tu étais arrivé depuis quelque mois et tu te sentais bien ici — tu pouvais bien nourrir Pachinko, tu mangeais à ta faim, tu dormais dans un lit, tu pouvais te laver quand tu voulais, tu avais accès à des livres, à des habits neufs et à ta taille, mais tu n’arrivais toujours pas à te faire à l’esprit de groupe qu’une fratrie et une colonie impliquait.

et si ton caractère farouche pouvait attirer les âmes similaires, les curieux ou les personnes gentilles, ton tempérament colérique les décourageait aussitôt et donc tu te retrouvais à profiter d’après-midi solitaires avec ton chien. Pachinko, bien qu’elle avait atteint sa taille finale, avait à peine 1 an et aimait encore courir partout, surtout dans les grandes prairies de l’île. et bien que vous aviez passé une après-midi entière dehors, elle n’était pas épuisée et, comme tu ne la tenais jamais en laisse, elle continuait à te devancer une fois arrivé.e.s au camp. puis soudain, tu la vois se diriger une personne et la rattrape en criant Pach’ ! au pied ! parce qu’ils sont peureux les enfants, parce qu’ils sont méchants les enfants, qui sait ce qu’ils feront si l’husky s’approche trop. mais elle était aussi bornée que son maître et restait près de la personne en aboyant à ton appel Pach’, viens ici ! mais elle aboie encore et refuse de bouger. alors tu te rapproches, et plus tu te rapproches, plus tu remarques que la personne qu’elle avait trouvé était immobile,
sale,
ensanglantée.
alors tu t’actives.

hey… tu souffles en t’agenouillant devant Seren. ça va ? on t’a fait mal ou t’es tombé ? tu demandes entre colère et inquiétude. pendant que l’husky reniflait timidement Seren, tu le dévisages mais n’essaye pas de chercher son regard, puis observe son corps qui semble si faible, ses mains salies de terre et de sang euh… j’sais pas… faut que j’t’amène à l’infirmerie ? tu lances à regard à Pachinko assise à tes côtés, comme si elle pouvait te donner la réponse, puis repose ton regard vers Seren t’as b’soin d’aller à l’infirmerie ?

tes questions tombent dans le vide et tu ne sais pas comment le prendre. tu restes devant Seren, à genoux, les mains sur ces derniers, le regard examinant son visage, son corps puis ton chien. puis quand tu le regardes à nouveau, tu croises ses iris rouges qui te fuient aussitôt — tu ne savais pas quoi faire, quoi dire.

mais Pachinko pourrait peut-être savoir, tu ne sais pas trop, mais Seren semble la préférer à ton air farouche. Pachinko, plus sociable que toi, s’approche alors de Seren, lui tourne un peu autour et lae reniflant, la queue se balançant de droite à gauche, et toujours tu ne dis rien, tu la laisses faire car malgré son statut d’animal, elle semblait mieux comprendre les humains que toi. elle passe son museau sur sa joue, ses bras, ses mains, semblant lui offrir milles baisers guérisseurs.

le râle de Seren te prends de cours, lui qui semblait ne pas réagir à tes questions semblait tout de même avoir une voix, enfin peut-être ? tu ne sais pas. tu passes une main dans tes cheveux les ébouriffant un peu — c’est dur de communiquer avec des gens. iel semble si petit.e, si frêle, il te semble que tu pourrais lui souffler dessus et iel tomberait à nouveau par terre. et toi, tu te savais plus fort que lui, même un peu. ainsi, tu avais peur de bouger, tendre les bras pour l’aider à se relever, même de parler !

tu fixes le sol, impuissant, et une idée te vient soudainement. tu sors ton téléphone de ta poche - un petit téléphone tactile avec un écran légèrement fissuré à certains endroits - ouvre tes notes et tapes quelques mots. tu le lui tends, avec sur l’écran un message [t’es sourd et/ou muet ? ou t’as juste peur de moi ?] bien que la question semblait cru, tu le demandais sans dédain ou colère quelconque. c’était simplement par un souci de communication — savoir s’il ne t’entendait pas ou bien si tu lui faisais peur au point d’en avoir la parole coupée.

tu ne frappais ni les victimes sans défense, ni les innocents, et Seren était actuellement un des deux, sinon les deux.
donc tu restais à genoux, les yeux fixant ton chien, un peu mal à l'aise sous son regard qui retraçait les lignes de ton visage et les émotions de celui-ci. tu regardes Pachinko prendre soin de Seren, le cajoler comme elle avait pu faire pour toi, et se faire prendre dans ses bras comme tu avais pu le faire.

il n’y avait que l’écran de ton téléphone entre vous pour établir un contact. un contact qui se fait long, très long, durant lequel tu avais relevé le regard vers Seren en attente d’une réponse. réponse muette, mais négative. et tu ne peux t’empêcher de lâcher un léger soupire de soulagement ok, cool. en rangeant ton téléphone dans ta poche.

tu n’aimais pas le silence.

ton regard fluctue encore entre l’husky et Seren dans l’attente d’une suite.
les secondes semblaient longues, si longues, ponctuées seulement de quelques voix lointaines, de quelques froissements de feuilles sous le vent, de quelques cris d’animaux.

tu n’aimais pas son silence.

le silence laissait trop de possibilités d’interprétations et trop d’incompris, trop de choses et trop de doutes à la fois, à trop de bruits et pas assez à la fois. et pourtant on t’avait dit, les actions et les gestes en disent plus que les mots. puis il y avait des gestes clairs, comme le sien — il tire sur ta manche, un appel à l’aide, même minime. alors tu te relèves, prenant ensuite ses avant-bras dans tes mains afin de le hisser lui aussi sur pieds tu peux marcher seul ? sans le lâcher pour l’instant.

d’où tu venais, il n’y avait pas la mer. vous n’étiez pas bercés par le doux son des vagues.
d’où tu venais, il n’y avait que la monotonie du béton des petites villes américaines, le son des voitures et un silence accablant où les voix résonnaient facilement plus fort.
et les voix de ta maison, les voix de ton école, les voix de tes voisins, toutes ces voix si proches avaient toutes cet arrière goût de colère, sauf une.
celle de ta mère.
toujours douce, toujours calme, même quand la voix paternelle se haussait contre elle.

alors, il fallait comprendre que quand cette voix, semblable au son apaisant des vagues, avait disparu, ta colère, héritée de ta Mère divine, n’avait plus de laisse. et tu savais que tu en débordais, débordait d’un trop de tout qui bouillonnait dans ton corps, dans ton cœur, mais tu te crois justifié de ressentir ce trop qui te ronge. il te fait mal, il fait mal à ceux qui le méritent mais tu ne saurais pas quoi faire sans.
c’est inconcevable de rejeter ce qu’on a toujours connu.

et pourtant, tu pouvais encore une certaine chaleur que tu avais oublié. les mains libres de ses coudes - tu ne remarques même pas son mouvement de recul, pour toi ordinaire -, tu les remets dans les poches de ton sweat. si tu marches c’est qu’ta pas besoin de l’infirmerie j’imagine… encore trop sauvage pour s’inquiéter pleinement des autres du coup bah on rentre hein ? j’sais pas dans quel bungalow tu vis, mais dans tous les cas on va dans la même direction… tu siffles doucement pour attirer l’attention de la husky qui profitait des caresses de Seren on rentre, montre nous l’chemin ma belle… demandé neutre — on t’avait dit qu’un chien ne pouvait pas être sauvage dans ces murs, alors tu la dressais, lui apprenais des tours, mais aussi à retrouver le chemin vers “chez vous”. surtout que dans la nuit jeune mais si sombre déjà, Pachinko sentirait ses environs mieux que vous. elle aboie en réponse et ouvre la marche vers les bungalows en se plaçant maintenant entre toi et Seren.

les mains toujours dans les poches, vous marchiez donc dans le silence ponctué de voix et bruits plus rares du fait de la nuit. mais ce n’est qu’au bout de quelques minutes que tu réalises que tu ne t’étais même pas présenté. d’ailleurs moi c’est Dante. j’suis fils de Némésis. tu avais vite compris que ton ascendance n’était pas la bienvenue alors tu préférais tout de suite prévenir que Vengeance était dans ton sang et elle c’est Pachinko. et toi ? tu peux l’tracer sur ma main s’tu veux… et tu lui tends ta main droite, la paume vers le ciel cachant ainsi le dos de ta main constellé de cicatrices.

heureusement que la nuit s’était installée, cachant la peur de Seren envers tes orages. heureusement, sinon tu te serais juste tue ou pire peut-être, tu serais parti loin de lui refusant de voir la bête que tu nourrissais dans ton corps et ton esprit.
heureusement que la nuit s’était installée, cachant son calme revenu et sa sérénité en ta présence. heureusement, sinon tu te serais senti espéré avoir trouvé en lui un ami peut-être.
heureusement que la nuit s’était installée, vous laissant ainsi deux faux-étrangers.

ta main dans la sienne, tu sens son index tracer son prénom lettre par lettre, laissant une sensation électrique au cœur de ta paume comme s’il les avait gravées dans ta chair. tu restes un moment silencieux avant de prononcer Seren ? pour être sur d’avoir bien compris et à sa réponse tu comprends que c’est bien que cas. comme “étoile” huh… tu te dis à haute voix. ça lui ressemble bien — silencieux, il brille quelque part loin de vous, sa lumière fragile prête à s’éteindre à n’importe quel moment. il semble ainsi fragile, si fragile.

les bâtiments du camp se détachent petit à petit de l’obscurité et vous ne tardez pas à arriver au carrefour de tous les bungalows. ainsi, tu t’arrêtes avant de te tourner vers Seren, lui adressant un vague sourire et bah on s’sépare ici Seren… à- plus ? bientôt ? jamais ? vous serez bien amenés à vous croiser donc on s’recroisera sûrement. tu conclues simplement avant de le saluer d’un vague geste de la main, puis tires sur le collier de Pachinko pour la diriger dans la direction de votre bungalow, laissant Seren dehout, briller faiblement dans le noir, tel une étoile distante, pendant que tu retournais dans tes abysses.