début août (suite du meryem-ange) ※ l'archéronAux effervescences, il n’accorde plus une miette d’attention.
Le coeur a pris la fuite trop longtemps ; a ignoré son appel - qui palpite depuis des heures dans un vertige à serrer la gorge.
Les paupières plus jamais ne se ferment car Ange craint que Dionne disparaisse.
Il ignore ce qui attrape ses jambes - il n’a jamais été timide, pourtant.
Quelque chose a peur en lui ; a peur sans mettre de mots, sans comprendre ce qui terrifie les muscles de ses hanches pour qu’il reste là ;

Il reste là.
Il la regarde au milieu des monstres et il croit qu’il la préférait au milieu des autres. Il sent la faim de ses pairs gronder dans les viscères jusqu’à faire remonter l’acide à leurs palais et il croit comprendre ;
Pourquoi Dionne avait peur de Ange.

Ange avance de plusieurs longues enjambées qui lui paraissent interminables. Il se plante devant Dionne sans un mot sans une émotion pour traverser les lèvres ; il n’est pas interdit pourtant ; pas figé pour autant ; il prend le temps.

Un temps long -
Étrange.
Un temps comme une éternelle seconde, au ralenti, à appréhender les sensations qui attrapaient le ventre, les lèvres, les mains, la gorge.

Dionne.

Il lève une main vers son visage mais dans sa course les doigts s’arrêtent avant de toucher son épiderme. Il croit qu’il n’a plus le droit.
Ou peut-être veut-il lui faire comprendre qu’il a compris ce qu’elle lui disait autrefois ;
Qu’il a compris pour de vrai, cette fois.

Je t’aime.

Pour la première fois ou la centième ;
Il ne sait pas ;
Ca ne veut pas dire la même chose, pour une raison qu’il ignore ;
Il a compris ce que ça voulait dire quand elle lui a dit “je t’aime” car alors au regard de Dionne
Ange existait indépendamment de toute attente, de tout le reste.

Mais il y a quelque chose de froid ;
Loin de toutes les ardeurs qui avaient attrapé Ange jusque là.
Ange appréhende mal le silence qu’elle lui offre.

As-tu toujours peur de moi ?

début août (suite du meryem-ange) ※ l'archéronAu vertige qui s’invite cruel aux tripes, équilibriste devant le gouffre, le regard dévore l’immense et terrifique néant, Ange ploie le coeur et le genou impuissant, affligé d’une inexorable indifférence.
Ils se battent à la gorge et aux lèvres entrouvertes : mille mots interdits soudainement affreux à prononcer comme s’ils étaient prononcés sadiques, prononcés barbares.
”Je t’aime” est caché au-dedans honteux, infâme - immonde - cela sonnerait outrage roulé de sa langue à lui. Il ne peut faire cela à Dionne ; il ne peut lui offrir des mots dégoûtants.
Alors Ange se tait.
Religieusement.
Prie en silence que Dionne l’aime ou l’aimera mieux demain.

En silence car l’espoir serait inavouable - dégradant lui aussi, pas pour lui mais pour elle.
Il ne ferait pas cela à Dionne.

Il se sent scandaleux d’exister soudainement.

C’est vrai.

Les épaules serrées ne se sentent plus si grandes ;
Il veut se faire petit - pourquoi le corps est immense ?
Abject Ange.

Je suis désolé.

Le corps est penché en avant - ça lui échappe, il ne peut s’aider lui-même, Ange veut toujours retrouver Dionne malgré toutes les barrières érigées.
Elle a l’air si loin.

Il ravale sa salive comme s’il avalait de l’acide, péniblement.

Dionne.

Il secoue la tête.
Ange sait.

Tu n’as pas besoin de le dire.

”Je ne t’aime plus” ça fait mal à prononcer.
Et Ange ne veut pas l’entendre - ne l’entendrait pas, à vrai dire.
Ange sait pourtant - sans savoir vraiment.

Mais j’ai besoin de savoir.

Une seule chose ;
Une seule chose qu’il doit entendre de ses lèvres et de sa langue seulement.

Ne veux-tu plus jamais me voir ?

Les mâchoires se serrent.
Il se rappelle ;

Il faut que tu dises “en effet, je ne veux plus jamais te voir”. Alors comme ça, lorsque ça fera mal, chaque fois que tu me verras, ce sera de ma faute, Dionne, de m’être imposé à toi. Je prends. Cela me va.

Il faut que tu dises “pars” ;
Echo d’un temps où les souvenirs sont encore intacts.

début août (suite du meryem-ange) ※ l'archéronInterdit, le corps immobile.
Des vertiges creusent ses articulations paralysées. Une brume de volutes floues recouvre le regard - Ange lève des doigts délicats vers la chevelure de Dionne lorsqu’elle s’approche - lorsque les mots articulent “je t’aime encore”.

Il croit qu’il n’a plus le droit ;
D’humer les odeurs et se perdre dans son parfum. Il la voit qui tremble au-dedans des pupilles mais Ange ne veut pas comprendre ;
”J’ai toujours eu peur de toi” - “Je t’aime encore” - cela court-circuite, il voudrait le coeur simple ;
Mais le coeur de Dionne ne l’est pas alors il s’adapte.
Il croit que c’est par amour mais peut-être est-ce parce que sans elle il est seul.

Je sais.

Il baisse le regard.
Ange a peur aussi.

De Duke, de Mère, des monstres qui grondent dans la tanière.
Mais Ange ne peut pas avoir peur ; Ange doit protéger Dionne ; c’est ce qu’elle murmure sous les longs cils tendres. Ange a appris à écouter les mots muets de Dionne - délibérément ignoré ceux qui prétendent qu’elle lui ment.

Cela lui va.
Dionne ment assez bien pour qu’il y croit.

Ils ne te feront rien.

Il lève sa main vers la sienne à son visage.
Les doigts courent sur la peau - combien de fois y a-t-il dessiné des sillons ?
Elle n’est plus à lui.
L’a-t-elle été un jour, à vrai dire ?

Ange piétine au-dedans ce qui murmure “elle n’est pas à toi”.
Elle est à lui.
Elle est à lui.
Elle est à lui.

Tu es à moi.

Les mots disent ;
Mais les doigts la relâchent, le corps recule.
”Tu n’es pas à moi” dans le regard. Un sourire pleure ; de toutes ses dents exposées comme les crocs du chasseur ; aucune larme dans son regard soleil.

Je les tuerais. Je les tuerais - ils ne te toucheront pas. Maintenant va.

Tu n’es pas à moi.
Tu es la seule ; d’ailleurs ; qui ne le soit pas.
Il reste tes cheveux dans une boîte à bijoux dans les tiroirs chez moi.
Mais tu n’es pas à moi.

"Cela me va" pleuré sur les lèvres qui ne disent pas.
Les pensées occultent.

Ange ignore.
Cela lui va.
Elle est à lui ; elle est à lui...
Elle est à lui.

début août (suite du meryem-ange) ※ l'archéronIl ne faut pas tuer ;
Ange a déjà entendu ces mots-là, Ange a déjà ri, déjà fanfaronné la mort, défié celle-ci dans des ricanements sordides ; a dit la morale ! la morale ! c’est bon pour ceux qui meurent, pour ceux dont la vie se termine triste et pour ceux qui restent en pleurant.
Ange ne pleure pas.
Pourtant quand Dionne dit “Il ne faut pas tuer” ; Ange y croit ; docile, hoche de la tête.
Alors Ange ne tuera pas.

Je ressens trop - ou rien - c’est à toi de voir. Tu sais comme moi que les monstres ne ressentent pas.

Le regard est noir ; assombri de nuls sentiments, ce ne sont pas des amours qui le gagnent mais la glaciation des temps jadis où le coeur était à l’abandon.

Pas comme vous - pas comme toi.

Ange n’a pas non plus de pitié pour les monstres ; (ou les hommes)
Ange n’a pas de pitié pour lui-même ;
Alors Dionne peut bien le traiter comme elle l’entend ;
Il y consent.

Ferme les yeux, doucement.

Je t’ai dit “va” ; ce n’était pas un ordre ; maintenant c’en est un.

La gorge se serre.
Les lèvres se pincent.

La manière dont je ressens trop ou rien, maintenant, aimerait écorcher ton visage et y signer des affres. Va, avant que je te défigure, Dionne - autrefois était la dernière fois.

Les souvenirs s’infectent immondes des plaies, du sang, des dégoûts, des horreurs ;
Ange n’idéalise pas celles qu’elles étaient hier - Ange veut idéaliser celles qu’elles seraient demain.
Et si Ange meurt encore, reviendrait-il amante de Dionne ?

Il y a une résignation dans la voix qui crache sévère ;

Pars. Je veillerai de loin. Tu n’auras rien à craindre.