Elle est toute défaite. Essoufflée, l'ascenseur ne venait pas. Il fait nuit et elle n'a qu'une hâte, c'est de rejoindre son lit. Il fait chaud, c'est l'été, elle a foulé le quartier joyeusement, a quitté un appartement pour en retrouver un autre, bien plus petit mais qui n'a rien à envier à personne.

En ce moment, c'est une femme dont le mari est richissime, il est chirurgien et elle universitaire à l'héritage large et copieux : elles se sont rencontrées par une connaissance commune. Officieusement bien plus âgée qu'elle, officiellement elle ne lui met pas plus que cinq ans, elle lui prête volontiers cet appartement, puisque madame investit dans l'immobilier, pour qu'elles puissent se voir plus facilement. Huit minutes les sépare, précisément, elle vit à deux immeubles d'elle mais le temps de monter dans les tours de Manhattan, cela en rajoute bien cinq aux trois initiales. Il est souvent absent : souvent en Europe, parfois en Asie, son amante le soupçonne de la tromper avec un homme, si bien que la culpabilité s'est envolée à l'idée de le tromper, lui, avec une femme. Cela fera quatre mois, maintenant, qu'elles se voient au moins deux fois par semaine.

Elle cherche dans son trousseau la clef de l'appartement, l'alcool la rend hésitante, elle s'y reprend à plusieurs fois, If the sky, that we look upon, mhh mhh... Should tumble and fall... Et parvient enfin à ouvrir. Elle pousse la porte dans un soupir euphorique, allume la lumière, elle avait laissé l'accès au balcon ouvert pour qu'il fasse frais quand elle rentre, referme derrière elle, se déchausse maladroitement de ses bottines en cuir en retroussant son jean large pour atteindre la fermeture, Oh I won't cry - no I won't cry - Elle oublie certaines des paroles, comment à déboutonner vaguement son chemisier pour être plus à l'aise, Just as long as you stand - yes you stand by me - Elle s'arrête subitement.

Au centre de la jolie table en bois, des fleurs disposées proprement, de mille couleurs qui jurent bien avec le papier peint à motif, silence. Elle s'approche pour les regarder, Duke ? Elle tonne, presque sévèrement, une bouffée d'angoisse remontant - cela ressemble à une de ses plaisanteries - peut-être ? - elle n'en est pas sûre. Elle cherche un mot quelque chose, autour, regarde sur la table, sous la table aussi, si jamais il s'est envolé avec le vent, n'arrête pas de recoincer ses longs cheveux derrière ses oreilles nerveusement pour y voir quelque chose et en tournant la tête, aperçoit la silhouette dans l'obscurité. Pousse un cri soudain et strident, sursautant et reculant d'un pas - Putain - Il lui faut quelques secondes pour réaliser de qui il est question, où elle n'arrive pas à redescendre, encore shootée par l'adrénaline - Mais qu'est-ce que tu fais là enfin, tu es complètement folle - Oh mon Dieu, Ange - tu m'as fait tellement peur - Une main sur la poitrine pour reprendre son souffle, elle n'ose toutefois pas approcher et reste à distance, décontenancée par la présence face à elle, à la limite de son appartement.