un sourire te creuse le visage, quand tu écris les premières lignes de ton courrier ; et plus les lettres s'enchaînent les unes aux autres plus tes lèvres se tirent, jusqu’à faire craquer les gerçures de ta pauvre peau qui prétend encore pouvoir supporter le froid que t’imposent tes hobbies. tu vieillis, alexander? magnifiquement. si beau que ta folie a des teintes de passions dérisoires, d’envies maladroites. si beau, qu’on ne te soupçonne pas.

un coup de langue sur l’enveloppe et tu scelles ton poème d’amour, qu’il te faut maintenant porter à l’élue de ton délire. tes pas te guident alors sans problème jusqu’à la demeure du jeune et brillant pavel — d’ordinaire à cette heure ci, tu le sais tu l'observes, il n’est point chez lui.

et pourtant. à genoux comme un chien dont la queue bat l’air avec joie quand tu glisses sous sa porte ton courrier teinté du sang de tes lèvres abîmées, tu remarques, surpris tu le concèdes, à la fois le bruit grinçant et le mouvement de l’entrée qui s’ouvre devant toi.

ah, aujourd’hui, tu es vu, tu es pris.

tu souris à pavel, comme heureux d’être pris la main dans le sac pourtant quand tu te redresses tu as toute l’allure d’un gamin qui craint bien de se faire taper sur les doigts.

ça excite la bête noire en toi d’imaginer qu’il puisse lire, là sous ton nez, une énième des lettres que tu lui envoies religieusement, gravée de biens des menaces horribles que tu ne chantes que pour lui.

« pavel. quelle allure tu as, je te dérange peut-être ? j’étais venu te déposer un pauvre bout de papier, anonyme, sur lequel j’ai apposé toute l’expression de mes sentiments à l’égard de notre amitié. enfin, rien n’est plus anonyme aujourd’hui. merveilleux, hm ? »

de faire face au sparte habile contre qui les combats eurent toujours été teintés de rire et de sang, et dont, maintenant, il saura calquer le visage de son harceleur minutieux. alexander aurait pu être triste de la fin de son jeu — s’il savait seulement donner sens à cette émotion.

« mais tu t’en doutais sûrement. qui d’autres que moi pour t’écrire avec tant de panache. »

pavel pouvait connaître bien du monde il n’était surement pas aussi bête que son regard de mort ne le laissait penser ; et des fous qui lui écrivent une lettre par semaine pour expliquer avec tendresse quel bonheur il serait de pouvoir le torturer si ardemment qu’il supplierait la mort comme délivrance, il n’en existe qu’un sur cet île. et il est plus dangereux qu’un simple tortionnaire ne puisse l’être.

c’est étrange, cette façon de te dévisager, toi qui pourtant lutte corps et âme pour n’inspirer à la foule, ignare ou consciente, que toute l’étendue de ta bonne foi. ne pourrait-il pas simplement te féliciter pour ta ponctualité, ton travail hebdomadaire toujours riche en qualité, et, la tendresse même de ta propre venue pour délivrer tes sentiments ?

tu sauras te satisfaire de l'amertume que prodigue son regard de cabot malheureux.

son regard annonce la pile de lettres, accusant finalement tous tes efforts. tu l’observes toi aussi, satisfait de voir qu’il ne s’en sépare point mais que toutes ensemble elles composent comme une pyramide d’insultes fleuries qui, il le proposerait bien : seraient de belles lectures pour le coucher.

« des menaces, oui ; de l’intimidation, oh, pavel. je n’oserai point… »

tu mimes la retenue, pince tes lèvres pour faussement retenir un sourire taquin. y’a-t-il une seule chose sur terre que tu n’oserais pas, alexander ? si ce n’est aimer et mourir.

tu joins tes mains dans ton dos, t’efforce d’incarner l’innocence. ton regard émeraude fuit la profondeur de ses sombres pupilles. ne chercherais-tu pas finalement à ce que l’on te tape sur les doigts ? pavel saurait bien le faire.

« pourtant tu les gardes dans ta demeure… peut-être y jettes-tu un coup d’oeil quand tu rentres, quand tu pars. quel bonheur de me dire qu’avec un courrier par semaine, tu penses à moi tous les jours, pavel. je pense aussi à vous, tous les jours. mes adorables criminels. »

tu inspires, hausse les sourcils pour revenir le regarder fièrement. ton humeur n’est plus au flirt mais à la confrontation.

« lis donc ! lis donc celle-ci ! » tu lui tends une seconde mais te ravise aussitôt. « non tu as raison, laisse moi faire. »

tu toussottes, racle ta gorge, tient ton dos droit et ouvre ton propre courrier pour lui délivrer ses secrets. ta stature est imposée, ton aura presque menaçante. tu lui ordonne d’écouter chaque syllabe que tu t’apprêtes à lui chanter simplement en existant face à lui.

« pavel. mon tendre pavel. aujourd’hui, lorsque je t’écris je te l’avoue, c’est la faim qui m’anime. de part l’encre noire qui coule de mon stylo, j’imagine dans chaque courbe manuscrite tes intestins se répandre. mais avant de me délecter de ton corps mort, je prendrai un plaisir immense (et tu le partageras je l’espère), à découvrir, avec toute la bienveillance qui m’incombe, chaque centimètre carré de ton être, que je cuisinerai délicieusement. il se passera des jours et des nuits avant que tu ne t’endormes pour toujours, et nous saurions apprécier, toi et moi, les plats que je préparerai en puisant la viande à sa source : toi. » tu lèves ton regard pour lui témoigner toute ta passion. « j’étais fort inspiré. ça te plaît ? »

de par ces mots si méticuleusement choisi tu sais, en te noyant dans ses iris, qu’il n’entend pas de simples menaces mais bien des actes dont tu as déjà été l’artiste.

il sait. le monde ignore mais vous trois, savez. ça fait bouillir ton sang, trembler ton palpitant, et quelques fois sur l’oreiller tu poses ta tête et tu y penses, à ce crime qui vous retient, la gorge nouée, sachant pertinemment qu’un seul écart et il en existe un dans ce trio — toi, capable d’éclater.

mais il n’a pas peur ; non pavel est un véritable cabot qui montre les crocs. jolies dents. tu écoutes sa voix délivrer un avertissement déguisé en conseil, et tu te régales d’imaginer le voir puiser de son temps et de son énergie simplement pour te faire chuter de ton trône. mais s’y risquerait-t-il vraiment ?

« je peux aussi tout simplement t’inviter… » livres tu d’une petite voix badine, comme une boutade que tu espères innocente.

mais il récupère ta lettre pour en faire des confettis, et tu boudes de voir tes mots si bien écrit se retrouver si négligemment anéantis alors que tu n’avais lu que la moitié de ton courrier.

ta tête se penche sur le côté, et tu lorgnes sur lui en te demandant si tu ne pourrais pas, à tout hasard, lui arracher une oreille. tout se tente. mais pas sûr que tu en sortes indemne, et, tu as rendez-vous ce soir.

pas moyen que tu en viennes au sang aujourd’hui. pas non plus question que tu ne le laisses se croire tortionnaire et intouchable dans l’équilibre de votre relation.

« tu crois que je me suis débarrassé du cadavre ? »

ça te plaît, de laisser traîner des indices, qu’ils soient vrais ou faux. que dans tes lèvres qui s’étirent, doucement et très légèrement, il puisse y trouver le doute, peut-être même : un soupçon de peur.

« je suis, tellement, tellement attaché aux souvenirs, pavel. ma mémoire me fait défaut tu sais, je n’ai plus trente ans... j’aime garder quelques traces de mes exploits — et de ceux des autres ! »

tes bras se croisent sur ta poitrine, tu hausse des épaules. tu aimes croire que l’innocence te va bien, même si tes amours macabres t’en rendent imperméable.

« je peux continuer de t’écrire, malgré tout ? »

garder le contact, raviver la flamme. que dans tes lettres il y trouve la rage de toujours rester droit, que jamais aucun repos ne puisse lui être tendre, tant la justice du monde le guette et dans la mort par alexander l’attend. tu veux continuer ton jeu, ce harcèlement bon enfant qui paraît puéril, et qui pourtant gangrène parce que c’est éternel. tu veux que pavel devienne fou, qu’il rêve de toi, qu’il pense à toi, qu’il cauchemarde de te voir, qu’il prenne peur quand tu es introuvable.

« j'essaierai d’être moins sanglant. »

que tu existes comme un mal qui le ronge pour qu’à la fin, tu puisses fièrement récupérer son cadavre.

il bouillonne, de tout son sang, pavel ; tu le vois bien car observer les gens c’est ton plaisir coupable, si bien qu’un simple souffle te permet de savoir si l’excitation est sensuelle ou colérique.

et il te veut mort.
comme la plupart des individus qui te connaissent.

tu voudrais t’en réjouir, rebrousser chemin et fêter seul ta propre victoire, t’élir sans demander l’aide de personne pour te couronner : roi des emmerdeurs. qu’importe, c’est vrai, qu’il jette tes courriers ! tu te satisfait d’imaginer l’effort qu’il lui faudra pour chaque semaine soupirer à la vue d’une enveloppe qui est la tienne.

mais pas le temps de tourner les talons pour jubiler. on t’entraine avec hargne, menace à l’appuie, entre des murs capables d'étouffer vos paroles et toi subitement tu rêves de l’étouffer lui.

tu t’amuses à vouloir glisser contre le mur, y mettant tout ton poid, comme un enfant qui veut se réduire à l’état de poussière mais ça te captive tellement de le voir si agacé dans sa retenue, que tu reste debout, simplement plus petit face à lui. et ta caricature ne serait pas parfaite si tu n’avais pas les bras en l’air pour réellement te faire victime de sa colère ; de quoi le rendre un peu plus fou de ta bêtise mais pas assez à bout pour en venir au sang. quoi que. et pourquoi pas finalement ? c’était trop tard de toute façon.

« je ne suis pas de ce bord, pavel, mais j’avoue que de te voir démarrer au quart de tour a la faculté de m’exciter. »

tes lèvres dessinent un sourire si cruel, du genre à décrédibiliser la moindre remontrance que l’on t’adresse tant il n’existe rien de sérieux à tes yeux. et tu exultes, à l’idée de voir vos peaux devenir le parcours de rivières rouges, qu’il résonne en ces lieux vos deux voix haletantes, essoufflées par la haine qui animent vos coup de poings. et quand vous entendrez les premiers os se briser, le premier véritable cri qui cède à la douleur, il faudra cesser, car pavel ne peut mourir — tout du moins pas tout de suite.

« frappe, pavel. frappe. » chuchote-tu comme un ordre qui n’espère que se faufiler dans ses pensées. plus mesquin encore ton visage n’exprime plus l’amusement juvénile mais bel et bien le désir irrationnel de tes passions morbides. « frappe vite et frappe fort, je veux une bonne raison de te briser en deux. après je te récupérerai, comme un animal abîmé, et je prendrai soin de toi. tu seras remodelé selon mon plaisir ; tu seras un peu à moi. »

ça le tue de dire non, ça l’empoisonne de se retenir, de se faire plus bon qu’il ne l’est vraiment. ça se voit, ça se sent. et plus la tension s’accentue à travers vos regards éléctrisant, plus tu te sens rassasié, comme béni d’un cadeau dont tu n’imaginais pas la forme en mettant les pieds ici. tu pourrais presque avoir envie d’être pris sur le fait à chaque dépôt de courrier.

« menteur. »

soufflé comme on sonne un départ, et le poing tombe sur ton nez comme la lame fend l’air à travers la guillotine. tu chutes au sol, glisse à travers ses jambes et, sonné par la force de ton camarade, tu prends quelques secondes à ouvrir les yeux pour l’observer fier de sa puissance.

ton visage est ensanglanté, tu t’es mordu la lèvre au passage et n’a plus toute la concentration nécessaire pour paraître jeune et frais comme à tes vingt ans. l’une de tes mains essuie partiellement ton visage ; le goût de ton propre sang te déplaisant suffisamment pour être énervé d’avoir la gueule toute peinte, et tu le vois, magnifique dans sa rage, si humilié de sa sagesse. un homme, le plus simplement du monde.

et encore, il fallut, que sur ton sale visage on y trouve ce même inlassable et exécrable sourire à en faire pâlir les morts. l’ébauche d’un rire se fraye même un chemin à travers quelques toussotement désagréables, tandis que tu te redresses difficilement mais,

point besoin de se relever.

« tu es toujours si généreux... »

saisissant sa cheville tu la tire d’un coup sec vers toi, poussant de ton pied sa deuxième jambe pour lui interdire le moindre équilibre. voilà que pavel chute, et tu n’attends pas qu’il rage de cette ruse pour te jeter sur lui, un coude sur sa gorge pour mieux lui imposer ton regard. tu lèves à ton tour le poing, puisant en lui par la force de vos yeux qui s’insultent, silencieux, l'énergie nécessaire pour exécuter ta frappe aussi rapide que rigoureuse. de quoi lui offrir, peut être en retour, les biens faits d’un nez cassé.

mais tu vises la mâchoire, comme pour ne pas abîmer son beau visage. sur lui, ton sang perle pour le peindre de tes fluides, et la simple vue de cette cascade de l'aîné sur son cadet te satisfait bien plus que milles coups. à cet instant-ci tu comprends ce que tu sais déjà, alexander. jamais tu n’aimeras rien ni personne de plus que les vivants qui se teintent de la mort.

tu souffles, levant ton coude pour lui rendre liberté mais toujours installé sur son abdomen pour qu’à son tour, il subisse ton regard prétentieux.

ta respiration est bruyante et lourde, tu le menaces d’une fervente voix ;

« encore, pavel ? encore ? je vais te sortir les yeux un par un pour mes cocktails, arracher tes cordes vocales pour en faire des archets, garder ta peau pour en faire du papier. je mettrais en cadre tes intestins, dégusterai ton foie au petit déjeuner, ta langue au goûter. et ton cœur, pavel, ton cœur je le garderai pour peindre avec, comme martin drolling l’a fait avec ceux des rois. »

que d'amusements pour toi qui n'en espérais pas tant. en écrivant ton courrier ce matin tu y avais consacré tant de rage et de passion que le papier semblait nécrosé par ton encre et, c'est incroyable de constater que tu n'es jamais à court d'amour à propager si maladivement.

« montrer quoi, à qui ! »

rigoles-tu avec toute l'élégance du monde, tant son humour n'est que le reflet même de son innocence. y'a t-il une seule âme en ce monde qui ignore tous les vices dont tu es maître ? n'existe t-il pas, au contraire, un consensus silencieux et qui atteste que personne ne doit s'autoriser à songer à tout le mal dont tu puisses être capable — et dont tu es ?

dans le regard des demi-dieux tu y as toujours puisé le dégoût et la crainte, comme si sur tes mains impeccablement propres on y voyait toujours le sang se répandre. un simple sourire muet et les oreilles se tournaient ailleurs, sans poser de question. c'est peut-être prétentieux de ta part mais, tu pourrais sans doute affirmer que : de peur, personne ne mentionne jamais le nom d'Alexander Anderson dans une conversation.

troublé par ces idées qui te rendent plus heureux encore qu'à présent, tu traines ton corps lâche, sur le parquet en découvrant la petite bête du gévaudan. un véritable animal de terreur à la couleur ébène, de quoi faire rougir ton cœur et pâlir les hommes. enfin, un simple cabot, mais alexander tu ne peux t'empêcher de romancer ce qui t'obsède.

ton rire qui jusque là ne résonnait que comme un grincement, s'estompe définitivement, et tes yeux se concentrent pour examiner la beauté du chien qui grogne, menaçant. mais tu ne crains rien, pas même la mort : tu as hâte au contraire de pouvoir te moquer d'hébé quand elle te laissera, avec pitié, rejoindre une seconde fois les vivants.

« par tous les dieux, pavel ! » tes lèvres se tirent, veulent afficher le plus grand des sourires, dévoilant tes dents. la joie vieillit un peu plus ton visage tant les rides se marquent aisément, quand toutefois cet engouement te ramène presque à l'état d'enfant.

« un labrador ! quand il existe bien des bêtes menaçantes toi, tu deviens le meilleur ami de l'homme, et le chien de famille par excellence. »

comment ne pas rire d'une pareille situation, quand quelques secondes auparavant vous étiez capables d'un duel à mort ? tu te redresses pour te tenir assis face à lui, un bras tendu pour effleurer le poil à son buste avec tes doigts salis de sang.

« c'est fantastique. il faut que je te kidnappe un jour, je crèverai de mettre un collier à ton cou… » le tenir, homme ou chien, aux pieds du canapé. une minute suffirait, une seule minute pour te sentir exalté. tu déglutis, sûrement pour avaler le sang qui coule dans ta gorge, te reposant enfin d'une telle agitation alors tes mains rejoignent le sol derrière toi, et tu profites d'un petit instant pour souffler.

« je t'aurais... » marmonne-tu, collectionneur de trophées. « tu as du café ? » mais tu sais qu'il te mettra dehors. il te fallait juste continuer d'être insolent, pour qu'on ne doute jamais de ta folie.

et quel sale clébard. tu apprécies cette apparence, elle t’aide à te souvenir de toutes les créatures que tu as martyriser en secret durant ta longue adolescence. mais qu’aurais-tu fait, face à un tel chien ? il a dans les yeux de la misère troublée de tendresse ; un brin trop d’humanité, finalement.

enfin. si à ses yeux tu n’incarnes qu’un sale roquet, tu sauras t’en satisfaire… ce n’est pas si mal, il aurait pu te considérer plus répugnant qu’un rat mort. tu aimerais hausser des épaules, afficher comme ses mots n’auront jamais la prétention d’être frustrant. mais tu fatigues, alexander. la comédie aujourd’hui s’est muée en bataille et tu peines à avoir les idées claires, même à travers quelques boutades.

en voulant te relever tu baisses ta garde, t’offre comme un parfait appât. une douleur vive vient te rappeler l’importance de cette erreur. surpris, tu t’écroules un peu plus au sol encore en te tordant, tirant sur ta jambe pour espérer la récupérer entière.

les dents serrées, tu poses un regard de haine sur le cabot.

« PAVEL. » lance tu d’un cri sec.

tu tapes avec ton pied libre sur la gueule de la bête, te pliant pour essayer de retirer ses crocs de ta chair. c’est dur mais pas impossible, et à force de persévérance (et d’adrénaline), tu te libères, mais amoché.

recroquevillé sur toi tu es exaspéré, loin d’être assez concentré pour lui voler la moindre pincée d'énergie afin d’apaiser la douleur.

la peur t’a atteint, pour la première fois depuis longtemps. jamais, alexander : jamais tu n’avais été attaqué par la proie que tu pensais prise. blessé jusqu’au sang : tu avais oublié à quel point tu craignais cette douleur.

sur ton front perle ta sueur, et de ta bouche s’échappent ton souffle lourd. les traits tirés par la frayeur vécue, tu crèverais pour un anti-douleur, mais tu dois te contenter de ce que tu as : un labrador avec lequel tu as trop joué.

« pavel, putain pavel. un bandage, s’il te plait. du désinfectant ? »

mais tu te doutes bien qu’il se réjouit de te voir petite victime perturbé par toute cette agitation. tu te traine à lui, prêt à reposer ton corps d’adulte mur sur sa carrure de cabot féroce.

« aller pavel. tu as gagné, on arrête. va me chercher un bandage. »

et si ta voix sonne amical, à la limite d’un appel à l’aide cordial, tu ne peux pas ignorer en toi la haine qui croît, et qui te dit

crame le. crame tout. pète lui le crâne. démembre le. bouffe sa chair, ses os, bois son sang.

« pavel… »

d’un ton presque tremblotant, les sourcils tirés vers le haut. ton regard est celui d’un ignare qui croit que quelques mots peuvent éteindre un brasier. tu voudrais te hisser à son cou, enlacer la bête pour enterrer la hache de guerre : t’as tellement peur des infections et autres conneries de maladie.

il n’y a plus rien d’amusant dans votre rencontre ; et tu pourrais presque t'énerver jusqu’à l’épuisement, si tu étais aussi fou que l’imagine le bas peuple.

et pourtant. tu t’imagines les mains peintes de son sang, des assiettes à ne plus savoir compter, garnis de ses organes, et sous le canapé, un tapis de sa peau. mais tu inspires, alexander. tu ne dois pas. ces fantasmes ne doivent rester que des rêves que tu couches dans tes écrits tels de somptueux poèmes.

dans l’entrée de sa demeure, tu souffles toute ta timide rage ; et le clébard redevint un homme. mais impossible pour toi de relâcher ta garde une nouvelle fois, c’est pourquoi tu ne le quitte plus du regard.

sa voix te sonne étrangement moins amusante, un brin trop sarcastique à ton goût, même ; et tu ne peux contenir un sourire condescendant. comme si pour si peu tu ramperais dans les rues — mais pour quoi te prend-t-il ? tu voudrais mettre à feu sa demeure durant la nuit, pour lui prouver que jamais tu ne t’avouerais véritablement vaincu. mais pour l’instant tu te tais, suis ses pas en grimaçant quand il te faut t’appuyer sur ta jambe amochée ; fardeau de ta honte. un putain de brasier, et t’y balançerai orion avec, pour la gloire du drame. tu t’apaises en imaginant les flammes, t’assois quand on te commande de t'asseoir.

« tu es si… » ton visage doucement mime un non.

con. désagréable. si peu drôle. prétentieux. hautain. immature. bien des termes que tu te refuses à dire tant que les plaies ne sont pas désinfectées. et pour lui priver du spectacle qu’il attend, tu te contiens, alexander, qu’aucune grimace ne vienne salir ton visage vieilli et que la fierté, toujours, te tienne droit pour marcher sur les traces des enfers.

le pied levé, tu restes silencieux un moment. quelques fois trouver les bons mots demande réflexion, si tu ne veux pas retrouver des compresses imbibées d’alcool dans le fin fond de ta gorge. et soudainement tu parais heureux : depuis quand ne s’était-on pas occupé de toi ?

non,

s’était-on un jour, occupé de toi ?

« je peux te trouver une place à l’hôpital, quand tu en auras marre d’être un délinquant. tu es jeune pavel, tu peux encore changer ton destin… enfin. pas totalement. »

la bêtise n’efface jamais le crime.

« si un jour la vérité te rattrape, tu pourras toujours te cacher à mes pieds, en remuant la queue. » tu lèves les bras en l’air, victime qui se rend. « rions pavel, ne me punis plus d'être drôle ! » tu observes à présent ta jambe, baisse les mains. « mais penses y. » il faut toujours savoir où se cacher. « tu ne comptes pas me servir de café, hein ? je n’ai plus qu’à rentrer pour refaire ton bandage. il est vraiment… médiocre. je t’apprendrai quand tu seras plus sage. »

mais tu ne le diras pas ; pour te protéger de ses crocs et le protéger de tes couteaux. quelques fois quand la folie se répand tu as peur, alexander, qu’elle ne déborde et rafle tout. et pavel ne doit pas mourir. pavel doit encore subir.

soigné par ton bourreau, tu te résous à ne boire que ses mots, sympathiques tu l’admets sans pudeur, assez doux même pour chatouiller ton insolence.

« bander d’avoir du pouvoir, haha… »

tu roules des yeux, te redresse sur tes jambes pour jauger la douleur. tes yeux sont rivés sur le bandage que tu tiens comme trophée, alors tu te demandes si un détour par chez orion saurait t’exciter plus encore que la compagnie maladroite de pavel. quand tu doutes ainsi, tu te perds à penser qu’il serait bon de les garder en cage tous les deux, pour en profiter sans compromis.

mais séquestrer est toujours un crime et tu te refuses à ces déviances dangereuses. il n’y a que la mort, qui garde tes secrets — et encore. pas toujours.

« si tu crois que je risque quoi que ce soit dans cette histoire, pavel, c’est que j’ai encore beaucoup à te montrer… tant mieux. j’adore surprendre. »

l’une de ses mains s’ose, téméraire, à venir effleurer l’une des boucles brunes du garçon. alexander ne s’éprend éternellement de personne mais s’avoue toujours fasciné de ce qui lui tombe sous les yeux — et quand il n’y a rien ni personne, il pense à elle (quand ce n’est pas à lui).

« je suis si impatient. j’insiste. chaque mot que je couche sur le papier et que je te délivre, je les pense tous sincèrement. quand mes mains déchireront la peau qui garde ton corps, j’y plongerai tous mes bras, jusqu’à la tête, s’il le faut… il doit y avoir quelque chose de si précieux, à l’intérieur de toi, pour te faire ainsi...mais pourquoi crains tu tant que ma langue se délie quand je ne fais que chanter à quel point j’ai hâte de te dépecer ? »

tu ris, fais honte à la querelle qui vous précède.

« je te traque pour le plaisir, rien de plus ! »

tombe encore une insulte sur le coin de ta tête mais tu ne souffres plus de recevoir un coup si léger. tes oreilles ont entendues bien pire, et bien plus mélodieux — un putain de taré finalement, ce n’est qu’une poussière à côté de la montagne d’immondices qui te qualifiraient mieux.

poussé pour punir tes audaces tu titubes, manque de tomber alors que ton bras cherche le mur qui saura te retenir de paraître ridicule ; et tu ris, pour tuer sa violence et ne laisser régner dans la pièce que toute ton assurance. pavel ne saura te rendre misérable, même mordu, même au sol, même boitant. jamais. tu le tueras avant, sans excuse pour orion.

« bien, bien ! pas de café… tu es si peu courtois… »

ta langue glisse sur tes lèvres, tes yeux s’ancrent dans ceux du garçon téméraire. tu es curieux, alexander, mais pas suicidaire. tu souris de toute tes dents, prend un temps fou avant de te tourner pour quitter les lieux.

« arrête moi si tu peux pavel. mais ne te fatigue pas trop à la tâche ! »

d’une main tu caresses les murs qui te guident vers la porte, observe la pile de courrier que tu lui a dédié avec un bonheur singulier. rien n’a meilleur goût que celui d’être une nuisance dont on ne peut se défaire. tu habites chez pavel comme un cafard grâce à ces lettres et les voir en si grand nombre te rassure presque. ce n’est pas aisé de s'immiscer dans la vie de quelqu’un, mais c’est si gratifiant d’y parvenir.

« je t’embrasse, mon ami. à bientôt. »

puis ce sont sur ces derniers mots que, boitant, tu abandonnes les lieux, sûrement pour mieux y revenir.