Hephaïstos a troqué les forges pour un autre atelier - celui des coeurs brisés, au milieu des nuages. Il a du mal avec tout ça, avec l'immensité de l'Olympe ; il ne s'assoit sur son trône que quand Zeus les convoque à un énième conseil pour se vanter de sa grandeur. Hephaïstos n'a plus rien de grand, lui ; à l'image des vieux jouets - il est cassé.
Le problème des Dieux qui ne meurent jamais, c'est qu'il l'est pour l'éternité.

Une éternité cruelle à voir ses enfants se déchirer, se haïr et s'entretuer. Ils tombent comme des mouches et pourtant Hephaïstos espère encore. Il s'amourache de mortelles trop bien pour lui et essaie, encore et encore, de se faire aimer. Même sa progéniture le trouve laid.

B'jour Mistral.

Qu'il marmonne dans sa grosse barbe hirsute. Mistral est apparu là, au milieu de la mer de nuages, pour qu'Hephaïstos affronte une nouvelle fois le regard que les autres lui ont lancés.

Pourquoi est-ce que tu t'es laissé faire ?

Hasarde-t-il, curieux et blessé par ce fils qui a accepté la mort sans broncher. Il n'a même pas fait l'effort de se battre.
Malgré son absence, le Dieu a observé son fils - et même s'il s'attend à un mutisme cruel, il essaie. C'est sa malédiction à lui.

T'avais envie d'mourir ?

Il y a ce petit quelque chose, cette pièce dont on ignore l'usage et qui reste sur le côté de l'atelier - qui se brise. Elle n'avait jadis aucune utilité, à part attendre qu'on se serve d'elle ; après tout ce temps, Hephaistos a réussi à lui en trouver une. Celle de le faire dérailler, même en dehors du mécanisme. Mistral ne répond pas (et il s'y attendait). Il pleure et le dieu des forgerons sent l'ichor dans ses veines le glacer. Il rétorque après une poignée de secondes pesantes mais nécessaires.

Qu'est-ce que t'racontes ? Qu'est-ce que j'voudrais te prendre ?

Sa barbe rousse crépite d'étincelles. Ses jambes malfamées et grêles peinent à le porter, il s'appuie sur sa canne pour faire un pas vers lui, puis un autre, encore un. À chacun d'eux, il lutte pour ne pas s'effondrer. Il s'arrête près de lui et considère son fils dans son ampleur la plus tragique. Sous cette apparence corrodée par l'humanité, Hephaistos ne fait pas le poids. Mistral est plus grand, plus fort, plus imposant. Même dans les élans divins de sa forme immortelle, Hephaistos ne gagnerait pas au jeu de l'immensité.

J'sais donner aussi. Ce que tu veux... j'pourrais te le construire. Ça me plairait de le faire pour toi. Si t'en as envie.

Si seulement iels savaient ! Tout ce qu'il pourrait bâtir pour eux ! Mais ils sont soient ingrats soit pernicieux. Qu'ont-iels toustes, à le rejeter comme si c'était un jeu ?
Hephaistos n'est pas le pire parents de l'Olympe, et il fait de son mieux. En cela, il mérite considération et respect. Elle est là, la pièce défaillante. Hephaistos ne sait pas comment le formuler.

Pleure pas, pleure pas. T'vas y retourner.

Sauf si c'est ça qui le fait trembler.
Ça lui traverse l'esprit et il se met la honte d'être encore si maladroit.

Une main qu'il pose sur son épaule.
Il prend appui sur lui.

T'vas y retourner...

Le dieu a la paupière branlante, il a l'air de retenir les larmes (les siennes) de perler sur les traits vallonés de ses joues difformes. Ça ne le rendrait que plus laid !

J'veux pas que t'pleures mon fils...