait le déplacement parce que plus rien n’a d’importance. C’est la nuit bâtardisée par cinq heures du matin et des jeunes gens sont morts—en tout cas certains sont morts devant mes yeux et moi je ne veux pas vivre cet événement seul. Je n’ai fait que ça depuis qu’ils m’ont permis aux urgences surbookées; le déplacement, moi-même, avec toute l’abomination de cette soirée dans l'intestin comme un survivant des beuveries et pas des abattoirs qui sait l’endroit parfait pour déverser son soûl. Tu sais. Chez toi.
Ça a toujours été chez toi. Avant même qu’il ne s’y soit ouvert littéralement au couteau de cuisine c’est chez toi que Ninel a connu les jours béants, ouvertement vécus, les jours où les coeurs peuvent dégueuler non-stop ce qu’ils aiment, détestent, désirent, rejettent—les jours illimités où trop près, trop vite, trop fort n’existent pas. Beaucoup trop tard et mal en point, non plus.

Il est sur ton palier pratiquement ton seuil—là où tout corps étranger doit s’acquitter des crasses. Une fenêtre au singulier découpe ton étage. En provient la lumière grisâtre de la pré-aube, tirant sur le bleu mais un bleu d’impureté, charron des braises agonisantes d’hier qui serviront bientôt de combustible à l’aurore. Dans la cage d’escalier Ninel paraît fugitif, échappé d’un sanatorium ou d’une fosse commune; il a le teint des cendres et l’éclairage ambiant brille tellement terne que les sangs giclés puis séchés ne ressortent pas rouges mais plutôt couleur terre. Le blanc de ses ongles couve des restes de blessures, l’hémoglobine des autres moins chanceux que lui. A première vue rapide on pourrait aisément conclure qu’il avait gratté le couvercle de sa tombe et des strates après elle pour en arriver là—en fait c’est assez vrai que de l'envisager voyageur post-mortem. En plus, il ne sonne pas. Il cogne trois fois ta porte de la tranche de son poing; il s’annonce poltergeist qui revient pour hanter. Tu sais. Chez toi.

Ouvre. C’est mon cimetière à moi.

il n’existe rien de plus étrange qu’un sang.

un sang lorsqu’il se verse vous affole une foule. c’est cela sa nature : liquide et condensée, la seule goutte d’un sang peut s’étaler facile, sembler vite une flaque. contrairement à de l’eau, un sang ne s’absorbe pas - il s’accroche et s’incruste - un sang ressemble au fond à cette encre des banques, libérée aux braquages ; les mains et les habits et les billets volés s’en salissent dès lors, impossibles à laver ;
un sang vous suit, partout,
partout ; jusque chez vous.

Lazare l’a bien compris.

tout le soir il a cru s’en ressentir plein, partout le sang sur lui - dans ses paumes et pire, en-dedans les sillons - même ses lignes de vie lui paraissaient souillées, et visibles de tous. les avait-il pourtant fait tremper en frottant, frénétique à la mer ; les massacres en cours, encore, mais il n’y était plus ;
assassine une minute et depuis un fuyard.
à minuit, finalement, il gagnait Manhattan ;

sanguinolent, toujours.

il veillait aux fenêtres lorsqu’on frappe à sa porte ;
et parce qu’un sang vous suit partout jusque chez vous, chez lui Lazare s’attend à ce qu’on l’y retrouve ; à ce qu’on lui vienne puisque ce sang cueilli, ce n’est pas le sien - mais celui de David - en plus d’un meurtre affreux, un terrible larcin.

quand même, il ouvre ;

et se fige à ta vue. Ninel, c’est toi ? chez lui, vraiment ;
il a pensé à toi, tu sais ; non pas aux heures d’agape où la fête était folle - fiévreuse inoffensive, à l’inverse de tes frasques - mais à l’instant précis presqu’aigu de l’attaque, le canif en ses doigts ; dissimuler sa lame dans le dos d’un autre homme demandait tant d’efforts ! il l’a fait, et s’est dit sur le coup qu’il te saisissait mieux ; qu’il savait à présent la force nécessaire pour transpercer un corps ; c’en est une effroyable.

t’avoir en face alors le conforte et l’écœure, lui donne chaud
et puis froid, va t’en - sifflé quasi-réflexe,
c’est pas le moment - dégage.

il s’apprête à fermer ; vous laisser en-dehors
toi et ton sang de spectre ; allez-vous-en.

うずまき
Ha tu fais ça ? Toi—tu convoques les morts en prononçant leur nom avant de les bannir, immédiatement, vomissant vade retro mais la version vulgaire; « Vraiment ? » A moi tu dis va-t’en ? Comme aux bêtes, crevardes, comme aux chiens vagabonds—comme à toutes choses errantes venues intéressées par les restes d’ossements, les morceaux à ronger; « Vraiment Lazare—VRAIMENT ? » Je vais te faire une scène, du coup. Une vraiment vraiment laide.

Si c’est le sang de Ninel qui te révulse autant alors ce sont ses litres, tous sans exception, qui s’élancent à sa peau quand elle choque ta porte—son épaule rencogne l’interstice et le bloque. Il te sabote la clause, te bousille l’éviction. Il a le droit tu vois ! La loi dans son camp. Trois ans plus tôt c’est vrai qu’il devait s’interdire mais ces ordonnances-là ont périmé depuis—plus un papier en règle pour tenir à distance. Par conséquent, il s'ouvre. Laidement donc violent; il s’ouvre en même temps qu’il te bouleverse toi, sans la délicatesse, et ça grâce à son sang s’écrasant comme des vagues contre la dermo-digue; il n’entre pas chez toi, en fait, il y déborde d’un abattement comme un raz-de-marée.
La pièce à vivre lui saute aux yeux, au nez, à la bouche. Il la revoit, l’inspire en goulées d’air tellement vastes que c’est s’en gaver ce qu’il fait—reprendre son souffle dedans—d’une certaine manière il ne fait que récupérer ses soupirs, à lui. Son tout dernier inclus. Et toi—tu comptais l’en priver, ce soir même, sérieusement ? « T’es pas croyable— » Il en glousse presque. « A moi tu dis dégage comme si c’était moi le pire, » le méchant de l’histoire, Ninel, et le rôle est si drôle qu’il sourit et se tourne, marque une pause expédiée dans l’échange de regards et obliquant du corps—revient de face après « c’est grave d’être aussi borné—t’es conscient ? T’as pas honte un peu des fois ? » Comme maintenant. Tu devrais—le rictus à ses lèvres meurt instantanément, quand il gueule « T’ÉTAIS LÀ-BAS TOI T’AS TOUT VU— » premier rang au concert tu pouvais sentir leur haleine, aux monstres, moi pareil tu le sais « ET TU ME DIS DÉGAGE ? » Un pas furieux vers toi et je pourrais te frapper, te flanquer une gifle comme à la belle époque—je pourrais ! Ce serait juste ! Mais d’abord tu m’effares avec tes fringues sales, ta blouse tachée cinabre au niveau de tes flancs—fait l’arrêt sur image.

tu saisis mal Ninel ce n’est pas toi qu’il chasse, d’ici, chez lui - renverse la terre le ciel, pense à l’envers pour voir - ça ne t’effleure pas l’esprit qu’il puisse vouloir ton bien ? qu’il t’incarne un semblant d’ange gardien pour une fois ;

tu n’es pas si mauvais. du moins pas sans appel.

tu n’es rien qu’un garçon sachant jouer les démons, très juste, tant qu’avec toi les jours sont souvent un Enfer ; seulement fut un temps tu fêtais six printemps, ou sept ou huit au fond qu’importe ; quoi qu’il en soit Lazare sait qu’on t’a façonné, qu’il existe une date auparavant laquelle tu demeurais un môme, épargné des sulfures
et certes. il y a depuis un monde agonisant tes gestes, un monde entier d’indemnes que tes souffles ont brûlé, dont la peau semble noire où tes doigts sont passés ; mais c’est que tu convoites une prise, pas vrai ? quelque chose à griffer pour t’extraire des gouffres et sinon pour ne plus t’y putréfier seul ;
avant d’être un méchant, tu restes un crève-la-faim,
pour cela qu’aujourd’hui lui te refuse à table.

quand même, tu viens, si soudain que Lazare te vit comme une escrime ; désarmé cette heure-ci ses deux mains sont très vides. la preuve : il t’en montre les paumes dès lors où tu t’avances, tout criblé de tes mots - et bientôt de tes coups, il croit - s’attend fort à l’éclat réciproque
et puis non.

au lieu de ça
silence.

tu saisis maintenant ? ce n’est pas toi qu’il chasse, d’ici, chez lui - regarde comme à son cœur la couleur est l’indice - sali du sang d’autrui tu n’en mangerais pas. Ninel, il te fixe effaré d’un œil nu de colère, et sa voix est un fil sur le point de se rompre, il faut que tu t’en ailles, de chez lui - quitte la scène ! - j’ai poignardé quelqu’un. ailleurs mais ça ne fait rien ; c’en est une criminelle.

Tu mens. Il n’y a personne chez toi et sans corps tu dis faux, tu te défiles, voilà—toujours ça que tu fais quand c’est moi qui m’approche comme si j’avais la gale ou la peste ou que sais-je ! Comme si c’était mon genre de tout contaminer. Tu mens, si grossièrement que j’ai presque envie de te croire, je dirais, par indulgence pour ne pas dire par pure condescendance. Tu veux que je regarde, on dirait comme un mioche qui veut entendre bravo mais est-ce que tu t’es vu me raconter des craques ? En tenue de minable, les mains tremblantes avec ça; tu mens et c’est médiocre, admets-le franchement. « C’est celle-là ton excuse pour me virer—t’es sûr ? T’as rien trouvé de mieux. » Crédible à minima il y avait le ménage, pas fait du coup dégage, il y avait le matin plus qu’imminent aussi sans parler des centaines de bassesses qu’il t’a faites, Ninel, étalées sur plusieurs années il y avait l’embarras du choix. « Je sais pas si je dois m’énerver ou alors t’applaudir—» Il considère les deux options. Te scrute parallèlement. Il laisse passer le temps pour avoir le coeur net à supposer que tu vas te trahir toi-même, te rendre compte tout seul que, malgré vos névroses, contrefaire l’homicide c’est aller trop loin.
Mais plus il attend, plus il doute. L’oreille tendue au silence et le silence sonne juste. Authentique et lugubre. Reconnu dès l’abord. C’est le même, le même qu’au jubilé après le bain de sang—le même, exactement, qui tombait pour conclure la tuerie d’aujourd’hui de la même manière qu’on termine au théâtre. Silence, rideau. Dans ton appartement. Il s'aperçoit alors, subitement lucide, qu’en forçant ton logis il accède aux coulisses, qu’ici c’est le verso de ta nuit morbide—que ton rôle est mauvais, selon tes mots, et que peut-être ces mots ne sont pas si factices.
Quand il brise le calme, Ninel est gravement blême. « Qu’est-ce que t’as fait ? » Des tranchées dans une peau ça d’accord j’enregistre—mais encore ? A qui la chair ? En quel honneur ? Et la question suivante c’est la plus importante—du coup, réfléchis bien. « Quelqu’un d’autre le sait ? » Quelqu’un d’autre que moi. Réponds oui, je le prends mal. Réponds oui et je m’en vais.

il a tout laissé là-bas, tu comprends - rendu l’arme à la cible - n’a pas le cran d’arrêt pour appuyer ses dires ; tu te dois de le croire un félon sur parole. et la tâche est ardue, il sait. peine à gober lui-même son propre peccavi ; datant d’une poignée d’heures et pourtant avarié, déjà, c’est au goût de charogne ;
recrache, Ninel ! et fiche le camp d’ici !

mais tu restes immobile et Lazare te mire

et la bile lui monte de pire en pire aux joues ;
tu manges de ses méfaits. vous êtes alors deux ogres.

les mains montrées à toi viennent à son front, ses tempes, passent au creux des cheveux comme les faux dans les champs ; pourvu qu’elles soient coupantes, elles le décapiteraient. mais toi qu’est-ce que tu fais ? pour de vrai tu t’entêtes ? à t’obstiner chez lui, c'est tout autant la tienne qui risque de tomber - quand bien même tu lui tiens, quand bien même tu l’as froide - aux yeux guillotines tu sembleras coupable.

qui d’autre à vos procès ? j’en ai aucune idée - tu restes et auquel cas rentre mieux dans la danse - bouge, retire-toi du passage qu’il puisse fermer la porte.

elle se claque après vous.

aussitôt lui s’écarte, déviant au séjour - où manquent les flaques rouges, les vautours et l’abat - ça ne change rien. les lieux sont putrides. voudrait-il en laver tout le sol et les murs, l’incendier peut-être ; il y décrit des cercles, un pentacle imparfait, je peux pas t’expliquer, c’est trop tard - je l’ai fait et j’ai fui, et tu - et tu quoi ? à présent, dis-moi donc, qu’est-ce que ça peut te foutre ? ce que j’ai fait, à qui - à lui le modus operandi, pas toi - pourquoi t’es là ?
soudain pétrifié au centre du salon,
l’oriel au-delà lui trace un cadre glauque.
je t’ai dit mille fois d’arrêter de jouer - je joue plus, moi,
Ninel, depuis trois longues années - et toi t’es là ? encore.
tu lui refuses encore l’exorcisme de vous.
il réalise dès lors, tu t’arrêteras jamais.

let's all love lain
Alors comme ça tu es capable, finalement, de te montrer ignoble.

Ça le sidère de savoir, Ninel. Tel que sur le moment, il te voit t’agiter et ne sent plus la peur, ni même l’appréhension de se tenir ici en compagnie coupe-gorge—il te voit t’agiter et c’est presque du contentement, ce qu’il ressent, parce qu’au courant du crime mais que veux-tu qu’il tremble ? C’est ton crime, pas le sien.
D’autant que celui-là c’en est un punissable ! Un qui mène en prison voire à la peine de mort—un qui le change enfin des méfaits de jeunesse, tes délits de garçon délicieusement sot jamais réprimandés vu qu’ils étaient gracieux. Tu as planté quelqu’un. Il se demande un peu s’il y est pour quelque chose, s'il t'a mal inspiré—donné l’exemple en se plantant, lui, sous tes yeux d’esthète.
Lui ta muse au couteau. L’idée secoue ses tripes.

Une fois stagnant au living tu lui fais quasiment pitié, à Ninel, avec ta panique intérieure de meurtrier novice qui débute dans le domaine des supplices aux autres. Par dessus tout avec tes inquiétudes idiotes concernant sa présence. Il ne les réfute pas. En fait, il les laisse planer librement sans s’exprimer encore, l’air revêche—comme on peut l’avoir en face d’enfants contrariés pour que dalle, effrayés par la foudre, les flashs inoffensifs. Bien sûr que je suis là. Bien sûr, que je m’obstine—m’arrêter entre nous ? Honnêtement, pourquoi faire ? « Ça te fait rien ? » Qu’il lance après un blanc, interminable, durant lequel il t’a scruté d’un oeil naturellement noir. « Alors que t’as été horrible mais ho—rrible avec moi—tout comme moi avec toi; je suis là. » Malgré l’humiliation, la centaine d’insultes, le millier d’actions rabaissantes indignes—toi qui me donnes l’ordre de me mettre à genoux pour creuser comme un chien, moi qui me coupe sérieux pour que tu viennes lécher mes plaies, comme un chien. « Même alors que tu me dis que t’as poignardé un type—je suis là. » Il s’avance d’un pas. Deux. Trois—se place juste devant toi. « Ça te fait rien ? » Tu n’as pas de coeur ? Son regard tombe dessus. Il te l’inspecte en dépit du plexus qui lui cache. « Si ça te fait rien, ok. Dis-le moi et je pars. » Mais attention, Lazare; dis-le moi dans les yeux ! Dans mon âme. Et dans ce cas, d’accord—dans ce cas tu peux bien te démerder tout seul avec tes mains divines salies d’actes de diable.

et tu lui viens, et ta posture transpire la rançon qu’il mérite ;
à Lazare, sans la voix, tu dis bien fait pour toi.

Ninel, ici-présent.

c’est très bien fait pour lui quand on y réfléchit. c’est vrai, tiens - c’est vrai ! - qui d’autre que toi désormais qu’il est vil ? qui plus est inexpiable ? après tout cet horrible dont tu parles, paisible, le terme disséqué en deux syllabes odieuses ; il n’y a quelque part que ton regard à toi de suffisamment torve pour endurer sa vue.

toi tu l’as vu tyran, les humeurs massacrantes. toi tu l’as vu sommer de se traîner par terre afin de mieux lui plaire - pire encore ! tu l’as vu s’arrêter sans mander ton avis, te siffler sèchement je ne veux plus te voir - malgré qu’il t’ait soufflé j’adore te voir, Ninel - tu l’as vu te traiter si méchant par instant, parce qu’assorti à toi ; parce que c’était ainsi ! lui et toi mis ensemble : c’était toi dégoûté par l’absence de dégoût - pour Lazare mais au fond pour n’importe quel garçon - à tel point que des lustres tu lui faisais payer et lui, chaque fois qu’il te souffrait, jubilait au moment de s’offrir tes excuses. c’était obscène, antimoral. très bien fait pour vous.

aujourd'hui c’est aussi tout ce qui lui subsiste - tandis qu’il te détaille, il conscientise, d’ailleurs - tu es là, et sûrement que tu es le dernier à pouvoir - être là, l’éprouver - et le reste est fichu. tout ce qui n’est pas toi, Lazare peut oublier.

le besoin d’indulgence le prend furieusement - comme une fringale, sinon comme cette soif des atteints par la rage, infernale - sa gorge en devient sèche. étrangleuse. il étouffe. ça lui fait quelque chose, tu vois ; que tu sois là, Ninel, ça lui file la frousse de rien justement, la phobie du grand vide ; avec ça le vertige, la nausée monstrueuse ; ça lui fait tellement qu’il se prosterne presque : se laisse tomber assis au creux de la causeuse. sans elle derrière lui, tu vois, il serait à tes pieds. lorsqu’il saisit ton haut c’est tout comme au final ; comme s’il était servile, en contrebas de toi, sa mine levée au ciel où la tienne se trouve et dix doigts crispés fort sur les pans du blouson, pardon- proprement strangulé, pars pas Ninel s’te plaît, tu visais assez juste en invoquant l’orage : comme s’il était dehors Lazare te prie dedans, reste - même si mes mains sont rouges - se les admirer blanches et fermées à tes flancs lui provoque un hoquet, pratiquement un rire, névrosé, c’est un cauchemar cette nuit
et toi chez lui, vraiment, c'est un putain de cauchemar ;
ses yeux fusent en tes yeux, qu’est-ce que je dois faire ? maintenant que t’es là, dis-moi - je dois faire quoi, Ninel ?
en tant que forçat neuf ; dis-le moi et je fais.

run
C’est mal si sous mes apparences j’ai l’estomac soulevé et les boyaux en vrac, un peu tous mes organes en train de s’affoler parce que tu me les as percé d’éclats de joie ? De toute évidence c’est mal—mais j’adore. J’adore t’avoir obséquieux en moins que rien parce que tu n’as pas tort quand tu me dis fautif, quand tu dis que je me répugne à t’adorer, toi. Je t’adorerais mieux encore que tu me fasses du mauvais sang dédié plutôt que pour un autre—un type assassiné dont on se moque déjà, dont on n’a même pas appris le nom ce soir. Bref. Toujours est-il que j’adore. Le pardon dans ta bouche, la détresse dans tes yeux. J’adore spécialement tes deux mains à mes flancs qui s'agrippent comme celles d’un bel idiot foutu, au bord d’une falaise. Je me dis, c’est bien. Bien fait pour moi aussi. Ça me change d’être celui qui choisis pour une fois—après la nuit nauséabonde ça me fait l’effet d’un air frais et j’en prends des bouffées, je m’en goinfre de ton air fraîchement anéanti, ta dégaine de coup de coeur déformée coup de glaive. En parlant d’arme blanche. « T’as fait quoi du couteau ? Tu l’as laissé sur place ? » Coincé entre deux côtes—il n’attend pas ta réponse, Ninel, pour tout te dire il s’en tape d’à quoi ressemblent ton crime et tes erreurs ensuite, ton putain de cauchemar. D’après lui c’est un rêve et comme s’il rêvait il touche avec ses doigts, ton visage, il te l’encercle entier et ton visage est chaud.
Et vu qu’il tient à toi; « Voilà ce que tu vas faire. » Quand il penche on dirait non plus un vilain garçon mais une couleuvre aimante—ton serpent domestique. Il n’y a pas de morsure où ses lèvres se posent, sur ton front, il n’y a qu’un baiser d’aspic et des mots de vipère, empoisonnés peut-être mais tu n’y peux rien. Au point où tu en es; « Tu vas mettre des fringues qui n’empestent pas le sang, pour commencer. Pendant ce temps moi je vais préparer un sac avec quelques affaires—dès que tout sera prêt, j’appellerai un taxi. » Tu vas faire ce qu’il veut—sagement va de soi. Aussi, très important; « Tu vas devoir te taire mieux que ça, Lazare, parce que si tu passes aux aveux à chaque fois que t’ouvres la porte tu vas pas faire long feu. » Moi je vais probablement mentir pour toi—je ne vais pas, par-dessus tout, te regarder qui donne ton secret à manger au premier venu. « Et le reste on verra. » A l’abri chez Ninel on avisera demain.

quand tu causes de la mort elle sonne presque triviale - aussi simple qu’un trip, léger à l’improviste - des allures de départ en voyage dans ta voix qui conjure les armes comme on fait les affaires : avec sa brosse à dent, a-t-il pris son scalpel ? oh ce n’est pas si grave s’il n’a pas pensé ! s’il l’oublie quelque part couvert de ses empreintes ; tant qu’il porte du change, des vêtements jolis, tant qu’il sent la lessive et non l’hémorragie, aussi tant qu’il se tait tu dis ; tout ira bien.

sans le dire tout à fait.

tout ira bien tu dis en manies familières, ces gestes de tendresse qu’on s’accordait avant - avant ton meurtre, à toi, bien plus ancien que celui dont il est l’auteur - auparavant ce soir où tu t’es éventré pour te venger de lui, tu l’embrassais. comme ça. au-dessus son esprit comme tu viens à l’instant. tu l’embrasses et le reste ne compte plus vraiment - tes ordres à la suite par exemple, il ellipse, semble entendre le quart si ce n’est rien saisir - rien que toi qu’il imprime en brûlure à son œil. il t’admire, et t’admire, et t’admire toujours même une fois ses yeux clos tandis qu’il va lover sa tête contre ton ventre. à l’instar d’un astre contemplé trop longtemps, il t’a sous les paupières - une tache de soleil noir - il inspire ... je peux pas. faire autant avec toi, Ninel - je peux pas - je dois rester ici. chez lui sinon blotti tout au creux de ton ombre - Lazare l’ignore lui-même - dans tous les cas il ne doit surtout pas bouger, d’ici, j’attends quelqu’un. quelqu’un de monstrueux, l'innommable, j’attends- qu’un ange passe, dis-toi ! quand même, tout ira bien ? redis-le moi, encore - reste avec moi - tu veux ? il rouvre son regard, te le voue follement. tu veux faire ça pour moi ? à défaut d'abolir cet étau qu'il te souffre ; si tu le veux, Ninel, tu peux l'empirer fort !

a cure for breakcore
TW: PHYSICAL ABUSE
Comment ça tu ne peux pas ? Tu ne peux pas pour une seule et unique fois—ou pour une petite heure même, dix toutes petites minutes—me laisser décider de ce qu’il adviendra sans avoir des menaces à la main, obligé, des coupantes et pressées contre une veine qui se voit ? Que tu vois et que je peux provoquer de trancher si tu n’écoutes pas, si tu me contraries, si je sens ne serait-ce que l’odeur de la pluie et pas encore des gouttes m’embarrasser la vue—tu ne peux pas faire un effort aussi facile que celui-ci, Lazare ? Que de m’épargner ça, ma dernière soluce, où je dois t’effrayer en criant tu me tues ! C’est moi qui tiens de quoi mais c’est toi qui me tues !
« …Tu déconnes. » Tu le tues à l’attoucher avec une dévotion pincée, ta fébrilité digne d’un Roméo remis au mauvais goût du jour quand tu traites ses viscères comme des jupons de soie—tout ça pour dire en face qu’il n’est pas ta Juliette. Il avait adoré la scène jusqu’à ce que tu la gâches avec ta bouche pleine de voeux inconvenants qui juraient outrageux. Maintenant il déteste. C’est flagrant sur son teint—la désillusion s’y montre en traînées de phosphore parce qu’en levant le menton pour te mater haut les lueurs matinales lui font les joues blanchâtres, des retombées de soude. « T’attends ? Mais— » Vu qu’il a ta mâchoire entre ses doigts serrés Ninel les exacerbe tout à coup, et plus bas, de tout son poids fâché il écrase ta gorge, ta droiture, ton corps entier qu’il torde au fond du canapé—te force méchamment à rester à ta place modifiée pénible par sa propre stature, surplombant la tienne.
« T’attends qui ? Fais-moi rire ! Nan ? Nan, nan tu sais quoi ? Me dis pas. Je m’en tape. » Qu’il crache en relâchant dans un mouvement rude, ça y est, estimant la violence assez moche telle quelle. Il ne s’arrête pas là—tu t’en sortirais trop bien s’il s’arrêtait là—cet élan il s’en sert pour s’éloigner en trombe, instaurer quatre pas entre toi piteusement assis et lui royalement debout. Ces positions comptent, dans l’immédiat, elles sont chères à son coeur qui s’attaque à ton coeur en lançant; « Je vais le dire aux flics. Ce que t’as fait—je vais le dire aux flics d’ici je vais le dire aux flics là-bas, à la milice, à ton frangin l’ambassadeur c’est—Bellamy ? A tout le monde ! Tu vas faire quoi ? » Tu vas me dire reste comme il se doit j’espère ! Pas reste s’te plaît Ninel mais je t’en supplie Ninel, reste ! Avec de l’intention, sincère, épurée, un allocentrisme dont je suis le centre moi sans quelqu’un d’inconnu, et des larmes au bord des cils enfin si ça te chante—c’est une option au choix. Alors ? Tu veux faire ça pour moi ? Auquel cas je te jure que j’irai cafarder. Pour toi et tu le sais ! Je peux totalement.

((TW// physical + verbal abuse))
ah mais c’est de sa faute, aussi, à cramponner à toi comme s’il ne savait pas, comme s’il ignorait tout de l’envers du décor - de chair et d’os et dedans un nid de névroses - comme s’il n’avait jamais suffoqué de rien
alors qu’il la connaît ! sur le bout de ses doigts : la sensation des tiens changés en boa, subito constrictor, l’air manquant et la voix quasi-pulvérisée lorsqu’il s’asphyxie presqu’à soupirer lâche-moi. pour la millième fois.

Ninel avec Lazare.
Lazare avec Ninel.

quand bien même le sens c’est avec des mots de travers et des mains qui molestent souvent. c’est Lazare qui se veut indolent avec toi et c’est toi donc Ninel qui te veux sa victime. c’est Ninel qui fait un caprice, du chantage, le pire dès lors où cela ne mène nulle part et parfois c’est l’inverse, parfois c’est à Lazare d’incarner les mauvais en mélangeant les faux-affres et les vrais maux, en confondant Ninel qui l’aime et le déteste en un Ninel univoque maltraité d’office.

ce Ninel qu’il repousse comme un diable, d’ailleurs, à qui Lazare érafle le poignet ensuite tant il s’effraie très fort d’être seul en Enfer, où tu vas ? arrête- ton cinéma, arrête, et tes ultimatums, ta mise en scène atroce pour le pousser à bout ; ça fonctionne, tu vois ! tu vois comme il se lève d’un bond de forcené puis se fige et te fixe, mortifié par toi. toi, Ninel, si tu mens arrête-toi.

tu lui mens, n’est-ce pas ?

deux, trois - trente secondes - tu le souffles. effaré finit-il par frôler un éclat, de rire ou de sanglot, d’oxygène froissé qu’il expire et frissonne ; en découle l’expression s’esquissant à ses traits, une sidération nette et parfaitement lucide. après tout c’est si clair ! t’as l’esprit complètement pourri - c’est fou - encore ? tu me le sors encore ton grand jeu de malade ? encore aujourd’hui le jour J de son crime ! encore, c’est toi, et encore c’est lui qui s’avance et réplique - en secousses à tes angles, en saloperies audibles - j’attends quelqu’un, Ninel, qui te boufferas ta petite gueule de cinglé si tu parles, qui te la boufferas quoi que tu fasses tant que je demande - et toi, touchant dans ton délire tu lui tires les eaux, et le sang, une envie détraquée de pleuvoir des yeux et des poings en crève-chœur, toi tu veux jouer à ça, toujours ? à Lazare qui brusque Ninel contre sa porte si cinglant que le bois claque une plainte bruyante - moins que la sienne - qu’est-ce que je dois faire de lui, récent pécheur, impie depuis six heures et maintenant de toi, pour que tu restes un peu normal ? pour que - faute d’entendre quand je te dis que c’est pas le moment, vraiment - tu t’arrêtes de t’essayer à me rendre dingue avec tout, tout ce qui sort de ta bouche, tout ton comportement de garçon niqué dans sa tête, tout le temps qu’il profère, un crescendo de fiel jusqu’à ce que regarde ! regarde-le s’écrier ! comme un dingue c’est fait ! c’est putain de fait ! là, tu vois ? sinon dis-moi, Ninel, pour t’opérer le crâne sans user d’opinel, je dois te faire quoi ?!

beztebya
Si il l’avait pourri son esprit comme tu dis alors sa boîte crânienne devrait craquer contre la porte quand tu l’y plaques férocement—comme les souches en forêt qui ont mariné des mois dans l’humus, entièrement bouffées de vermines. Mais non. Le coffret qui lui sert d’encéphale à Ninel n'affiche pas une fissure après avoir percuté l’huis-clos, il ballote sur le coup parce qu’encaissant le choc à son occipital sans fêler nulle part. Et ça fait mal—physiquement—mais à sa psyché, tu régales. Tu me régales, Lazare, à sortir de tes gonds comme au bon vieux temps. Notre bon vieux temps. Tu me régales et tu me rends nostalgique de nous dans toute notre affreuseté de jeunes hommes—ou de jeunes choses, car des fois nous ne ressemblions même plus à des individus—et que moi je te travaillais dur pour soutirer de toi des élans passionnels parce que tu me tourmentais passionnellement rien qu’en riant aux éclats, à la colonie, et c’était trop injuste que je ressente ça, et pas toi.
Et c’est fait ! C’est putain de fait, là—tu me le gueules dessus—c’est parfait ! Ça fait huit ans que je t’aime—bien—dont six que je t’aime abominablement. Je méritais, je trouve, que tu m’attrapes un peu et t’époumones beaucoup, pour moi. D’autant plus ce matin lendemain de massacre par les monstres et de meurtre par ta main.

Il n’a pas peur, partant de là, Ninel. Ni de ce quelqu’un que tu attends et qui le cannibalisera si ça te chante, ni de ce Lazare redécouvert—dégénéré. Il a des frissons mais ce sont les restes de la soirée, de ses vertèbres tamponnées par terre quand il avait Campé, en dépouille, sur lui et de son poignet cassé puis fracassé de nouveau quand il a saisi le pavé pour bousiller le front de Campé quinze fois de suite. Il aurait voulu, peut-être, que tu lui dises bravo et que tu l’enlaces avant de le brutaliser vu qu’il était venu chercher de ta chaleur—si tu n’avais pas ouvert chez toi, et ta bouche, comme tu les avais ouverts autrement dit comme un hôte mauvais et grossier il t’aurait dit. Dis-moi bravo. D’être ici et même il te le dit parce qu’il en est digne encore pire. « Tu devrais me féliciter. » Sa gorge ligaturée. Pourtant, il n’est pas triste. Du tout traumatisé. Il a ton visage blanchi des courroux beuglés qui se dédouble, détriple. Ou ton visage en un seul unique exemplaire multiplié à cause de l’eau montée aux yeux. Il renifle. « Tu devrais—t’être inquiété pour moi et me féliciter, du coup. D’avoir sauvé ma peau. Au concert. » Et d’être ici. Et de jouer, toujours—à la mise en demeure, à l’intimidation. « Tu devrais m’aimer moi » moi qui me pointe le premier, moi qui te sais, tout, en premier—qui t’ai su capable d’essuyer les abus des années, qui t’ai su pareillement capable d’abuser—moi qui te sais, depuis cette aube, capable d’être une ordure liquidatrice de roi « moi ! Moi ! MOI ! » A chaque moi braillé il s’égosille plus près, plus près, si près que le dernier des moi vibre à tes lèvres et ses paumes t’expulsent en un heurt à ton torse. « Tu veux pas me le faire—le plaisir d’enlever ta chemise dégueulasse, et partir ? Avec moi ?? Tu veux pas mais MEURS ALORS » au moment même il a le sursaut d’une risée hilare et d’un pleur embrouillé « FAIS-MOI PLAISIR ET MEURS ! »

il est terrible, ton souhait - et même tout ton discours - c’est terrible, Ninel, que d’enchaîner si proche des phrases pleines de verbes aussi graves que devoir, aimer et se tuer. c’est terrible et quand même c’est très toi, quelque part, tellement que Lazare n’est en rien sidéré ni secoué du geste soulignant ton espère. tu l’espères comme toujours - en cela tu ne choques pas - mais donc tu l’espères ici comme à vos débuts, c’est-à-dire à genoux devant toi, dévotieux, se saignant des stigmates peu t’importe lesquels tant qu’ils saignent à ton nom. les félicitations, la déclame des flammes, et sinon l’autographe de son propre suicide ;

ce genre de dédicace, sincèrement, tu réclames ?  tu vois ? c’est ça ton vice, ton plus préjudiciable - et pernicieux car c’en est un contagieux - c’est ça que t’as pas compris, ce virus en toi : c’est lui le responsable et tu l’avais déjà ! auparavant Lazare tu la couvais dès lors, la fièvre de l’autre devenu fanatique ; Ninel tu crèves d’envie qu’on te voue tous les cultes ! sauf que ta conception de l’adore est putride, tu sais, ta vision de l’éros elle est bouffée de vers et cette nécrose-là vous précède de loin. ta névrose de fils de l’Amour bafoué, c’est ça ta filariose, qu’encore tu comprends pas.

en plus d’être terrible, c’est terriblement triste. il veut dire : regarde-toi. regarde-toi ton œil et tes mots tremblotant, regarde-toi les spasmes - la pléthore de symptômes - tu vas mal ! regarde-toi ! lui te regarde en face comme on fait les souffrants, ces atteints trop longtemps par l’anthrax ou la peste ; ceux pour qui c’est foutu. et pourtant ceux à qui l’on s’efforce d’expliquer. tu es foutu, mais à un point ! si tu veux je t’explique une énième fois. je t’ai jamais demandé de vivre pour moi, Ninel, ni surtout demandé de te planter, pour moi. je t’ai juste adoré comme un adolescent - à savoir insouciant léger je-m’en-fichiste - je t’ai juste adoré à ma façon garçonne avant de t’aimer fort à la manière d’un homme, si jeune qu’il est idiot, parfois, et commet des offenses ; moi j’ai jamais voulu t’avoir le bide ouvert - t’avoir ton sang partout et toi debout, dedans, qui me dis si j’ai fait ça c’est pour toi, tu vois ? sa voix chancèle un peu, malgré toute la rancœur tu vois comme c’est taré ? de faire ça - qui fait ça, même ? c’est toi.

à l’époque c’était toi rétorquant moi, peut-être. hésitant pour de faux. c’est toi, seulement toi, qui fais ça sans scrupule - te tordre la cheville, exprès, pour l’attendrir - te poignarder le flanc, exprès. pour le punir ? si ce n’est pour l’attendrir, idem - par amour - tu fais ça. et soudain, Lazare pense moi, peut-être. à son tour, après tout ce jour-même a-t-il fait une entaille. et qui fait ça ? c’est vous. alors

... alors là le silence. ressenti comme un coup - d’un coup son souffle coupe, l’écœure - il va vomir. et tu vas mal - mais qu’il s’admire ! - qu’il se regarde-lui t’imputant, de quel droit ? il te fixe et repense à ce luxe perdu : le privilège abject du j’accuse Ninel, obtenu par l’injure ; le putain de souvenir si clair à l’esprit, de vous dans le fossé, de toi qui le balafres puis t’esclaffes le pardon ! j’ai mal partout—partout tu saignes, le bide fermé tandis que vous aviez seize ans, l’augure du vingt-et-un et ton ventre fendu lorsque tu lui confies, atrocement honnête, c’est difficile de déconner quand on a mal partout. tu avais mal partout, par sa faute ! il saisit, à présent qu’il a mal partout à cause d’un monstre. il l’a fait pour un monstre. par amour ! pour un monstre. a contrario de toi qui l’as fait pour Lazare. par amour ! pour un monstre désormais - non - il l’a fait pour Ange. par amour sacro-saint et pas un inhumain. voilà.

c’est toi l’unique insane, alors, là : il faut que tu t’en ailles. vraiment. Ninel, va-t'en.

things to talk about
Quel imbécile tu fais quand tu parles ! Tu t’écoutes quand tu me parles ? À moi. De l’Amour. Avec un A suprême—tu fais bien de le mettre quand tu m’appelles son fils—pour qui tu te prends ? Sérieux. Elle n’est même pas ta mère ! Aphrodite—c’est la mienne, ma mère à moi. Et moi j’ai su l’Amour avant même de le lire écrit ou de le voir sur grand écran. Moi, j’en avais des kilolitres au sang de l’Amour globuleux des yeux d’enfant mouillés parce qu’à huit ans je tombais et m’écorchais les coudes, et les genoux, j’écopais des griffures qui suaient du plasma—de l’AB négatif—et j’attendais toujours que des bouches s’y posent, qu’on m’embrasse mes éraflures comme on se devait. Je savais, déjà, que c’était ça l’Amour; un mal en rouge mendiant le rouge. Une égratignure fraîche où des lèvres maquillées font un baiser magique, dans un premier temps, où l’on applique après un peu de bétadine surmontée d’une compresse collée au sparadrap. Et tu le crois qu’à l’époque on n’était pas foutu de me l’offrir ? La bise, le pansement. Le minimum syndical de l’Amour en rouge—primaire—et on s’étonne, ensuite, que j’ai fini par racler mon corps entier contre les graviers histoire qu’il soit rouge vif. Mais c’était ça l’Amour ! Ça l’est encore. L’Amour, c’est un mordu de quelqu’un qui meurt sans les dents de quelqu’un dans sa plaie. C’est la raison pour laquelle partout dans le monde il y a des falaises où les couples basculent ensemble et que toutes ces falaises se nomment des Lovers’ Leaps. Alors bien sûr que tu fais un bel imbécile quand tu me parles, à moi, de l’Amour salutaire ! L’inoffensif, qui n’écrabouille aucun cœur, qui ne bousille personne.

Imbécile, et gonflé. C’est comme ça que tu sonnes à l’oreille de Ninel qui t’écoute ne pas t’écouter. Qui te toise, et méprise le blanc que ta bêtise engendre. Le blanc au cours duquel tu réalises probablement ta propre stupidité, son ampleur tape-à-l’œil—visible, saute aux yeux même comme l’empreinte que tes mains ont laissé sur ton haut. Tu es si consternant. Tu lui fais de la peine, et la peine de Ninel comme d’hab’ elle se révèle une exclamation rêche—ce qu’il se fait de plus moche en matière de rire. « Hha !—Parce que toi tu vaux mieux ? » Parce que toi tu comprends ce qui ne va pas chez toi ? Partant de là tu peux lui donner des leçons, à Ninel—mais toi ! « Regarde-toi » debout. Sans les talons qui trempent dans une flaque de mercure—mais fais voir tes chaussures ! Il est prêt à parier que tes semelles et ta camisole sont tachées du même sirop. Regarde-toi avec tes vêtements crasseux de jus de veine « t’es pareil. » Manque juste la peau trouée—celle du type que tu as tenté d’anéantir, elle compte. Elle te condamne. La peau trouée du type c’est ton mal en rouge vif mendiant le rouge. D’un monstre. Ça reste un rouge d’Amour. « Maintenant, t’es comme moi. » Mais fous-moi à la porte si ça te réconforte ! Comme s'il y avait une vraie différence entre nous, entre mon fait de taré et le tien sensé. Maintiens-moi le regard et redis-moi comme quoi quand c’est toi qui le fais c’est admis. C’est l’Amour. Tu me fais de la peine et marrer en même temps ! Lazare. « J’aurais tellement aimé que tu la fasses pour moi—ta connerie. » Saine d’esprit délirant. Par Amour pour l’immonde qui n’est pas à Ninel. « Tu l’aurais faite pour moi je t’aurais » aimé, toi. Tellement. Tellement que tout l’Amour de moi pour toi jusqu’à cette heure t’aurait blasé. Du rien-du-tout d’un coup tellement j’aurais aimé Lazare. Au point d’aider. Je t’aurais aidé, moi, tellement—à déplacer le type dans une tombe creusée six pieds sous terre, aux ongles, j’aurais limé les miens contre le sol d’un bois comme un chien. Comme tu m’aimes ! Tu m’aurais aimé, moi, « je t’aurais » il bute sur l’admission comme il aurait perdu l’équilibre peut-être si vous deux en Amour possédait une enveloppe, organique, égorgée grâce à toi, qu’il fallait enjamber afin de dire clairement qu’il t’aurait vénéré. Tellement. Qu’il t’aurait bien aimé—ce qu’il t’aurait, Ninel, finalement « on s’en tape. » Il te tourne le dos. S’en va sans plus vouloir que tu lui fasses plaisir—tu n’as qu’à vivre ! Tant pis pour toi.