Ed aimait faire la fête. Ce que Ed n’aimait pas, c’était de faire la fête tout seul. Et généralement, il arrivait à embobiner Anja dans ses manœuvres. Parfois Anastasia. Celui à qui il demandait en dernier, c’était Haïssam. Pas parce qu’il refusait de sortir avec lui mais bien parce qu’il avait conscience que ce n’était pas la tasse de thé favorite du plus jeune. Et il n’était pas du style à sortir qui que ce soit de chez lui contre son gré (en tout cas pas pour aller se bourrer la gueule). Mais ce soir, c’était lui qui l’accompagnait. Vers lui qu’il se retournait avec des sourires un peu trop heureux et ridicules. Contre son flanc qu’il venait se blottir pour retrouver un point de confort contre tous ces corps inconnus. Quelques verres d’alcool dans le sang, il se sentait vraiment bien, pas au bord du précipice ni trop conscient de sa propre personne. Il avait de la marge avant de courir aux toilettes parce qu’il se sentait pas bien. Et c’était tout ce qui importait vraiment dans cette situation.

A présent en pleine compétition de danse contre deux femmes qu’il avait lourdement essayé de draguer, il ne peut qu’être enthousiasmé par le fait qu’Haïssam l’encourageait. Et alors il dansait, dansait avec un gros sourire collé au visage et c’était comme s'il ne venait pas de se prendre un énorme râteau par deux filles dont il ne se souvenait déjà plus le prénom. Retournant vers son ami, ravi de sa victoire incontestée, c’est contre lui qu’il vient se coller, passant un bras moite autour da la nuque du plus petit et collant sa joue de manière affective contre le haut de son crâne. « Le voilà ! Mon cheerleader favori ! » Et il se recule rien qu’un peu (gardant son bras où il était) pour lancer un regard vers lui, sourire en coin toujours ancré sur ses lèvres. « Alors ? T’en as pensé quoi ? » Qu’il demande avec un peu trop d’entrain. Après tout, il avait géré ! « Moi je pense que ces deux-là se mordent les doigts de m’avoir proposé un battle de danse plutôt qu’un battle de langues mais bon ! »

Et comme un gamin friand de compliments, Ed acquiesce vivement lorsqu’Haïssam répète la question qu’il vient de poser. Bien sûr qu’il veut son avis sur la question. Qu’il veut savoir ce que son ami a pensé de ses moves incroyables. De son sens du rythme imbattable. Ne perdant pas le nord et décidant de ne pas lâcher Haïssam du tout lorsqu’il décide de les asseoir, il finit presque sur les genoux de l’autre et sourit trop grandement au compliment qui lui est offert si gracieusement. « Faut dire que c’est pas bien compliqué. Je te ferai un tuto, si t’as envie ! » Il ne savait pas dans quel monde Haïssam avait besoin d’un tuto twerk made in Edzard. Peut-être pas celui-ci. Toujours était-il que ça lui semblait être une excellente idée, tête dans les nuages, vision embrumée.

Louchant presque sur le visage tout proche de son ami, Edzard semble prendre très au sérieux sa remarque et fronce un peu les sourcils avant de réaliser. « Donc j’embrasse mieux les mecs, d’après toi ? » Il avait jamais pensé à ça. Et les quelques gars qu’il avait déjà embrassé ne lui avaient jamais paru plus ravi que les filles (c’était aussi dommage, si c’était le cas, qu’il ne soit pas gay). Scrutant le visage du plus jeune avec un peu trop d’intensité, rapprochant un peu trop leurs visages l’un de l’autre, il finit cependant par éclater de rire trop proche de l’oreille de son ami et se reculer légèrement. « Elles ont juste pas essayé ! Elles savent pas ce qu’elles ratent. » Qu’il affirme, très confiant. Et après un instant de flottement, prenant la main du plus jeune dans la sienne, il lui fait ses petits yeux de chien battus et sort un peu sa lèvre inférieure. Haïssam doit savoir qu’il s’apprête à faire une requête. « Tu viens danser avec moi ? » Bat des cils.

Et la récompense est-elle au goût d’Haïssam ? Le sourire qui élargit le visage d’Edzard est rayonnant. Les dents toutes dévoilées, le bonheur entre ses incisives plus que visible. Les traits s’étirent et offrent une vue de la joie qui illumine les yeux du plus âgé assez prenante. Il se penche vers son ami pour bisouter l’une de ses joues comme le feraient des tatas et peut-être sent-il son haleine d’alcool lui frotter le nez avant de se faire tirer vers la piste de danse. « You’re the best ! » Qu’il s’exclame avec beaucoup d’entrain et une naïveté accablante. Parce qu’il ne réfléchit pas quand il lie leurs doigts, pas plus qu’il n’utilise quelques neurones lorsqu’il ramène Haïssam à lui. Est-ce une malédiction, dis, d’être aveugle (de jouer à celui qui ne voit pas) au point de ne jamais déceler les émotions plus que flagrantes des gens qui vous sont le plus proche ? Glissant ses mains sur la taille du plus jeune, Edzard colle leurs corps d’un seul mouvement et sourit tel un petit requin à la question de son ami. « Tu es entre de bonnes mains. Professeur Edzard est excellent… » Qu’il marmonne entre un clin d'œil et une tape gentille sur sa hanche. Et alors, Edzard glisse ses mains dans le bas de son dos, le ramène assez proche pour que les souffles ne s’échouent l’un contre l’autre, pour que le regard se glisse aisément sur chaque mouvement que Haïssam serait capable de produire. Commençant à bouger son bassin au rythme de la musique énergique, Ed relève un visage excité vers son ami en haussant les sourcils. « Tu me suis ? » Qu’il dit avec un énorme sourire, commençant à bouger ses pieds. Et franchement, ça paie pas trop trop de mine mais c’est déjà quelque chose dans une foule de gens ayant décidé que leur rythme était assez bien pour venir se coller à eux (ou du moins à Edzard, celui-ci protégeant Haïssam en mettant une distance de sécurité grâce au bras qui entourait son dos avec la personne derrière lui). « Ehhhh tu t’en sors super bien ! Un petit danseur professionnel ! » Qu’il s’exclame après un sifflement approbateur. Il redresse le visage vers lui, plante son regard dans celui d’Haïssam avec une énergie assez certaine et de l’amour (broesque) à revendre. « Je savais que t’avais ça dans le ventre. T’occupes pas des autres, y a que moi qui te regarde. » Et ça ne le choque pas, lui, de se pencher pour le dire comme un bon ami encourageant.

Il fait trop sombre pour qu’Edzard ne découvre le pourpre qui embellit les joues de Haïssam. Et même s’il les voyait, comprendrait-il ? Il est l’aveugle qui refuse la canne. Il n’attend qu’une lumière au bout du chemin qui s’est éteinte depuis plus d’un an (sur laquelle il refuse de tirer un trait). Anastasia lui avait tourné le dos, et, pourtant, il refusait d’ouvrir les yeux. D’observer ceux qui tendaient leurs cœurs dans sa direction en espérant que, cette fois, ce serait leur tour. Alors non, Ed ne comprend pas ce qui fait battre la poitrine de son compagnon. Ce qui le ferait tomber dans ses bras, ce soir. Peut-être d’autres, plus tard. N’a pas conscience des prémices d’une apocalypse qu’il trace sur le dos d’Haïssam du bout de ses doigts, qui viennent s’écorcher contre ses reins, contre ses fesses pour remonter sur ses omoplates. Il écoute ses rires et s’en enivre, tête à l’apogée de l’explosion, alcool bouillonnant dans les veines comme une piqûre d’adrénaline constante. Parce que ses mots le font rire. Parce qu’il s’accroche à son corps comme à une bouée parmi les vivants de cette nuit. Mais celui qui vibre le plus est entre ses bras et Edzard ferme les yeux (ne s’ouvre pas aux possibilités qui ouvrent grand leurs portes). « C’est parce que je suis hypnotisant. » Qu’il dit en haussant les sourcils. Et c’est peut-être vrai. Il ne s’en rend pas vraiment compte, dans la musique qui tambourine à ses tympans et les mots qui heurtent ceux de son ami. Il n’a conscience que de sa tête sur le point d’exploser, leurs corps collés et cette envie de s’oublier jusqu’au lendemain au bras du plus jeune. Qui viendrait l’en empêcher (qui viendrait briser l’idylle de pacotille qu’il fait miroiter à un homme raide dingue de lui sans qu’il n’en ait conscience). « Mais tant mieux, ça en fait plus pour moi. » Et si ça avait été Anja, là, dans ses bras, il lui aurait roulé une pelle parce que c’était toujours fun d’embrasser Anja et ça faisait siffler la foule (faut dire qu’elle est canon et que lui aussi). Mais c’est Haïssam, blotti contre lui, alors il n’enfoncera pas sa langue dans sa bouche. Non, de base, il visait son nez ou sa joue, il sait pas trop, il a hésité. Et il a glissé. Et il l’a smack en plein sur ses lèvres et quand il réalise, Ed, il se recule en riant, gorge rejetée en arrière. Le fantôme du bisou (pas du baiser) a le goût d’un pas assez, mais ça ne le choque pas. Parce que dans la cacophonie des basses et la tête qui commence à sérieusement lui tourner, Haïssam est plein de couleurs qu’il connaît déjà (il a les yeux d’Anastasia et il ne faut pas). Et il refuse d’y succomber. Ça écroule un monde qu’il ne connaît pas (ça fracasse les cœurs quand il ne le faut pas). « Il me faut un autre verre ! » Qu’il s’exclame en oubliant qu’il a fait couler son gloss sur la peau d’un ami.

Edzard, lui, n’a jamais rêvé que des bras d’Anastasia. De ses étreintes, de ses baisers, de sa douceur et de leur petite vie bien cosy au fond de champs à Nausikaa. Il n’y avait pas de rupture, dans cette idylle. Pas de remises en question, pas de promesses d’attendre quand Edzard sentait chaque jour la ligne de l’amour s’effriter. Car il avait peur, Ed. Peur de perdre ce pourquoi il se battait depuis si longtemps, de quelque manière que ce soit. Et la seule plausible était qu’Anastasia ne voudrait plus jamais de lui, pendant qu’il se languirait de sa belle. Il n’avait jamais été question d’offrir son cœur à qui que ce soit d’autre. Alors edzard ne remarque pas la tension des muscles d’Haïssam, son air hébété ou son incompréhension globale de la situation. Parce qu’à Edzard, ça ne lui fait rien. Ce qu’il fait, pourtant, c’est suivre le mouvement de son ami lorsque celui-ci s’extirpe de ses bras, s’éloignant de son corps. Et la sensation de froid ne dure que quelques secondes, mais c’est déjà bien suffisant lorsqu’il le poursuit au travers de la foule. Faisant presque la moue en le voyant avaler un verre cul sec (prêt à faire une remarque sur le fait qu’il ne partageait même pas), le regard s’illumine au compliment gêné de l’autre. Un sourire en coin s’affiche sur son visage alors qu’il hausse les sourcils de manière un peu trop suggestive (arrêtez le). « Et encore, t’as rien vu. » Ce n’était qu’un smack. Ça n'avait pas de profondeur. Juste un rire, peut-être deux, entrechoqués (enterrés dans le fond des gorges). Mais Edzard faisait mieux que ça. Il n’allait pas le proposer à Haïssam ce soir, cela dit. Ce à quoi il ne s’attendait pas, c’était cette étrange vengeance que le plus jeune décide de lui offrir. Même pas sur ses lèvres mais ça remonte un frisson dans son dos, le regard un peu plus surpris posé sur le visage illuminé de son ami. Mais bien vite, il efface toute surprise, toute émotion à vrai dire provoquée par l’action et dépose une main sur la joue de l’autre en fronçant un petit peu son nez. Il faut en vouloir à son cerveau alcoolisé pour chercher toujours la proximité des gens qu’il aime. « Désolé, ‘sam, je voulais pas te gêner devant autant de gens. Tu l’sais, hein ? je visais ta joue. » Qu’il glousse doucement avant de venir enlacer son ami d’un seul bras, se collant à son flanc. Ça devrait peut-être sonner la fin de leur soirée. Avant qu’Edzard ne réclame un autre verre et que le fond de son estomac ne se déverse dans des toilettes. « Tu m’en veux pas…? Je voulais continuer à danser avec toi, moi. » Mais il avait gâché sa chance, tant pis.

Edzard est aveugle. Edzard est sourd. L’on crierait son affection qu’il n’en comprendrait pas les termes. L’on dessinerait des fantaisies qu’il en verrait d’autres fictions. Edzard n’a qu’une femme dans le coeur, qu’une seule, et ne s’octroie pas la liberté de s’ouvrir à d’autres sinon pour la nuit (encore moins des hommes). Haïssam n’a rien d’une mauvaise personne quand son ami, lui, a tout du crève-cœur qui se délectera de la douleur de ses proies s’il en était ne serait-ce que conscient. Et un jour, ce sera lui qui s’en voudra. Lui qui se morfondra de ses peines et de cette douleur répandue sur son passage. En attendant, il est un benêt bien heureux de sa condition et de sa situation. Il a un grand sourire lorsque les doigts se lient et sa main moite vient s’aplatir contre la paume de son ami avec trop d’entrain. « Tant que je mords pas, pas de raison que ce ne soit pas doux. » Qu’il ricane comme si c’était quelque chose de logique à affirmer. Ca ne l’était pas. Mais il avait la tête pleine d’alcool et de pensées pas très claires. Regard brillant, il sautille presque sur place alors que Haïssam propose une dernière danse. La perspective de rentrer chez lui ne l’enchante pas (il s’amuse tellement !), mais il ne peut pas en vouloir à l’autre d’avoir envie de rentrer chez lui. Alors il acquiesce vivement, tirant de plus belle le plus jeune sur la piste de danse (moins au milieu, plus sur les bords, comme pour s’excuser de l’avoir mis au devant des scènes quelques secondes auparavant). « J’veux pas rentrer mais tu commences certainement à fatiguer, alors j’ai la bonté d’accepter le marché. C’est bien parce que c’est toi. » Qu’il marmonne dans sa moustache inexistante. Qu’il sourit avec tendresse. Et quand il pose son regard sur lui, peut-être que ça n’a rien à voir avec la façon dont il regarde Ana. Mais il le regarde comme Haïssam.