Naissance Né un premier janvier, sa naissance est considérée comme une bénédiction par sa mère dès lors qu'elle le serre dans ses bras, un cadeau qu'elle n'espérait plus. Et même si le petit garçon au prénom inspiré de Râ et de la pluie ne le sait pas encore, c'est bercé par les rayons du soleil qu'il ouvre ses yeux sur le monde pour la première fois.

6 ans Ray’n prend très vite conscience de sa différence. La froideur de Queens irrite le bout de son nez rougi par la neige. Les regards changent, les yeux se baissent et les mots sont comme des piques qui le transpercent sans hésitation sur le pilori. Qu’y a-t-il de si mal à le regarder droit dans les yeux ? Puis très vite cette froideur n’est plus que physique, elle est également mentale. Sa mère lui promet plus et il décide d’y croire, à deux ils ont toujours tenu le coup. Mais le petit garçon peine à trouver sa place, entouré de camarades bercés par les discours violents de leurs parents qu’ils ne comprennent sans doute même pas. Qu’ils répètent sans réfléchir. Il les déteste. C’est à 6 ans à peine que Ray’n comprend que la haine n’épargne jamais les enfants.

8 ans Sa mère rencontre un américain. Il est marié, déjà père d’une petite fille mais grâce à son aide ils peuvent garder leur appartement. Les questions gênantes demeurent ainsi muettes et sans réponses. Est-ce que maman est “gênante” aussi ? Debout dans un coin de la pièce, c’est ce qu’il se demande lorsque ses yeux d’enfant se posent sur sa mère au sol pour la première fois. Ses larmes ruissellent le long de ses joues pour finir leurs courses sur le parquet teinté de rouge, quant à son corps, lui est coloré de bleu. Ray’n aimerait croire à de la peinture comme son beau père aime si souvent le lui répéter, mais il n’est pas crédule. Sa main se pose sur son épaule, la pression est telle qu’il aimerait hurler de douleur tandis qu’il se débat de toutes ses forces pour retrouver sa mère. Il sait que c’est son tour. Lentement, la voix de sa mère devient trouble, presque lointaine tandis qu’elle implore qu’on lâche son fils. Puis le silence, un honteux réconfort dans lequel le garçon se réfugie sous la douleur des coups.
Ray'n n'a jamais aimé le bleu.

10 ans "Tout va bien."

11 ans L’école est un véritable enfer. Ray’n est un élève intelligent mais sa dyslexie et ses problèmes d’attention le retardent vis à vis de ses camarades de classe. Certains disent qu’il n’a pas appris l’anglais assez jeune, d’autres qu’il devrait arrêter de parler arabe pour se concentrer sur ce qui compte.. puis s’en suit naturellement les insultes. Celles auxquelles on ne réfléchit pas, celles qu’il, par habitude, a appris à ignorer. On ne supporte pas qu'il ne baisse pas la tête, on ne supporte pas qu'il réponde sans trembler. La simple pensée qu'il puisse être fière de ce qu'il est malgré tout accroît leur haine à son égard. Mais Ray’n à 11 ans et après tout ce temps, il n’a toujours pas surmonté son chagrin ni sa colère. Ils se prolongeaient à l’infini tel un puit noir, un trou où il aurait jeté une pierre en espérant qu’elle toucherait le fond pour le libérer de sa souffrance. Alors Ray’n à 11 ans et il réagit de la même manière, de la même façon dont il est traité chez lui. Une nouvelle pierre est jetée mais, celle-ci produit désormais des vagues incontrôlables dans les eaux d’une colère jusque-là maintenue par une volonté fracturée par le temps. Il frappe, encore et encore à la recherche de ce même silence dans lequel il se réfugie lorsque la violence remplace les mots. Finalement, on l’arrête à temps, l’affaire est étouffée par des compromis d'adultes qu’il ne comprend pas mais ses yeux eux, restent fixés sur le sang sur ses mains qui n’est pas le sien. Est-ce si différent du bleu ?
Il ne retournera jamais dans une école.

12 ans  Ses yeux sont rivés sur le carrelage blanc de la pièce dans laquelle lui et sa mère attendent depuis une heure, ou peut-être deux. Honnêtement il ne sait plus, ce rendez-vous lui semblait si lointain. Et ça même après toutes les difficultés que sa mère avait dû traverser pour l’obtenir.. Et pourquoi, finalement ? Pour qu’un homme en joli costume la regarde de haut, insistant sur chacun de ses mots persuadé qu’elle n’en comprend pas le sens ? Il écorche aussi cinq fois son prénom, Ray’n le sait parce qu’il a compté. Mais au milieu de ce tralala habituel d’une justice “avant-garde” qui veut se donner bonne conscience lorsqu’il est déjà bien souvent trop tard, - “C’est bon pour l’image, disent-ils.”- le jeune homme prend le temps d’observer. La façon dont le juge s’exprime, cette manière irritante qu’il a de masser son menton après chaque mensonge prononcé sans oublier le plus important, ce talent inné qu’il a de beaucoup parler pour ne rien dire. Il avait ce même ton, ce même dédain que lorsque sa mère était venue porter plainte à de nombreuses reprises et qu’on lui avait indiqué, les bras tendus, le chemin vers sa mort certaine sans même un regard. “Revenez demain.”, “Nous allons nous en occuper, nul besoin d’en faire tout un drame dans le commissariat, madame..”, puis un silence, un nom de famille qui ne sonne pas assez américain pour faire partie du Rêve et les appels à l’aide finissent par se perdre dans la paperasse. Dans le bureau du juge, Ray’n a alors fermé les yeux et imaginé sa mère désemparée, désorientée, pénétrant dans ces lieux des mois plus tôt. Il a imaginé le courage qu'il lui avait fallu, ou le désespoir, ou la peur pour oser franchir la porte de la gendarmerie. Pour venir quémander de l'aide. Pour compter sur les forces de l'ordre et espérer que son calvaire s'arrête. Et il l’a vu, hagarde et misérable, avec son bout de papier dérisoire à la main, finalement renvoyée vers son bourreau et il a éclaté en sanglots. Des sanglots inattendus, violents et brefs pareils à ceux des enfants qui tombent et se blessent. Il pleurait toujours, mais sans verser de larmes. Elles coulaient à l’intérieur, dans le trou béant que creusait sa tristesse. Et chaque soir, il s’y noyait un peu plus profondément.
C’est également l’année de ses 12 ans que Ray’n fait face à une vérité qui va changer drastiquement le cours de sa vie, lorsqu’un messager vient lui annoncer l’identité d’un père qu’il n'espérait plus. Pourquoi maintenant ? Pourquoi n’était-il pas apparu plus tôt, ce sauveur de père, lorsque que lui et sa mère manquaient de mourir chaque jour un peu plus pour le simple fait d'ouvrir leurs yeux à l'appel du soleil ?
A partir de ce jour, rien ne sera plus jamais pareil.

Everyday you fight like you’re running out of time.

14 ans à 20 ans Cela faisait maintenant deux ans que Ray’n vivait à Nausikaa et les jours s’écoulent comme les grains d’un sablier qu’on aurait retourné trop vite. Pourtant, le jeune homme trouve pour la première fois en cette île un lieu où il se sent libre d'exister, un lieu où les regards sont à la hauteur du sien. Il s’y construit également un groupe d’amis dans lequel chacun est relié par un fil qui ne pouvait exister qu’entre eux, des individus qui avaient reconnu leur solitude dans celles des autres. Alors oui, ils étaient parfois intenables ces opposants de la discipline. Brandissant leurs meilleures excuses, préparées à l’avance dès qu’ils avaient le malheur de se faire choper sur un énième plan foireux.. En somme, des gamins de 15, 16 ans qui face à ce monde qui leur avait tant infligé si jeunes, se voyaient enfin capable de vivre insoucieusement sans se préoccuper de ce que “Lendemain” leur réservait.

– Vous avez remarqué que toute la ville est après nous, est furieuse contre nous ou veut nous faire la peau ? demanda Ray’n en tapotant sur ses cuisses, au comble de l’impatience.
– Et alors ?
–  Et bien d’habitude, c’est juste la moitié de la ville.

Durant son adolescence, Ray'n goûte au fruit des amours succincts, souvent sans lendemain. Ces histoires qui ne durent qu'une nuit voire quelques semaines pour les plus chanceuses avant de n'être réduites au silence par la réalité d'une enfance qui le hante et le rattrape à chaque pas fait vers l'avant. Les promesses nocturnes et les rêves enfantins ne suffisent plus à apaiser la colère qui s'attise au creux de son estomac tandis qu'il ne cesse de courir, à s'en brûler les poumons, à la recherche de cette liberté imperceptible, à l'opposé de ses sentiments qu'il ne trouve plus la force d'exprimer. Par peur que ces mots ne se brisent dès lors qu'il prend le risque de les partager.

Alors il se concentre sur ce qu'il est capable d'apporter. Une épaule sur laquelle pleurer, un sourire chaleureux, une écoute aux problèmes qu'on tentent d'enterrer pour cacher ses faiblesses les plus profondes. Et l'expression qui naît après un naufrage, quand le courant est contraire et que le ciel se voile, quand on aperçoit enfin la terre, l'espoir d'un abri, d'un sauvetage sur une plage au loin.

"Parfois je me demande sincèrement ce que ça aurait pu changer si on nous avait écouté, ma mère et moi."

21 ans Lorsque Ray'n pu quitter la colonie pour la première fois, c'est chez sa mère qu'il retourna instinctivement. Et ça même si c'était le temps d'un cours séjour.

- Reviens, supplia-t-elle. Promets que tu me reviendras.

Parce que sa destination lui semblait si lointaine face aux bras d’une mère prête à tout pour le bonheur de son fils, parce qu'elle avait déjà dû le laisser partir une première fois. Ray'n se laissa aller à prendre son visage dans ses mains. Sa peau était fraîche sous ses doigts.

- Bien sûr que je reviendrai. Je ne fais confiance à personne pour réciter mon éloge funèbre.

Elle sourit, visiblement agacée par cette mauvaise habitude qu’avait son fils à toujours prendre à la légère ses paroles.

- Ne plaisante pas sur ce genre de choses ! Non, ne me dis pas que.. Tu l'as déjà écrit ?

- Bien sûr ! Il est excellent. C'est incroyable combien il existe de synonymes pour « beau », tu verras.

Reham ferma les yeux. Elle pencha le visage pour appuyer la joue contre sa paume.

24 ans  - Ne fais pas comme si tu prenais ça à la légère ! Tu m'as à peine regardé depuis mon retour.

Parce que je deviens fou quand je pose les yeux sur toi. Parce que l'idée de te voir m'adresser un simple sourire agite mon esprit, m'entraîne dans des abysses de confusion. J'éprouve de la colère, de la frustration mêlée à de l'incompréhension. Est-ce que c'est encore une de tes farces ? Un de tes sorts, une plaisanterie cruelle à laquelle je ne peux pas résister ? Et puis s'ensuit le désir impérieux, l'espoir sans bornes et égoïste de me perdre une nouvelle fois dans tes yeux.

- Je te regarde maintenant.

Leurs yeux se rencontrèrent.
Il a toujours préféré l'argenté au bleu.