octobre ※ arbre méduseLa nuit est vide. La nuit n’est vide que pour ceux qui ne peuvent la voir sous ses voiles ;
La nuit grouille de monstres, Caden, ne les entends-tu pas ?
Non, tu n’es pas de ceux qui reculent ; qui courbent l’échine devant les ombres nocturnes.
Je suis de celles-là ; pas de celles qui reculent ; mais de celles qui tapissent les ténèbres.
Et tu ne recules pas.
Ni devant moi ni devant les voiles obscurs. Les fantômes ont accouru rieurs, me donnant de tes nouvelles ;
Ils ont ri en cacophonie ; “Caden ! Caden ! Caden ! ton meilleur ami !” ils aiment se moquer de moi.
C’est de bonne guerre.

Vois-tu le sourire amer qui se hisse à mes lèvres ?
Vois-tu au travers des voiles ?

Mes voiles à moi sont funèbres ; on me croirait marchant bientôt pour un enterrement. Je regrette que tu ne puisses m’admirer dans ma tenue mortuaire ; car pour toi, Caden, je ne m’habillerais pas en ce noir élégant ; à ta mort, je serai en blanc.

Peut-être resterons-nous assis là assez longtemps pour que le matin se lève et que tu me dises “comme tu es belle, dans ces habits qui vont à ton teint cadavérique à merveille !”
En attendant que le soleil nous gracie, alors, je m’ose à glousser tendrement ;
T’imaginer mort m’a fait oublier l’amer que ta présence me procure habituellement.

Peut-être que je t’attendais toi ?

Je secoue la tête et époussète les voiles de ma jupe.
Je tourne la tête et à la seule lueur d’une lune pleine, je distingue à peine tes traits.
Ainsi fondu aux noirceurs nocturnes, je peux t’imaginer à ma guise ;
Et te voir défiguré de douleur dans des images que je projette sur tes traits indistinguibles me procure une euphorie niaise.

Qu’est-ce qui te fait croire que je suis seule ?

Mes fantômes ne se sont pas arrêtés de rire ;
Bientôt ils dansent autour de toi et c’est un froid glacial qui fait frissonner jusqu’aux branches de l’arbre.
As-tu bien fait de me rejoindre sur mon propre territoire ?

Il est bien tard, pour les vivants - mais l’es-tu seulement ? Il n’y a que les morts pour arpenter la nuit comme les fantômes. Tu me cherchais, pas vrai ? Que puis-je pour toi, mon bichon ? Maintenant que tu m’as trouvée, tu as sûrement une offrande à me tendre - ou alors tu ne serais pas venu jusqu’à mon autel.

As-tu conscience d’avoir posé un pied où je règne ?

octobre ※ arbre méduseLe souffle est retenu en apnée, la poitrine se gonfle de tourments ;
Les oreilles sifflent à entendre la voix bâtarde oser prétendre que ses mains sales courent à ses hanches ou ses côtes, et le nez se froisse. Le sourire creuse des joues livides pour s’empêcher de vomir des émotions immondes.

As-tu une autorisation, mon chou ? Ou as-tu oublié tes propres protocoles ?

Des sueurs froides s’invitent, les fantômes s’agitent, s’entassent autour du milicien et rient autour de lui, murmurent à sa nuque, les mains spectrales courent contre lui ; intrusent son espace comme il a prétendu pouvoir le faire avec l’espace de l’enfant papillon.

Elle ouvre des lèvres et laisse s’échapper un souffle glacial.
Qui siffle la mort dans une mélodie disgracieuse comme les comptines d’enfants.

Si tu tiens tant à me goûter, reviens avec un mandat, alors tu pourras poser la main sur moi. En attendant, je te l’interdis, au nom de mon intégrité physique et du dégoût que tu m’évoques.

Ses doigts courent entre les volants de sa jupe.
Et la peau toute entière devient vampire, comme un automatisme ;
Elle soupire faussement déçue, faussement triste.

J’aurais pensé que tu me ferais la cour avant de devenir si trivial ; permets-moi de corriger, tu n’es pas mon bichon, tu es mon lapin ; tu grilles de sérieuses étapes de la séduction.

Plus aucun sourire sur les lèvres ;
Le regard est noir ;
Aussi noir que la nuit qui les enserre (invisibles).

octobre ※ arbre méduseLe sourire crisse ; des frissons à la nuque et les poils y sont dressés comme après le passage des ongles rongés sur un tableau à craies. Elle plisse les yeux qui ne regardent nulle part ; elle penche la tête comme on accorde son attention aux amants ; des mimiques dégourdies comme celles des adolescentes en quête d’être plus jolies qu’intéressantes.

Depuis janvier et je n’ai toujours pas été interpellée à ce sujet, d’ailleurs. Tu ne serais pas timide, par hasard ?

Elle rit tendre ; elle rit candide ;
Simca se penche vers lui et leurs épaules se touchent ;
Le contact interdit - mais comme il le dit si bien - pas lorsque c’est elle qui l’initie.

S’il ne faisait pas si sombre, je dirais que tu rougis !

Elle hausse les épaules ; un frottement s’y fait sentir.
Simca lève des cils qui papillonnent, de grands yeux arrondis par un effort théâtral grotesque à peine perceptible dans l’obscure démesure de ses manies.

Allons - mon lapin - tu n’es pas venu me parler de mon frère. Tu es venu pour moi, et voilà cinq minutes déjà que j’attends les fleurs, la déclaration - ou je ne sais pas ! Fais un effort, tu me lasses ; si tu mets un genou à terre tout de suite, je te pardonnerai tout le reste ! Alors ?

Une forme de menace sous-jacente mais intangible ;
Comme les fantômes qui encore s’agitent autour de lui, repoussés mais revenus aussitôt.

octobre ※ arbre méduseLa justice ;
Elle fait rouler le mot de sa langue contre son palais,
La justice, tu dis.
Elle embrasse sa portée avec une tendresse qui n’est qu’à elle.
Mais bientôt un démon s'invite sous le crâne et les mâchoires se serrent.

Qui diable pouvait-elle être pour juger de la justice personnelle d’un enfant de Némésis ?
La justice ;
Elle sourit amer.
Elle ignore si c'est son discours qui la dévore ou autre chose ; une douleur vive l'enserre et pourtant elle ne parvient pas à la saisir.

Elle reste calme.
Car c’est dans le silence que Simca est la plus redoutable (ainsi qu'elle se défend contre le danger) ;
Dans tout ce qu’on ne voit pas ; ce qu’on n’entend pas ; dans l’invisible - c’est elle le fantôme qui hante l’arbre.

Est-ce là la justice que tu veux prôner ? Une justice qui rejette des demi-déités en fonction de leur ascendance ? Une justice qui prône, partiale, des jugements de valeur sur les gens en fonction de leur naissance ?

Elle hoche de la tête.
Ne lui laisse pas le temps de répondre.

Je comprends.

Elle se lève, et ses pas résonnent étrangement ;
Comme un mirage (s’est-elle levée, vraiment ? est-elle encore là ? l’écho de ses pas ressemble à un souvenir).
Elle dissocie ; un vertige l'attrape.

Le silence dure longtemps ; comme une apnée.
Une pression indicible dans l’air ; les fantômes obstruent tout l’espace.
Avant qu’elle ne rie à nouveau, glousse tendre (s'esquive).
N’offrant nulle délivrance à la centaine de spectres qui s’entassent.

Alyss Nielsen posait problème au regard du mari de mon frère. Mais bien entendu, ça, je vous l’apprends ; puisque vous ne faites pas votre travail correctement. Une fille perturbée ; perturbante ; je suis étonnée que vous ne m’ayez pas soupçonnée. Elle a déchiré le carton d’invitation du mariage devant mes yeux et je l’ai menacée de la tuer. Et pourtant c’est mon frère, que vous continuez de harceler, d’interpeller, après tout ce qu’il a déjà subi de cette histoire.

Elle se retourne pour le regarder dans le noir.

Tu as sûrement raison ! Ezra est sans doute le moins coupable de cette histoire, mais ce doit être l’adage de la justice que tu sembles défendre. Il vous faut quelqu’un à pointer du doigt, et ce ne sera certainement pas un bien-né de votre hiérarchie olympique.