L’une des passions d’Edzard résidait certainement dans ce temps qu’il passait en présence de ses amis sans jamais s’en lasser. Sans jamais sentir l’énergie le quitter jusqu’à ce qu’il se retrouve seul, dans sa chambre, sans Anja pour lui occuper les oreilles ou le rire d’Anastasia pour le faire sourire. Mais il n’aimait pas le silence. L’inactivité. La sensation d’être seul avec lui-même. Même si ça le reposait. Ca entraînait aussi des pensées qu’il ne voulait pas entendre, la plupart du temps. Alors aujourd’hui, c’était la présence rafraîchissante d’Haïssam qu’il venait chercher. Même si dans ce genre de moment, il était celui qui parlait le plus. Connaissant par cœur le mot de passe pour rentrer chez son ami, Edzard se faufile dans l’immeuble comme s’il était chez lui. Et c’est presque tout comme, étant donné qu’il se rend chez les autres comme s’il y était invité (sans l’être). Montant les escaliers (parce qu’il n’avait pas la patience pour attendre l'ascenseur), il songeait déjà à ce qu’il pourrait crier une fois la porte ouverte afin de faire remarquer sa présence à Haïssam (à qui il avait tout de même envoyé un message non répondu.

Mais Edzard n’aurait pas l’occasion de se présenter, témoin aussitôt d’une scène qu’il ne pouvait (ne voulait) tout bonnement pas interrompre sans se sentir trop coupable de briser la quiétude de l’appartement. Car devant lui, Haïssam étirait ses bras, faisait tanguer ses jambes, flirtait avec l’air comme s’il allait le rattraper de ses bras puissants, fermait les yeux au rythme de la musique qui créait un certain sortilège sur le plus âgé. Haïssam dansé, et Edzard était envoûté. Incapable de le quitter du regard, c’est à l’aveuglette et très lentement qu’il referme la porte d’entrée derrière lui. Et il observe tout. Des doigts tendus aux pointes presque parfaites, le regard s’attardant un instant de trop sur la nuque dévoilée par les cheveux regroupés en une petite queue de cheval. Et quand la musique s’arrête, il est pris d’une envie d’applaudir qu’il contrôle, un brin déçu que ce soit déjà terminé. Et la poitrine tressaute, alors qu’enfin il fait claquer doucement la porte derrière lui, un sourire sur le visage pour cacher les trémolos de ses pensées. « Tu m’as jamais dit que tu dansais. » Qu’il dit avec un air chafouin, comme s’il avait découvert l’un des plus grands secrets de l’autre quand il n’en était rien. « C’était très beau. » Tu étais très beau, qu’il marmonne dans un creux de sa bouche comme un secret qu’il n’ose admettre (quand il n’y avait rien de mal à complimenter ses amis). « Alors, pourquoi ne suis-je pas au courant de ce terrible secret… » Qu’il ajoute plus pour embêter qu’autre chose. Les pas, une fois ses chaussures enlevées, le guident jusqu’au plus jeune dont il vient gentiment squish une joue en guise de bonjour.

Il était certainement le meilleur supporter de ses amis. En tout cas, il espérait et aspirait à l’être. Peut-être pour prouver sa valeur (pour voir sur son chemin un champs de sourire s’épanouir). Les compliments étaient, habituellement, suffisants. Mais pas pour Haïssam. Haïssam qui ne voyait le plus souvent que ses médiocrités camouflées sous des couches plus importantes de réussites. Haïssam qui rougissait comme si le mensonge était trop honteux à accepter. Mais Edzard ne laisserait jamais Haïssam se refermer dans cette coquille qu’il fortifiait comme forteresse dans laquelle il se cachait chaque fois qu’il osait lui dire, ô combien ! il était époustouflant du haut de ses sauts, de ses pieds tendus. De ses petits rires et sourires camouflés au derrière de ses mains. Alors il s’offusque, fronce les sourcils, tire un peu plus les joues et se met presque juste en face de son visage d’un air mécontent. « Comment ça, tu ne danses pas très bien ? Je suis pas pro mais je vois très bien que c’est plus que bien ! » Ce n’est que la suite de ses propos qui l’oblige à se reculer, à laisser son pauvre ami respirer lorsque sa main vient retrouver celle du plus jeune pour sentir le poul battre au travers de la chair de ses poignets. « C’est vrai ? » Qu’il demande, sourire énorme collé aux lèvres. Et puis alors, il secoue la tête de gauche à droite, le relâche, lève les paumes comme un signe d’abandon. De drapeau blanc. « En fait, ne me dis pas. J’adore trop les surprises. » Alors il préfèrera forcément le voir twerker comme il doit l’apprendre le jour de son anniversaire (se rendait bien compte que ce n’était pas ce genre de cadeau, que ça avait du sens, que ça faisait presque trop plaisir tellement ça sonnait Haïssam, aucun autre de ses amis ne lui promettant une chorégraphie sur-mesure pour février). « Mais tu dois danser depuis avant une soudaine motivation qui t'aura fait apprendre il y a quelques semaines… » Parce qu’il était peut-être seulement à demi himbo quand certains de ses neurones s’alignaient.

Haïssam a des innocences qu’Edzard admire. Des sourires lumineux quand il aura touché à certaines parts d’ombre. Des rires clochettes trop purs, un regard pétillant qui le surprendra toujours. Il est plein de forces qu’il n’a lui-même jamais eu, il est quelque chose de différent qu’il jalouse presque secrètement. Qu’il cajole de sa beauté. Apprécie à protéger, sans pour autant savoir que, de sa protection, il lui a aussi jeté une malédiction. Oh, Haïssam mérite toutes les attentions. Et celle d’Ed n’en est qu’une de plus, qu’une qui se retourne tout doucement contre lui quand les sentiments prennent le devant. Quand l’homme concerné n’est apte qu’à jeter ses plus beaux sourires benêts (sans retourner de sentiments car il n’a d’yeux que pour la belle qui lui a tourné le dos). « Je comprends… Ca me fait un peu pareil quand je chante. » Même s’il n’était que rarement l’auteur des paroles qu’il marmonnait. Car celles qu’il inscrivait sur des pages oubliées n’étaient destinées qu’à ses fonds de placards (jamais redécouvertes ni relues, car les sentiments qui résidaient dans le papier était défouloir, dépotoir et n’existeraient jamais plus au refus de leur propriétaire. « C’était déjà superbe, alors si tu vas faire encore mieux pour mon anniversaire il va falloir que je m’attende à tomber de ma chaise tellement ce sera incroyable… » Lui ? Dramatique ? Sûrement. S’illuminant en observant le plus jeune lui ramener un soda bien trop sucré au goût de beaucoup de monde, il se saisit du verre qui lui est tendu et vient même câliner un peu Haïssam, collant son visage une seconde contre le sien, déposant un rapide baiser sur sa joue avant de s’éloigner (il ne fallait pas aimer Edzard si l’on préférait son espace personnel). « Merci ! Comment tu fais pour te rappeler de tout ce que j’aime tout le temps ? » Sirotant doucement sa boisson, zieutant par la même occasion l’autre, il finit par poser le verre sur un meuble au hasard avant de se lancer sur un discours philosophique : « Je pense que c’est important de trouver de quoi décompresser dans certaines activités. Pour toi c’est la danse, mais j’ai connu des gens pour qui c’était le sport, les jeux vidéos, le théâtre, le sexe évidemment. » Gorgée de sa boisson d’un air pensif. « Moi c’est le rire. » Qu’il affirme très sérieusement, avant d’afficher un énorme sourire. Et il mentait, oh, quel menteur ! Il ne décompresse pas par le rire. Il se cachait derrière.

Peut-être qu’en ouvrant les yeux, Edzard se rendrait compte que dans ce monde, il n’y avait pas qu’Anastasia et ses beaux yeux, ses sourires, ses rires, ses blagues qu’elle n’offrait qu’au creux de ses épaules et ses parfums si doux qu’ils berçaient ses rêves. S’il acceptait de s’ouvrir à des voies qui semblaient moins évidentes, s’il s’observait lorsque les doigts glissaient sur la peau de son ami, la réalisation le prendrait peut-être aux tripes. Parce que tout semble logique. Normal. Ecrit. Un jour, il retrouvera Ana. Et ce jour-là, il lui glissera la bague au doigt, elle acceptera et ils seront heureux. Rien n’aurait plus l’air de ce fiasco qu’il s’était dessiné il y avait de cela un an, alors qu’il avait été à deux doigts de lui proposer de lier leurs vies pour toujours. Qu’elle avait refusé sans lui laisser le temps d’ouvrir la bouche. Dans cet avenir, il n’y avait pas de place pour Haïssam et ses joues roses, ses sourires en coin, ses airs gênés dès qu’il osait trop s’approcher. Dans tout ce qu'il avait écrit dans ses carnets, il était un ami si proche qu’il en serait sa famille.

Petit moment de flottement lorsqu’il affirme qu’il lui commande toujours cette boisson lorsqu’il est un peu trop éméché et il finit par rire, secouant légèrement sa tête. « Ah, je vois. C’est parce que tu me gaves de sucre quand je pense que je suis en sécurité… Ca me va, cela dit. C’est mignon. » Et dans un monde idéal, il n’aurait pas d’hésitation à le tease un peu plus. A glisser un “comme toi” aisément. Mais dans ce monde-ci, le regard glisse sur la peau dévoilée sous les cheveux relevés du plus jeune. Et dans ce monde-ci, Edzard se remet un peu en question en réalisant où traîne son regard. « T’inquiètes, tu sais que t’as le droit de replacer tes meubles chez toi, quand même. » Qu’il répond en premier avant de reprendre pour répondre à sa tirade précédente. « Tu vas me sortir, bientôt, que je suis un gros lover coureur de jupons. » Quand il n’était rien de plus qu’un grand romantique qui courait encore après la femme de sa vie. Il s’amusait simplement, parfois, pour oublier (ses amours, ses peines et ses doutes). « T’entends quoi comme rumeurs… Que je suis le meilleur coup que beaucoup ont pu avoir, j’espère. » Sourire beauf on point.

Edzard fait mine d’être offensé par son commentaire, posant dramatiquement sa paume sur son propre poitrail l’air de dire, moi, coureur de jupon ? Et en réalité, il n'estime pas l’être. Il cherchait l’amour en tout un chacun, pensait se sauver de celui d’Ana sans jamais réussir à s’en séparer. Le destin était-il assez cruel pour le lier à quelqu’un qui ne voudrait jamais vraiment de lui ? Il ne le pensait pas. Pourtant, c’était toujours au bras de la belle qu’il se voyait (qu’il ne retournerait jamais). « Tu me heurtes. » Qu’il ajoute pour en rajouter une couche. Et ricane. Parce qu’il vaut mieux en faire une blague qu’une raison de plus à se morfondre.

Analysant les mots de son plus jeune ami, il hausse un sourcil avec un sourire amusé au coin du visage. Se penchant sans oser pour autant trop s’approcher d’Haïssam, restant là où il se tenait sans bouger d’un pied, il ricane doucement. « Hm, je pensais pas que tu aurais envie de tester la marchandise. Si les rumeurs parlent, ça t’intéresse de découvrir la vérité ? » Qu’il taquine d’un air joueur. Mais aujourd’hui, Ed ne jouera pas longtemps. Parce qu’aujourd’hui, il ne serait pas celui qui perdrait. Ce n’était pas le bon moment. Alors il se lève pour l’aider à replacer ses meubles là où il savait qu’ils se tenaient auparavant. « La presse ne saura rien quant à mes meilleurs kiss, chéri. » Pas comme si la presse s’intéressait particulièrement à lui anyways. Se tournant vers Haïssam une fois la tâche terminée, il ne peut s’empêcher de rire à la blague tout aussi beauf de son ami. « Désolé, t’as un trop beau cul faut bien mater. » Parce qu’entre bros, ce genre d’humour n’était pas du tout dérangeant. Ni même ambiguë. Non, du tout. Il irait même jusqu’à lui lâcher une petite tape sur les fesses, s’il était à côté de lui. Ce qu’il ne fait pas. Pas après avoir vu le plus jeune danser quelques secondes auparavant (comme s’il s’agissait d’un détail important dans son comportement (c’en était un)).

Ce n’était pas comme si Edzard s’était attendu à ce que Haïssam lui saute au cou pour l’embrasser. Parce que ce n’était qu’une plaisanterie. Ca faisait partie de leur humour un peu gras qu’ils se communiquaient entre deux rires bêtes et une petite tape sur l’épaule. Pour autant, voir l’air presque gêné de son ami flattait son ego (déjà surdimensionné). Alors, Ed rit. Parce que c’est ce qu’il fait de mieux et ce qu’il a de mieux à offrir à ceux qui lui prêtent quelques pitreries desquelles il pourrait s’amuser. Il était heureux d’avoir rendu visite au plus jeune, aujourd’hui. Parce qu’il avait pu découvrir une nouvelle facette de celui-ci, mais aussi parce qu’il n’était pas dans ses baskets avant d’arriver et qu’il était toujours plus agréable de passer un peu de temps avec ses proches. « Je ne te savais pas si superficiel… J’en apprends un peu plus tous les jours. »

S’il s’était attendu à ce que Haïssam bug autant sur quelques farces granuleuses qui n’avaient rien de bien méchant (de base), peut-être qu’il se serait abstenu. Parce qu’il n’aimait pas gêner les autres, Ed. Préférait toujours les voir s’amuser de ses pitreries. La suite, pourtant, le surprend. Arrêt sur image de quelques secondes qui sembleraient durer des heures, et, finalement, le voilà qui explose. Ricane trop fort alors qu’il s’approche en haussant les sourcils suggestivement, sa main venant caresser le bas de son dos (le survoler, vraiment), d’un air plus qu’amusé. « Quoi, t’aurais envie que je palpe ? » Quel moyen de s’enfoncer. Il s’éloigne en ricanant pour aller ramasser sa boisson oubliée, en boire quelques gorgées (effacer le propre mauvais sentiment qui point dans sa poitrine). « Désolé, faut faire ça dans l’ordre après on va croire que je suis vraiment un coureur de jupon. Ce sera peut-être ton cadeau de noël… »