— Is it the weather's fault? Even though I was fully prepared for the rain, Getting wet still bothers me — that's just how I am

ça ressemble à un foyer.
et je n'ose apposer sur cet ensemble le sceau du terme approprié, car il est immuable ; j'ai l'impression qu'en l'appelant maison, je détruirais la mesure chaleureuse de cet espace plein, que je m'attache à investir envers et contre l'harmonie récalcitrante qui l'habite. Un mot de trop, et ses perspectives s'évaporeraient, à la manière volatile des mirages abandonnés au soleil...

Cet endroit, qui laisse passer les plus hauts rayons du soleil et qui donne sur les nuages, même lorsqu'on les trouve ramassés tout au bout du ciel - est assez grand pour être hanté, assez accueillant pour ne pas que l'on s'y sente chez soi sans avoir le sentiment de déranger, et juste assez tranquille pour me permettre d'en éveiller la morosité.

Ce sont des murs blancs ; l'odeur âcre du café chaud ; le cuir lisse des canapés ; un homme de ma famille dans l'embrassure de la porte, le regard lasse, la mâchoire dure ; un homme que l'on m'a sacrifié ; c'est ma nouvelle demeure.

Il est tard, je crois ; à l'abris de la fourrure de Qamar, je somnole déjà un peu. Je sens sa respiration, profonde et régulière. Un peu plus tôt, j'ai allumé la télévision pour faire du bruit ; son murmure statique s'éternise en bourdonnement réconfortant dans nos oreilles. Le sol est un peu froid sous la peau de mes cuisses, mais de Qamar émane une chaleur enveloppante, et je profite de sa douceur aliénante pour m'oublier un peu. J'ouvre des articles au hasard, du bout des doigts, sur l'écran de mon téléphone.

Le retour inattendu d'Hector Hemingway, le traqueur disparu depuis quinze ans - en gros caractères tapageurs.

Et mon corps sans volonté s'est redressé, et j'ai bondi sur mes deux pieds, alerte comme en chasse ; et voilà que j'entends pour moi les tressaillements de ma propre voix. — Iskander ! Un appel d'enfant qu'un cauchemar vient d'éveiller au cœur de la nuit,
effrayé par les ombres modelant à son gré morbide les reliefs d'une chambre qu'il ne reconnaît pas. — Viens voir, viens voir ! Et c'est tout, je m'étrangle, en lui tendant mon téléphone, à bout de bras - éperdu, hagard, encore trop hébété pour éprouver les premiers signes d'une rage ourdie, comme une maladie ou une malédiction, depuis une décennie. — Hector... Hector... Ce fils de pute ! une main crispée à mon front. Le lettrage digital décompose sous mes yeux sa graphie obscure, et j'ai l'impression d'être confronté à un genre de sainte parole grotesque dont il s'agirait de s'imprégner. — Pourquoi est-ce qu'il est pas mort ? Pourquoi ? Impérieux, l'air de dire : vas-y, explique-moi si tu l'oses ! - Comme si Iskander en savait quelque chose, des fantômes.

— Is it the weather's fault? Even though I was fully prepared for the rain, Getting wet still bothers me — that's just how I am

Iskander dit : je ne comprends pas - c'est une trahison. Car Iskander devrait avoir réponse à tout, et toujours répondre à tous ses caprices d'enfant - il devrait emporter ses convictions entre ses bras forts, ses bras d'homme fatigué qui sans douceur porte sa progéniture jusqu'à la crèche pour mieux l'y border, dans le geste de commisération lasse des dévots souhaitant ensevelir leurs secrets sous la paille. Il devrait lui répondre : ce n'est rien - ignorer ses plaintes en ne la regardant pas, la laissant toute à son trouble orgueilleux  de gamin colérique qu'on a dépossédé d'un jouet cassé ; mais lui-même, cette figure d'autorité, forte pourtant en son foyer, dépossédée bon gré, mal gré de toutes ses habitudes - il ne comprend pas, il ne sait pas.  

— De toute façon, tu comprends jamais rien !

Au fond, Kian le sait, qu'elle est méchante. Iskander n'a jamais été qu'amène avec ellui ; si iel savait comment l'on remercie les hommes, il le remercierait de ses bontés désabusées, du bruit de ses pas, ferme et un peu traînant dans le couloir ; de ses longs silences mélancoliques et du ton posé, un peu lointain avec lequel on l'entend dire arrête de crier ; fais moins de bruit ; tu pourrais ranger, quand même -- mais les dieux n'ont jamais appris à Kian à dire merci ; le merci, c'est pour les proies, la biche agonisante, le sanglier que l'on tire au fond des bois, auprès desquels l'on s'agenouille en dernier recours pour les célébrer dans la mort ; le merci, c'est l'extrême onction du monde sauvage, du microcosme des fauves recouvertes de la peau des hommes, un univers terrible sur lequel veillent les étoiles indiscrètes. Protégées derrière le couvert des arbres, leurs yeux de chandelle ne clignent jamais ; elles sont trop isolées dans leur coin de ciel pour se moquer du sang trop noir que l'on verse sur terre.

Kian tombe à genoux, contre le ventre de Qamar. Dans son sommeil, le vieux loup soupire. Iel enfonce son visage dans sa fourrure, honteuse pour une fois de ses larmes. Iel n'aime pas pleurer en présence d'Iskander ; ses sanglots absurdes qu'elle dispense à tout vent se parent d'humiliants reflets lorsqu'ils sont versés au chevet du fidèle - les fantômes ne pleurent pas. — Je vais le tuer ! Je vais le tuer pour de vrai... Le fils de pute, il a pas le droit ! Il a pas le droit de revenir comme ça... Le spectre ici, c'est moi. L'on ne se joue pas ainsi des vivants, lorsque l'on se donne respectueusement aux morts. Ce n'est pas juste. — Je le hais ! Je le hais tellement ! En se redressant, jetant sa tête en arrière - le regard fou des réprouvés à qui l'on vient de montrer la vérité.  — Iskander ! Tue-le ! Tue-le ! Je veux qu'il meurt, tue-le !