mishka aime les ombres,
la fraîcheur qui s’y cache pour échapper au moite gluant de l’été ;
mais en short ou en pantalon il y a toujours sur sa peau trop claire les bleuets qui fleurissent en hématomes délaissés, dont l’origine était un mystère aussi flou que son souffle discret.


mishka ne s’est pas caché aujourd’hui et ses pores crissent déjà de son aventure héliotrope.

c’est que son banc préféré cuisait au soleil,
(si fort que ses yeux bleus ne pouvaient que se plisser pour en distinguer les contours liminaux dans le flou carnal, étouffant, brisant des débuts estivaux) ; mais il ne peut échapper au rituel des gamins redondants qui ne savaient plus que faire quand une poussière dérangeante venait dérégler les rouages si fragilement ficelés de leur agenda bien terne.

            on parle de lui comme un enfant ;
il a pourtant déjà dix-huit ans,
il avait juste gardé entre ses doigts fébriles les tremblements incessants des minotaures pris dans les phares, des sirènes pris dans les radars - il n’avait pourtant rien d’aussi fantastique, mishka,
il avait l’air platement humain.

perdu dans la contemplation d’une feuille étrangement vive parmi celles qui avaient brûlées en sacrifice de sa vitalité,
son rainphone fermement serré dans ses doigts dont les phalanges commençaient à blanchir et les paumes à suer sur l’écran embué,
mishka sursaute à la présence incongrue sur (son) banc ; car mishka sursaute tout le temps,
car mishka ne voit rien dans le présent.

en fait
mishka avait peur, mais pas de ça,
pas d’elle, de son crâne garni déjà de quelques filaments d’étoiles,
(un peu comme les siens sauf que pour lui,
ils ne marquaient pas l’âge) ; quoiqu’il aurait aimé
courir      s’enivrer       aller plus vite        se rapprocher
du sommeil ou de la fin (juste pour voir toute la vie
mais sans plus subir autant les courroux crasseux qui ponctuaient, hasardeux, le cours de ses années et qui se terminaient en sanglots hideux).

                                                                        mishka ne parle pas.


           on lui demande comment ça va.

mishka plisse les yeux,
faisant apparaître seulement un trait de saphir empli d’un doute étrange venant du   peu     connu.

que fait-il de beau ?
oui,
il fait beau ;
lui,
n’a rien fait de glorieux.

❝ rien d’extraordinaire (éluder la partie où il faut parler de lui alors qu’il
voulait qu’on parle de
soi) ;
avez-vous besoin d’aide,
madame ?

ponctuation maladivement guindée d’un garçon trop poli qui ne sait rien faire d’autre de sa voix sourde, chuchotement étriqué et peu joli.

dans l’attention atone que mishka porte à cette “madame”,
il y ressent une nostalgie inexpliquée (ou qu’il ne peut pas comprendre) ; la source de ce spleen pourtant si différent du sien rongeait les syllabes qui martelaient la généralité dans laquelle “Don” voulait le pousser, “comme tout le monde”.

les yeux toujours plissés car ses ailes avaient déjà brûlées, mishka savait qu’il n’y irait pas, même à reculons. il connaissait trop bien
les ravages et les tapages qu’un tout le monde pouvait avoir
sur celleux qui en étaient bien loin
(du haut ou du bas de l’échelle sociale).

mais ce doute impromptu qu’il avait sondé par inadvertance s’était dissipé aussi vite que venu ;
et dans l’attente et le doute du savoir comment pourquoi (lui),
mishka avait pensé à une multitude de scénarios
pourtant restaient là ses synapses vides de mots.

elle avait l’air affable, Don,
avec ce nom qui roulait bien facile dans son esprit fragile,
mais mishka qui ne méritait majuscule, ne méritait non plus la simple demande qu’elle lui formulait là.

❝ cela, ce n’est pas compliqué.

il marque une pause, indécis ; le quotidien raté où le tracé s’était perdu dans une demande éreintée par les souillures du temps,
ses sourcils se froncent sur ces paupières que rongent les rayons cinglants.

❝ vous le tenez mal, pour commencer.

dans le vouvoiement maladroit, mishka teintait l’insolence par inadvertance ; car il ne savait comment chanter les louanges à ces grandes personnes, d’âge ou d’importance, pour se faire apprécier sans idéaux.

à la différence des systèmes dans lequel il gravitait le plus souvent ; mishka n’avait rien de solaire ni de vraiment printanier. il n’avait pourtant pas choisi de naître aussi frais que la neige naissante d’un hiver qui s’annonçait d’un calme glaçant ;

les yeux toujours plissés pour ne pas se les brûler, il commençait à sentir la pesanteur de l’astre qui l’avait renié sur la nuque (probablement qu’il attraperait un coup de soleil)
mais il était trop révérencieux pour couper la conversation et proposer de l’ombre, surtout face à Don qui lui demandait de l’aide - chose rare pour mishka quand il ne s’agissait pas de taxidermer les compagnons infortunés d’inconnu.e.s endeuillé.e.s ;

mais là encore,
ce n’était par pareil - ce n’était pas foncièrement pour lui qu’on attendait derrière la ligne imaginaire des attentes tracées ; c’était pour satisfaire un vide que mishka tentait de rendre éternel,

c’est donc avec une certaine précision qu’il prend le rainphone de son interlocutrice, une délicatesse presque ; Don avait les mains qui tremblaient mais d’entre elleux (et personne pour cela ne le traiterait de menteur) - c’était mishka qui avait tout l’aspect d’une sculpture faite de glaçons mal pris puis oubliés dans le fond du réfrigérateur.

il faut le caler comme ça, entre votre éminence thénar et votre hypothénar…

aspiré dans l’anatomie de ses propres pensées, mishka se fige soudainement le dos un peu plus droit ; ses mains fraîches à l’odeur de javel avaient rendu l’écran du raiphone de Don moins brûlant (la faute à la saison qui ne l’aime pas).

la gêne qui avait marqué son hésitation est vite dissipée par la présence d’esprit de cette grande dame et mishka soupire de soulagement en arrivant à l’ombre ; c’était extrêmement rare mais ses joues avaient pris une teinte légèrement rosée qui éclairait ses cernes un peu sombres.

il a une pensée reconnaissante aux branches abaissées en pavillon rassurant sur ses cheveux blonds platines qui manquaient pour un peu de refléter les rayons flamboyants.

je voulais dire qu’il vous faut le tenir de cette manière,

l’enfant-silence n’aime pourtant pas les pauses blanches et se dépêche de prendre là où il s’était arrêté - puis encore dans son inconscience insolente d’innocence, s’empare des mains frappées par l’expérience de Don pour lui poser l’appareil dedans et les mouler comme l’on moule des paroles qui ne savent exprimer les termes qu’il tente de convoyer ;

dans le contraste frappant du tableau étrange qu’iels peignaient,
il se surprend à penser qu’elle avait définitivement la peau tannée des enfants nés dans les étés dorés.

il y avait dans leurs gestes les réminiscences des lâches prières ;
celles dont on ne connaît ni les bénédictions ni les cantiques
que les pieux les plus sérieux tentent de reproduire ;

c’était ce sérieux-là qui transposait entre les sourcils froncés de mishka
en fidèle frauduleux sous la voûte verdoyante des feuilles d’un vert de celleux qui apprennent sans questionner son bien-fondé.

il avait raison, disait Don ; pour une fois, ça il le savait. il se contente de hocher la tête pour approuver - et par ce biais, s’auto-approuver d’avoir réussi la première étape d’une mission qu’il s’était vu attribuer.

mais le répit des saints est d’une durée trop courte pour reprendre son souffle -
celui-là même se coupe presque au milieu de sa glotte quand il la voit frapper
avec un entrain que lui-même n’aurait pas oser afficher

les quatre zéro tout droit sortis des enfers techniciens ;

la lumière froide des prismes bleus de l’écran
a une étrange réflexion de soi sur un visage empreint des soleils ardents, mais sans rage.


par déférence, il ne peut pas
alors se contente de secouer doucement la tête
dans un négatif qu’il ne veut pas insolent ni condescendant.

il ne faut pas… laisser le code de base.
ce n’est pas sécurisé.

sa tête blonde se penche légèrement sur le côté comme un penseur en recherche d’une solution à apporter.

c’est comme si vous donniez un laisser-passer générique aux monstres et aux humains pour les portes de nausikaa.

l’image est bancale ; il essaie.
du coup… avant de régler la taille de la police (on y viendra, ça se fait au même endroit),
je vais vous montrer comment corriger cette faille.

cependant, il ne veut pas prendre l’appareil cette fois ; il le ressent comme un sacrilège à chaque fois
et l’apprentissage se ferait beaucoup plus facilement si Don pratiquait elle-même sans se reposer uniquement sur ses paroles frêles.

alors, vous devez aller dans “paramètres”... puis choisir verrouillage ;

mishka, en bon professeur, dégaine également son propre rainphone à l’écran beaucoup plus grand,
beaucoup plus froid,
beaucoup plus net et beaucoup plus décoré que le sien -

le porte-clé cinnamonroll qu’il avait noué d’une promesse tout aussi bancale que son mentorat pendait lâchement sur la coque transparente de son téléphone (le plastique de la pauvre mascotte semblait souffrir tout autant
sinon plus de la chaleur que mishka).

il a des mouvements agiles et ses doigts au vernis bleu parfaitement colorié dansent sur l’écran pour lui montrer leur destination ;

au-dessus des feuilles en coupole chantent les psaumes des oiseaux d’un été harassant.

si mishka a la patience des séraphins, Don elle,
a la révérence de celleux qui prennent ses paroles comme une vérité absolue -
bien que c’était le cas comme deux plus deux font quatre,
c’est une situation qui le déstabilise comme une nouveauté à laquelle il ne se fait pas.

la chaleur étouffante crée autour d’elleux un carcan brûlant, étouffant ; comme une mère qui refuse de laisser partir ses enfants
iels étaient à deux là comme des adolescents qui croyaient conquérir un océan
composé de lettres immétarielles et de pixels aussi hivernaux que l’étaient les mains de mishka

car il ne craignait de la chaleur que la brûlure flamboyante.

un sourire fin étire ses lèvres quand il voit son élève d’un court après-midi sortir de quoi noter à la main la route qu’il lui indiquait
comme si soudain il était moïse du rainphone ;
ça l’amuse, comme la situation est inhabituelle et le sort de sa léthargie routinière.

mais Don a le défaut des enfants qui n’écoutent pas - qui sortent du droit chemin et fond déjà la rareté qui s’était dessinée sur son visage,
à mishka.

ça… c’est une promesse ((qu’on ne tiendra pas))) ; un ridicule ((dont on ne rira pas))

ma mascotte préférée ; c’est un personnage de sanrio, une compagnie japonaise

était-elle déjà allée au japon,              Don ?

mishka serre fort le petit animal entre ses doigts comme pour le ((garder pour lui)) protéger de la chaleur qui se voulait caniculaire par les milliers de glaçons qui lui servaient de peau.

qui a créé plein de personnages connus et très mignons, peut-être connaissez-vous hello kitty.

il n’y met pas de ponctuation,
il ne pense pas qu’elle connaît ; c’est là une manière de parler
de la politesse comme il avait toujours appris à en broder.

il s’appelle cinnamonroll.

et le sien s’appelle keroppi ; il ne l’ajouterait pas

sa parenthèse se ferme aussi vite qu’ouverte (il avait des yeux qui pétillaient
en parlant de cette passion un peu vide qui l’animait)

reprenons, ça,
c’est pas (moins) important.

il rallume son téléphone qui devait mieux se porter que celui de Don,
(car il a un ventilateur qui souffle à l’arrière de sa coque comme tout bon gamer mobile)
et continue son tutoriel comme si de rien n’était.

pour la taille, il faut ouvrir le menu “accessibilité” et faire comme ça, puis...

ses paroles continuent et le grincement doux du crayon sur le papier aussi ;
il n’avait pas remarqué avoir gardé serre entre ses phalanges la forme biscornue de son porte-clé.

comme un brise qui les prenait en pitié sous la lourdeur battante d’un été sans émoi ;
les conversations légères ponctuaient ce cours qui avait tout d’une prise sur soi -
parler de hello kitty semblait tromper la pesanteur de générations entières qui les séparaient ;


pourtant mishka est aussi assidu que l’est Don, en professeur qui n’avait rien à offrir
sinon des connaissances un peu bêtes et les mots pour souligner une perdition qui lui va à ravir.

oui c’est mieux comme ça ; et que chacun.e reste à sa place parce que mishka se rend bien compte qu’une fois terminée cette interlude
l’écran, la taille de police, ces mots emplis de certitude -
Don retournerait sans doute au statut qu’elle avait toujours rempli
et lui, dans les frontières un peu floues qu’il n’avait jamais lui-même décrit.

a-t-on vraiment de quoi être admiré.e.s ?

il a un murmure qui oscille entre le réel et les pensées ; une interrogation liminale
qui était presque virginale
entre ses lèvres qui ne brûlaient jamais de parler.

ça traverse son regard et ça repart comme c’est arrivé.

mais je suis ravi de vous avoir aidée. c’est mieux ainsi,

c’est vrai.

il aurait pu proposer son contact dans un cas potentiel où elle aurait besoin de son aide,
et que,
de nouveau frappée de soleil,
elle ne saurait où le trouver (là, sur ce banc qui lui servait de boîte à merveilles) ;

son propre rainphone posé sur les lattes en bois
cinnamonroll pendait lamentablement dans le vide.
il avait lâché le plastique qui prenait l’ombragé comme un bain d’acide ;

des yeux perdus d’un bleu trop pâle pour exister, mishka était reparti dans la contemplation d’une branche un peu étrange, un peu étriquée, un peu de travers,              un peu comme soi.