The sun goes down, another dreamless night
You're right by my side
You wake me up, you say it's time to ride
(tw mort + description un peu graphique)

Je ne voulais pas mourir en ville.

Je ne voulais pas mourir en ville où les pins ne peuvent me servir de linceul et où la lumière de la Lune ne filtre pas : c’est une mort contre-nature qui me prive du retour au sol que doivent être nos derniers instants — ce n’est pas grave, je réussirai la prochaine fois.
La mort en ville n’a pas de sens parce qu’elle n’a pas d’odeur : elle se fait dans l’horreur aseptisée des lumières vives et des parterres de goudrons qui ne peuvent accueillir en berceau le corps de l’homme mort ; un cadavre n’a pas sa place ici, et l’environnement même le fait savoir. Ce sont des morts qui dérangent, et dont on se détourne avec dégoût — il faut, pourtant, accueillir du décès ce qu’il offre à la vie. Les gens d’ici ne peuvent pas comprendre.

Ma mort n’a pas de sens : je ne me suis pas su mourir, et voilà ma fin insignifiante. Je ne pensais pas partir avec éclat, non ! je n’ai pas cette présomption. Je pensais partir vieux et dans la terre, accueilli par l'humus odorant d’une forêt de conifères, en Californie ou dans l’Oregon, dans un lieu que le sacré aurait touché et où la lumière serait diffuse, jaune et douce. Le soleil se serait levé sur mon cadavre donné aux bêtes, et mon corps, alors, se serait décomposé lentement, comme il se doit ; gonflé d’abord par l’eau des pluies. Les insectes (mille-pattes, fourmis, vers) se seraient attelés au travail de décomposition — c’est ma peau qui serait partie en premier jusqu'à ce que s'efface mon visage, puis ma chair, mes tendons, mes nerfs, et en dernier mes os. Et mon sang, ah ! mon sang. La rosée l’aurait dilué, au premier matin, en un vin clair de cerises ; il se serait écoulé dans le sol pour rejoindre le système racinaire des grands arbres, ou un mycorhize quelconque que mon fer, mon carbone et mon eau auraient alimenté. À la fin, les charognards se seraient disputé la moelle au fond de mes os, jusqu'à ce que je ne sois plus, et que mon âme reste, au repos, en chaque chose de la nature. J’aurais rejoint ce grand cycle logique et implacable qu’est celui de la Vie : voilà ce que j’aurais voulu.
Voilà ce dont tu m’as privé. Quand je dis tu, je parle de ma Mère.

Ce jour-là, je suis mort. C’est tout simple : je suis mort.
J’étais enivré, encore, de mon triomphe d’artiste et mauvais père, enivré de cette colère brute, de ce mépris à mon égard, cristallisation d’émotions humaines que je n’avais pas lues depuis une décennie : il faut savoir déceler une beauté toute particulière à cette sincérité parfaite des êtres humains qui, dans la surprise, laissent périr les conventions qui gâchent leur naturel. J’ai, je crois, aimé cette soirée, dont tu as – toi, Ethel, dont j’ai oublié le nom – consacré la brutalité.
Je n’ai rien senti d’autre que le coup, dont le bruit sourd a résonné dans mon crâne avec le fracas des vagues — je n’ai pas senti le verre brisé, ou la chaleur de mon sang jeune, versé chaud depuis mes veines, versé sur mon front comme une bénédiction. Si j’avais pu me voir, je me serais découvert plus organique que je ne l’ai jamais été. Mon corps mou s’est affaissé sur le dallage impeccable du supermarché en position de prière, sur les genoux, puis face contre terre ; et mon sang, tout ce sang, a coulé en une flaque d'eau noire qui dessinait au sol le reflet parfait des néons, pour en absorber toute la lumière. La mort a une beauté parfaite que les vivants ne peuvent concevoir, et que le cadre industriel gâche totalement, à cette heure de la nuit. Je n’ai même pas pu voir les étoiles.

J’espère, Ethel, que tu as aimé cette vision. Je voudrais, plus tard, que tu me la décrives : j’en poursuivrai l’image, comme le font les grands artistes.

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The sun goes down, another dreamless night
You're right by my side
You wake me up, you say it's time to ride

Je n’ai pas vu la Lumière : je n’ai vu qu’elle, qui est le Soleil même, ou le plus grand des astres — à faire pâlir Véga, Sirius et Bételgeuse. C’est ma Mère ! j’ai compris alors que j’étais vraiment mort, et que j’avais rejoint cette fois les beautés artificielles du domaine des dieux. Nous ne mourons plus comme nos prédécesseurs, enfants guerriers de l’Olympe, mais bien comme des Hommes : me voilà étalé sur le sol froid d’un Trader’s Joe avec un pathétisme propre à l’humanité, et l’humanité seulement, qui sait vampiriser la beauté des choses les plus sacrées et les plus intouchables — la fin d’une vie.
Il n’y a rien de plus rampant, médiocre, que cette chapelle industrielle qui accueille ma dépouille. Je ne t’en veux pas, Ethel, je crois ; et je prendrai cette mort comme un apprentissage, un coup de sommation : je ferai mieux la prochaine fois.

Ma mère est belle et archaïque, ce soir, comme le sont les bouleaux argentés, les cours des ruisseaux ou les éclats brillants du feldspath dans le granit — vous savez, cette gloire végétale, minérale, qu’on trouve dans le berceau du monde (ses mains). Je me jette à ses genoux, pas pour prier, mais pour enfouir mon visage dans ses jupes comme le ferait un enfant : le tissu est doux sur ma joue, elle sent le lilas, je crois, ou le jasmin. Si je pleurais, mes sanglots seraient avalés par la mousseline rose. C’est encore trop tôt, et je ne suis pas triste de ma mort.
Dans le temps liminal de ce cocon de lumière, je n’arrive pas à lui parler ; sa peau est tiède, et je trouve le réconfort dans ce fragment matériel et réel de sa personne. En son sein, je redeviens un enfant.
C’est beau, comme c’est beau !

Maman.

Ma voix sort enrouée, étouffée par le tissu ou par le choc de cette fin abrupte. Les seuls pleurs sont ceux de ma mère : c’est pour ça qu’elle est divine, et que je ne suis rien.
Ma vie s’était rompue sans crier gare.

Pardon, pardon. Je ne voulais pas t’inquiéter ! Je ne sais pas ce que je fais, maman, pardon !

Et là, là ! en ce moment sacré de prière (bien que je ne sois pas croyant), j’ai enfin pleuré, oh ! comme j’ai pleuré. J’ai pleuré comme les agneaux tout juste nés, comme les cigales, comme le vent d’est, j’ai pleuré comme les bêtes à l’automne, comme le point du jour : comme il se doit. Mes larmes tâchent le tissu rose de flaques plus sombres, presque brunes — vérité de ma souffrance ou de la sienne, celle de ma Mère.

Dis-moi, dis-le moi maman ! Et je leur dirai, promis, je leur dirai.

Je suis un faux prophète.

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