Les règles étaient claires : pas de meurtre au sein du club. Mais cela n'empêchait pas la chasse, et il y avait souvent des proies de choix, surtout dans le carré VIP. Celui à ses côtés avaient les cheveux poivre et sel, un habitué des lieux qui était, somme toute, pas des plus hideux dans sa tranche d'âge. Il était bien habillé, il y avait un essai capillaire pour paraître plus jeune qui ne marchait pas vraiment, mais il prenait les bouteilles les plus chères. Sans doute un bon client de Naga.

Ses mains se faisaient baladeuses, remontant peu à peu sur sa cuisse. Peut-être que Meryem lui ferait prendre une autre bouteille avant de rentrer avec lui.
C'était sans compter sur l'interruption du volatile, qui malgré son âge avancé, ne semblait pas avoir gagné en patience au fil des âges.

Ange était une des rares personne du Lotus qu'elle ne haïssait pas. Tout du moins, pas ouvertement. En acceptant de rejoindre la bannière d'Echidna, Meryem ne s'était pas douté que ses collègues se plairaient tant à venir la visiter quand elle ne le voulait pas forcément. Dans ces moments-là, l'Empuse regrettait parfois de ne pas être plus ferme. Elle regarde sa proie déguerpir en se disant qu'il reviendrait sans doute demain, et reporta son attention sur sa cadette, tirant sur sa jupe pour la baisser maintenant que personne ne la touchait.

Meryem écoutait, même si rien ne la forçait. Le débit de l'aigle, si particulier, chantant, erratique, qui trahissait ses émois.
Encore une histoire d'hommes.

Je n'ai que faire de Bellamy. Ni de Duke, ni de Lucius.

Puisque sa victime s'est enfuie, elle se sert une verre de liqueur qu'elle porte à ses lèvres.

Tu n'as pas besoin de manger si tu n'aimes pas. C'était ma proie, pas la tienne. Cette ville est bien assez grande pour nous deux, tu ne crois pas ? Ne rentre pas dans le jeu de Duke et de Lucius. Tu peux très bien chasser sans eux. Ne pas te contenter d'être un charognard, ma belle.

L'envie de fumer te prend, mais pour ça il fallait aller dehors, et tu n'avais pas encore envie de quitter le confort du velours de ton siège.

Est-ce que tu veux Bellamy parce que tu veux le manger plus qu'un autre, ou c'est parce que tu veux jouer avec tes frères ? Hm ?

Parce qu'elle était bien assez grande pour voler de ses propres ailes, Ange. Au lieu de voler tout court.

Au moins, on ne s'ennuyait pas avec l'Aigle. Elle ne comprenait pas la certaine innocence que le monstre gardait en elle, malgré tant d'années d'existence, malgré les maintes fois où elle s'était déjà brûlée les ailes. Oh, elle n'enviait pas ses humeurs et ses envies, bien au contraire. Aimer était la dernière chose qu'elle voulait faire, et pourtant, Ange semblait n'être fonctionnelle qu'à travers cela. Lorsqu'elle s'avance de trop près pour lui faire sentir son haleine, Meryem presse un index vernis sur son front pour la faire reculer, un sourire narquois aux lèvres.

Parfois je ne chasse pas pour manger. Parfois, je chasse parce que j'en tire un avantage. Comme de l'argent. Des cadeaux. De l'attention. Et celui-là me donne les trois.

L'Empouse avait un égo surdimensionné. Elle avait besoin de se sentir désirée et vénérée par les Hommes. Peut-être qu'en cela, elle n'était pas plus avancée que Ange. Ses mains saisirent le verre de scotch, qu'elle avait déjà fait acheté à sa proie, chassée par l'Aigle. Elle comptait bien profiter de la bouteille tout de même, et proposa un verre à Ange.

Alors pourquoi tu ne choisirais pas ma proie cette fois ? On s'était bien amusée la dernière fois non ? Avec ce batteur. Je n'ai plus son nom en tête. Mais il est vrai que ça faisait longtemps qu'on n'avait pas fait quelque chose que toutes les deux.

Et puis, Meryem voyait cela comme un défi. Cela ne ferait pas de mal, de sortir des sentiers battus et des cibles qu'elle choisissait elle-même. Peut-être que Ange la surprendrait.

Il n’y a pas d’hésitation dans son regard, lorsque Meryem fixe Ange de ses yeux sombres. Mais elle ne veut pas être le Sphynx et répondre avec des énigmes cryptiques, elle ne veut pas être comme l’Hydre et lui promettre monts et merveilles quand ça l’arrangeait, elle ne veut pas être comme le Lion et fuir avant de répondre.

Ange. Je ne pourrai jamais t’aimer. Que tu sois homme, femme, humain, demi-dieu, titan… Ce n’est pas dans ma nature. Je suis différente de toi et de tes frères et soeurs. Vide. Artificielle. Un joli packaging creux. J’ai été créée pour me faire désirer.

Elle a un sourire narquois, dénué de toute cruauté. Les mots semblaient peut-être durs, mais elle ne voulait pas envelopper ses paroles dans du velours. Elle ne voulait passer laisser un doute dans l’esprit de l’Aigle, ni aucun espoir de cherche en elle ce qu’elle ne trouverait jamais. L’Amour qu’elle cherchait tant, il ne naîtrait jamais en elle.

Mais toi, je ne veux pas que tu me désires. Voix-tu. Je t’apprécie. Ta présence à mes côtés n’est pas insupportable. Et tu vois, je prends soin de toi à ma manière. Je ne te mangerai pas, sauf si tu me le demandes. Mais je n’y prendrai aucun plaisir. Tu n’as que la peau sur les os.

Le dernier point était lâché sur un ton moqueur. Mais l’idée de dévorer l’Aigle ne lui a jamais traversé l’esprit, et elle ne voulait pas en arriver là.

C’est précisément pour ça que je continue à te nourrir. Et peut-être un jour, quand tu deviendras bien repue, et que tu ne voudras plus autant te faire manger. Peut-être qu’à ce moment-là, je voudrais te dévorer.

Meryem saisit la mâchoire de Ange entre ses doigts manucurés, pour bouger délicatement sa tête et lui laisser une marque de rouges à lèvres sur sa joue droite, avant de la repousser en la faisant bouger sur le canapé en se relevant.

Sur ce, j’ai toujours faim, donc je m’en vais en quête d’une nouvelle proie. Bonne soirée, Ange.