Edzard découpait des carottes en les regardant avec sûrement un peu trop d’intensité. Un peu trop de motivation. Les oreilles sifflaient des soupirs poussés d’amour et d’autres passions qu’Haïssam lâchait en pensant à l’homme de sa vie. Et Ed, il a trop l’habitude du côté delulu de son ami. N’a plus rien à apprendre de l’amour qu’il porte aux hommes qu’il croise pour la première fois de sa vie et dont il tombe déjà amoureux. Il ne le comprend pas. Mais ! Il le supporte ! Sauf que bien souvent, Haïssam s’amourache des mauvais garçons et, une fois encore, il a l’impression qu’il se fait enrouler. Même un idiot le verrait (lui). Mettant les légumes dans sa poêle et se tournant vers le plus jeune pour se saisir d’une courgette avec un peu trop de force (la pauvre va exploser), il pointe le légume sur le visage de l’homme en fronçant les sourcils, ouvrant plusieurs fois la bouche avant de la fermer de plus belle comme le ferait un poisson hors de l’eau. Grognant finalement, il se retourne pour laver le légume et commence à le découper en réfléchissant à comment il pouvait signaler son scepticisme sans blesser l’autre. Optant finalement pour la franchise (la bêtise) et la douceur (l’amertume), il finit par lâcher. « Tu sais quoi, faudrait que je le rencontre ce mec. » Très et hautement intelligent, vraiment. Parce que c’était sûr qu’en le voyant de ses propres yeux, il saurait définitivement s’il n’avait pas de mauvaises intentions ! Comme si le fait qu’il l’utilisait comme sa femme à tout faire chez lui n’était pas déjà un signe. Le train de pensées tout à fait logique continue : « Il te prend un peu pour sa bonne, mais si ça se trouve c’est juste un incapable… Donc l’homme parfait. » Est-il ironique ? Absolument pas. Si le style d’homme d’Haïssam c’était le genre bon à rien dont il fallait s’occuper, il n’allait certainement pas le juger. Chacun ses kinks, comme dirait Anja. Le fait était qu’il parlait de cette relation comme si 1 ) elle existait et 2 ) il avait son mot à dire dans l’histoire. En mode c’était son daron ou quoi. Ce qui n’était pas le cas. Mais l’idée même que Haïssam lui fasse la remarque ne lui traversait pas l’esprit. « En attendant, je le trouve louche. » Qu’il conclut en croisant les bras sur son torse, couteau dans la main et tablier bleu pastel lui donnant un air un peu ridicule et flippant tout à la fois.

Heureusement que l’homme parfait n’était pas un gars profitant de la naïveté d’Haïssam, sinon il n’avait plus foi en eux (les hommes). Il donnerait pour conseil à l’autre de changer de camp, même si la femme parfaite, personne d’autre ne l’aurait que lui (qu’il croit toujours). Mais il n’était pas question d’Anastasia, aujourd’hui, mais bien de Seren. Le gars qu’il commençait à apprécier de moins en moins chaque fois qu’il lui contait leur relation. Observant le visage se pétrifier de bonheur puis de confusion, Edzard ne sait quoi dire pour calmer le bref bonheur de son ami qui est, selon lui, pour le coup plutôt infondé. Était-ce humain, d’ignorer les red flags pour foncer dedans et y trouver un confort précaire ? Sauf que la suite, ça le refroidit un peu plus qu’il n’aimerait l’admettre. Parce qu’on ne mentionnait pas Ana si il n’était pas dans le mood de parler d’elle l’air rêveur pendant des heures (parce que quelque part, ça reste une blessure trop béante à refermer). Alors il fallait changer le sujet de la conversation pour en revenir au principal : Seren. « J’aimerais bien savoir s’il est pas très débrouillard ou s’il aime juste te guider par le bout du nez parce que t’es trop gentil et mimi pour dire non. » Et c’était pas un reproche. Simplement un fait. Qu’il ponctue en pokant gentiment le nez du plus jeune avant de se remettre à ses légumes, coupant la courgette en dés. Il inspire un peu, fronce les sourcils et tourne le dos vers sa poêle pour répondre (regard perdu sur une occupation plutôt que celui qui posait les questions). « On s’aidait mutuellement. Elle… » Il faisait tout pour elle. Et elle ne le laissait jamais tomber. Ce n’était pas une relation où l’un seul d’entre eux fournissait un effort pour la maintenir hors de l’eau. Et pourtant, ils avaient coulé. « Ce que j’essaie de dire, c’est que s’il est si parfait, pourquoi tu ne l’invite pas à un date ? En dehors de sa maison? Vous l’avez déjà fait ? » Il essayait de donner des conseils en amour quand lui-même était incapable d’entretenir convenablement une relation. Bravo à lui. Soufflant en se retournant vers Haïssam, finissant par s’asseoir sur une chaise haute à ses côtés, il pose son menton dans ses mains en le regardant plus directement. « I just care for you. »

Edzard observe le visage d’Haïssam comme s’il était capable de lire au travers de cette petite tête. Mais il n’en est rien. Il n’a pas de pouvoir particulier lorsqu’il s’agit de lire dans les pensées des autres. Et il n’est pas très doué non plus pour lire les gens (c’était Ana qui s’en chargeait pour deux, avant). Alors il soupire et hausse les épaules, tapant ses doigts contre la table en rythme avec les courgettes sautant sur l’huile. « Ok. Il est timide. Pas à l’aise socialement. Ca veut pas dire qu’il a le droit de te traîner à gauche à droite comme si de rien n’était. Mais donnons lui le bénéfice du doute… Comme à tous tes précédents crush qui étaient peut-être pires que lui. » Il devenait méchant. Il n’aimait pas ça. Offrant un sourire plus doux à Haïssam, tentant de se faire pardonner de cette soudaine mauvaise énergie qu’il avait pu renvoyer (effaçant de sa propre tête cette négativité), il finit par céder face aux mots rassurants du plus jeune et hausse les épaules. « Si tu le dis… S’il te brise le coeur t’as toujours chez moi pour venir chouiner. » Parce qu’il lui ouvrait toujours sa porte. Parce que c’était déjà arrivé. Et dans ses bras, Haïssam avait toujours le droit de pleurer (parce qu’il lui offrirait de quoi sourire de plus belle pour pouvoir en dessiner un sur son propre visage).

Il ne réalise pas le regard qu’il glisse sur son visage. Ne se doute pas une seule seconde que celui qui brise des cœurs, ici, c’est lui. Et celui de son ami plus particulièrement. Retrouvant un peu de son énergie au compliment du plus petit, Ed se redresse avec un air content. « Vraiment ? Mange pas tout, il faut qu’il en reste pour mettre avec le riz ! » Qu’il était facile de le distraire de ce que l’on cherchait à lui cacher. Qu’il était aisé de l’éloigner des vérités. Edzard, sombre idiot se portant mieux dans l’ignorance, commence à mélanger le plat avec une sauce à l’odeur sucrée. « De toute façon, tu sais quoi, s’il est méchant je lui casserai le nez. Faudrait tu me fasses une liste des nez que je devrais casser dans la vie. » Comme si c’était sa seule solution pour que tout aille mieux ensuite. (Il devrait se briser son propre nez.) Posant une assiette sous les yeux de son ami, il se réinstalle à ses côtés, visiblement ravi de sa cuisine et de cette atmosphère un brin tendue. « Bon appétit ! »Silence, le temps qu’il engloutisse une part de son repas, avant qu’enfin la langue ne se délie sur son sujet favori : « Tu sais, Ana est aussi très timide et pas facile socialement… Pourtant, j’arrivais toujours à la rassurer assez pour l’amener à quelques événements. Pas forcément très gros. Suffit d’essayer progressivement. » Voilà qu’il se prend pour un coach en romantisme.

Edzard ne doutait pas un seul instant du fait que, si Haïssam le souhaitait, il saurait se défendre. Il aurait su se défendre contre ces idiots qui avaient osé s’en prendre à lui dans leur enfance. Pourtant, il ne le faisait jamais. Et peut-être qu’il ne cherchait pas de preux chevalier pour le sauver de toutes les situations, mais Edzard avait bien du mal à noter ça correctement dans sa tête. Comme un message non reçu. C’était au final une habitude à prendre, lorsque l’on côtoyait un idiot tel que lui. Observant le joli sourire de son ami, Edzard hausse les épaules avec l’un des siens collé au visage. Penchant le visage légèrement en mélangeant son riz d’une seule main (usant de l’autre pour s’exprimer pendant qu’il parlait), il affirme, la bouche à moitié pleine : « Je sais. Cela dit, tu ne fais jamais rien. Quelqu’un doit bien prendre ta défense, M. pacifiste. » Qu’il affirme, sourire enjoué roulant sur ses lèvres, yeux rieurs se tournant vers Haïssam. S’il le fallait, il serait celui qui prendrait sa défense. Il en avait, après tout, déjà l’habitude. Plus que d’être un coussin confortable sur lequel pleurer, Edzard était un ami loyal.

L’insulte ne passe pas dans sa tête. Ça sonne plutôt comme une raillerie amusante. Il ne pensait pas à Anastasia lorsqu’on lui envoyait ce genre de commentaire. Parce qu’il n’avait jamais rien foiré avec elle. Parce qu’ils étaient parfaits (le seraient de nouveau, un jour ou l’autre). Haussant pourtant les sourcils face à la suite des mots du plus jeune, il ricane, un brin moqueur avant de passer un bras autour de son cou, se collant un peu (trop) à son bras avec un air un peu beauf. « Hm…. On pourrait dire que j’en ai, du succès. » Se demandant soudainement d’où lui venaient ces pensées, Edzard ne peut s’empêcher de le rassurer en glissant rapidement son regard sur toute la figure de son ami. « Mais t’inquiète, t’es trop mignon pour que le succès ne t’atteigne pas non plus. Un petit visage d’ange. » Qu’il affirme, visiblement très sûr de lui en poussant quelques mèches du visage de son ami, le relâchant finalement juste après, se reconcentrant sur son assiette. « Faut dire que le métier aide, aussi. Tu trouveras forcément chaussure à ton pied, si ce Seren ne veut pas de toi. » Toujours dans les mots doux.

Edzard écoute, parce que quand Haïssam parle, alors les oreilles s’ouvrent toutes grandes. L’infodump du plus jeune ne l’a jamais perturbé (probablement parce qu’il était lui-même du style à le faire). Silencieux tout au long de sa tirade, réfléchissant à un Haïssam avec plein d’yeux (creepy), il hausse les épaules d’un air nonchalant avant d’affirmer avec beaucoup de conviction : « Tout ce que je peux dire, c’est que t’es mignon. » Sans forcément se rendre compte de la bombe qu’il venait de lâcher. Il ajoute avec un air moqueur : « Je suis sûr que même en forme ange biblique, tu le serais. » Une petite deuxième vague façon Edzard. Mais il fallait parfois prendre ses compliments comme ils venaient. Venant de lui, c’en étaient vraiment.

Soudainement happé par cette description que Haïssam faisait de lui, Edzard se rend un peu trop bien compte de l’aspect presque parfait qu’il renvoyait (si l’on estimait qu’être bête était un atout à la perfection). Soudainement à son tour gêné d’être ainsi dépeint, le regard se concentre un peu trop sur l’assiette en face de lui. Il ne sait que trop bien, Ed, que les seules personnes ayant déjà pu assister à ses quelques crises qu’il avait pu se permettre en dehors de sa bulle personnelle étaient Anja et Anastasia. Haïssam ne se doutait-il pas, pourtant, depuis le temps, qu’il était bien loin d’être seulement ce gars souriant qui faisait disparaître les soucis d’un grand sourire ? Mais d’un autre côté, il était heureux des savoir qu’il avait été l’une des béquilles de son ami. Bien décidé à ne jamais montrer les moments de faiblesses qu’il pouvait présenter, un grand sourire fleurit de plus belle sur le visage du plus âgé, celui-ci se tournant vers Haïssam d’un air bienveillant. « Et je pense que tu méritais que quelqu’un soit là pour toi. Je ne te laisserai pas tomber. » Mais quelque part, Haïssam avait tort. Edzard était bel et bien au courant qu’il rayonnait. Qu’il n’envoyait que de bonnes ondes. Parce que chaque jour qui passe est un challenge avec lui-même pour ne renvoyer que ça : du bonheur. Aucune négativité. (Et quand explosera-t-il, quand se laissera-t-il vivre, Ed ?) « J’étais heureux d’être celui qui t’aidait au quotidien. »

La pression sur sa main est douce. Légère. Calmante. Elle a la substance de l’habitude tout en étant si inconnue. Parce que Haïssam ne venait que rarement quémander quelques contacts physiques avec qui que ce soit volontairement. Et dans les mots de l’autre naissent une admiration à laquelle il n’est pas habitué. Parce que si le roman devait tourner autour de quelqu’un, ce ne serait certainement pas lui le héros (ou peut-être le side character comic relief qui mourait vers la fin pour que les gens en pleurent). Il ricane, secoue la tête, serre ses doigts entre les siens. « Dis pas des trucs pareils ou je vais prendre la grosse tête. » Et quelque part, ça s’imprime dans sa tête. Qu’il peut compter sur Haïssam. Mais Ed ne repose jamais sur personne. Ed n’a besoin de personne car rien ne va jamais mal. Soufflant du nez et souriant aimablement à son ami, il acquiesce. Et ça sonne faux dans le vrai. « Je sais. » Mais Haïssam ne l’avait jamais vu se rendre chez lui pour déverser de quelconques autres émotions que ses sourires dégoulinants.

Tapotant le dos de l’homme en riant finalement une fois l’air plus léger et les regards séparés, il le lui frotte une fois la toux calmée. « Ne meurs pas maintenant. » Et finissant sa propre assiette un peu trop rapidement, il s’empare de leurs couverts sales pour apporter le tout dans son giga lave vaisselle de riche (celui d’Anja, plutôt). Il secoue la tête avant de se redresser et d’envoyer un regard amusé à son ami en haussant les sourcils, un brin moqueur. « Méfies-toi, tu commences à parler comme mes fans. » Ricanement un peu trop sonore (rire tonitruant), il finit par se rasseoir là où il se trouvait quelques secondes auparavant et se tourner avec un air très sérieux sur le visage vers l’autre. « On a dévié du sujet. N'hésite pas à lui proposer une sortie à trois avec moi. J’adore tenir la chandelle. » Sourire rayonnant. Innocent. « On regarde un film ? » Parce qu’il n’allait pas lui laisser le temps de trouver des excuses à Seren.

Edzard n’a pas de répartie à offrir à Haïssam. Tout simplement parce que c’était vrai (parce que la pudeur et lui, auprès de ses proches, ça faisait deux). Il n’avait rien à cacher à ses amis. Du moins pas dans son corps d’Apollon (quite litteraly). « Tu ne t’en plains jamais, c’était donc ça, finalement… Tu voulais en profiter pour te vanter auprès de mes fans. » Qu’il affirme en soupirant d’un air dramatique. Comme si leur amitié se résumait à présent à Haïssam qui profitait de sa position. Ce qui était (heureusement) loin d’être le cas.

La blague surprend un peu Edzard (pas tant que ça), mais dans un bon esprit de drame, il se retourne avec les yeux exagérément ronds et les lèvres entrouvertes à la blague de son ami. Avant d’éclater de rire en donnant quelques petites tapes dans le dos du plus petit. « Oh, c’était bien plus drôle que ça ne devrait l’être ! » Qu’il s’exclame trop fort. Ca résonne contre les murs de la maison, ça donne la sensation soudaine qu’une bulle de bonheur a explosé. Il se penche vers Haïssam avec un air malicieux, yeux brillants légèrement. « Tu me diras si tu tiens sa chandelle… » Fallait sérieusement pas lui tendre la perche. Dérivant sur le sujet des films à regarder, Ed fait la moue à l’idée qu’il ne pourrait, cette fois, pas pousser le plus jeune à regarder un film d’horreur avec lui (il n’arrivait pas à les regarder seul). Haussant les épaules et croisant les bras sur son torse d’un air faussement triste et désemparé, il s’installe sans aucune grâce sur le canapé en faisant signe à son ami de le rejoindre. « OK… Pas de film d’horreur cette fois. T’auras pas d’excuse pour venir te blottir contre moi cela dit. » Comme s’il était capable de refuser des câlins à son ami. « Regardons Ratatouille. » Qu’il affirme, très satisfait de son choix.