cw: mort, négligence infantile.

en te réveillant, tu fixes longtemps le plafond avant de tendre ton bras à ta droite — sa place était froide.
tous les matins depuis trois mois, tu répétais rituellement ce geste pour confirmer encore et encore qu’elle n’était plus là.
pourtant contre tes cotes, tu peux sentir de la chaleur, tu peux sentir un souffle chaud, régulier. tu baisses les yeux et vois ton fils encore endormi — il s’était fait tout petit, roulé en boule presque, pour laisser de la place à maman qui ne reviendra plus.

tu te lèves d’un geste brusque, marches sur les feuilles et les plans éparpillés par terre avant de sortir de la chambre pour descendre à la cuisine.

c’était ton fils, la chair de ta chair, la chair de sa chair, portant son sang, ton sang, avec certains traits qui se révèleront avec l’âge plus similaires aux siens alors que d’autres seront plus similaires aux tiens. il était votre fils, alors pourquoi ne peux-tu plus t’amener à l’aimer ?
pourquoi certains matins comme celui-ci tu le hais presque de te rappeler sans cesse la mort de Naomi ?
mais pendant que tu faisais le deuil d’une épouse, il faisait le deuil d’une mère.

tu mets l’eau et le café dans la cafetière avant de l’allumer. pendant que le café goutte, tu prends ta tasse — tu remarques que les traces de café au fond étaient de plus en plus noires, quand est ce que tu l’avais lavée la dernière fois? — et y mets deux cuillères de sucre.

sur le frigo était aimanter une petite annonce pour pas que tu oublies ce rendez-vous avec Kian. tu l’enlèves du frigo, la glisse dans ta poche pour pas qu’Arden la voit en arrivant, et va verser ton café pour le boire. tu montes à nouveau répéter ses gestes maintenant mécaniques, sans émotions depuis trois moins — ranger tes affaires, te laver, te changer, prendre l’apparence d’une personne qui avait l’air d’avoir sa vie encore en mains.

tu redescends, prêt.e, à l’apparence d’une personne simplement fatiguée par le manque de sommeil et attends que la sonnerie retentisse dans la maison vide, si vide. une éternité semble passer avant que le son strident ne rompt le silence. tu vas ouvrir la porte à Arden, qui te sourit salut… tu peines à lui renvoyer ce sourire, tu vas droit au but. excuse-moi, j’ai pas eu le temps de faire de petit-déjeuner à Hải. ça te dérangerais de lui faire quelque chose ? prends tout ce qu’il te faut du frigo… tu avais dit assez sèchement, prenant à peine le temps de la regarder mais avant d’ouvrir la porte, tu te retournes vers Arden merci de rester avec lui… bonne journée. et tu quittes finalement la maison.

en moto, le cimetière d’automates n’est pas si loin, mais une fois garé sur place, tu restes un instant bloqué sur ta moto, ne te souvenant plus du trajet fait jusqu’ici, ne comprenant pas comment tu as pu arrivé ici depuis chez toi, tout te semblait si vague, mais tu étais arrivé à destination.
tu regardes ton rainphone — presque une vingtaine de minutes d'avance.
tu t’allumes alors une cigarette, puis une autre, puis une autre, les fumant peut-être trop rapidement jusqu’à ce que Kian arrive sur place.

une voix s’élève des cieux presque et tu lèves donc les yeux vers sa source. derrière le nuage de fumée qui s'élevait de tes lèvres, Kian semblait presque un fantôme, mais il suffisait juste qu’iel se soit approché de toi pour ne plus avoir de doute sur sa présence, réelle, envahissante, ses yeux semblant regarder directement dans ton âme. il y avait quelque chose d’effrayant chez elle et en même temps fascinant — tu ne pouvais pas la quitter du regard.

oui bien sûr, et pas besoin de Monsieur, juste Huynh… enfant d’Héphaïstos. tu préférais qu’on te tutoies, qu’on t’appelle par ton prénom, ça faisait moi officiel, moins tendu, je ferai de même Kian. sans demander si iel était d’accord, mais vu le personnage tu pensais qu’il ne t’en voudrais pas.

malheureusement pour Kian, ses airs et l’atmosphère qu’il essaye d’installer ne te font pas peur, au contraire, ils te mettent à l’aise. tu écrases ton mégot par terre avant de t'installer, assis en tailleur, en face d’elle. à quelques détails près vous étiez comme deux ami.e.s en train de faire un picnic, mais à la place de la nappe à carreaux, une noire, à la place de boissons et de gâteaux un pentacle et des bougies.
un picnic pour les morts plus que pour les vivants.

Kien parle et tu l’écoutes, ton regard vide fixé dans le sien, ses mots t'envoutant presque, des encouragements et des menaces en même temps, un comportement que tu pensais digne d’un enfant d’Hadès — protecteur de la Mort et défieur de son autorité en même temps. mais qu’avait la gentillesse à faire dans tout ça ? enfin c’est vrai qu’il semblait que la Mort emporte les meilleurs plus tôt, enlève aux meilleurs plus tôt, mais pouvait-iel vraiment dire que tu étais “quelqu’un de très gentil” ? tu étais gentil.le comme tout le monde, plus avec tes proches évidemment mais sinon… j’avais une épouse, Naomi Ly… Hughes de son nom de jeune fille, et elle est décédée récemment et… tu voulais la revoir, revoir son sourire capable d’illuminer tout une pièce, la prendre dans tes bras et l’emporter loin de tout, la reprendre des Enfers si tu pouvais, je voulais juste entendre sa voix à nouveau. tu étais endeuillé.e mais encore assez lucide pour savoir que Kian pourrait t’offrir sa voix mais pas son corps, que tout ce que tu voulais réellement était impossible.