Malgré le froid qui l'habitude - Duke ne regrette pas son choix. Du moins c'est ce qu'il se force à croire. La prison qu'ils ont choisi pour lui est silencieuse - il perçoit parfois le bruit éloigné des demi-dieux qui grouillent au-dessus de lui. Lui qui espérait les faire flancher et se cacher au fond du Tartare pour l'éternité ; il n'avait pas anticipé qu'ils le terre dans un gouffre plus éclairé. Moins familier, aussi.

Le collier autour de son cou est un mystère pour lui - un enchantement qui le frustre et qui l'énerve, si bien qu'il s'est terré dans un coin de la cellule pour se mettre en boule et attendre. Tout ce qu'il espère, c'est qu'ils viendront le voir au plus vite, et que Bellamy, Cassiopée, Seraph... Tout ces beaux visages le divertiront assez pour ne pas regretter ce siècle de liberté.

Une porte lointaine se pousse, et des pas traversent le marécage qui encercle la cellule. Duke aperçoit la silhouette de Bellamy au travers des quadrillons de lumière et ne prend pas la peine de se relever. My loving you, they're only heartaches.... Bellamy fredonne une chanson ; Duke l'imite. C'est la leur, à eux-seuls. C'est celle qui s'est imprimé dans la tête du fils de Dionysos, et qui a instigué la peur nourrissante, cachée entre ses viscères.

Bellamy ! Mon ami ! Comme tu es généreux de venir me voir... après tout ce temps.

Le sourire est grand mais le regard est noir. Duke le dévisage comme un animal affamé. Il articule d'une voix plus sombre.

Tu sais à quel point j'adore attendre.

Bellamy se justifie. Il ne pouvait lui faire plus plaisir ! Duke lève un index qu'il se met à tourner à côté de sa tempe. Il ne détourne pas les yeux une seule fois. Qu'a-t-il à perdre à le défier ? Il est déjà bien bas.

C'est parce que je suis... dans ta tête...

Duke éclate de rire. Une éternité d'agonie, il lui dit !

Tu es en colère parce que ça ne te satisfait pas vraiment... tu ne m'as pas capturé, je me suis offert à toi... me tuer ou me garder ici ne changera rien au fait que je t'ai brisé.

Il joue des épaules, volontairement nonchalant.

Ne teste pas ma patience, demi-dieu. J'ai plus de deux millénaires derrière moi quand toi... toi tu n'es qu'une poussière de cette époque dont personne ne se souviendra le nom cent ans après... j'ai attendu deux cents cinquante ans avant qu'Hercule ne vienne me voir ! Ce n'est pas toi et tes trois jours qui me feront plier...

Mais Duke plie déjà ;
il est fatigué.

Duke ne pouvait pas rêver mieux comme aveu. Ça le rassure un peu, au final, d'avoir eu un impact aussi puissant sur un demi-dieu comme lui. Lui qui l'a contaminé de sa folie. Ou peut-être l'était-il déjà avant leur première rencontre ? Complètement fou à lier. Duke baisse les yeux sur le sol de sa cellule. Quand il relève le regard, c'est accompagné d'un sourire carnassier.

Ta vie est mienne, mini-dieu. Et elle le sera jusqu'à ton dernier souffle... Echidna m'a forgé, Héra m'a forgé. Ne sois pas aussi présomptueux.

Qu'il reste à sa place - et si celle-ci se trouve de l'autre côté des barreaux ; ainsi soit-il. Duke n'a plus rien à perdre. L'immortalité l'a déjà étreint. Il espère juste se rendormir pour quelques siècles.

La question arrive à le surprendre. Pris de court, Duke gronde et s'enfonce un peu plus dans son cachot. Les bras en appui sur ses genoux relevés, il ne quitte pas le fils de Dionysos des yeux.

Non, je m'ennuyais. C'est tout.

Il ne veut pas admettre que cette quête d'identité l'a dépassé. L'Hydre en a eu assez d'attendre que quelque chose se produise. Le Lotus appartient à sa mère ; il a essayé de s'approprier le reste. L'île, Oliver, Cassiopée... Bellamy. Ça ne fait pas grand sens pour lui.

Perdre... c'est un bien grand mot. Si tu crois que les monstres perdent... Bellamy. Tu n'as pas gagné. Les Dieux, toujours. Toi, jamais. Moi... toujours.

Il passe sa langue sur ses lèvres.

Offre-moi au moins une partie de toi, que je te goûte de nouveau.

Duke ne s'attendait pas à ça. Il est déstabilisé - l'attitude méprisante de Bellamy l'exaspère. Il n'a plus le contrôle, de l'autre côté de la cage ; et ne pas pouvoir tourmenter le fils de Dionysos (à savoir : son dernier petit plaisir) le frustre plus que de raison. Il lui lance un regard meurtrier et orageux. Oh ! Qu'est-ce qu'il aimerait le dépecer vivant ; le torturer amoureusement ; se délecter de ses chairs, s'immiscer en lui - autant par son corps que par chaque pore de son esprit. Il l'avait toujours voulu lui. Voulu sa folie.

((Aujourd'hui il l'a))
Mais sa faim est maintenue en otage. L'Hydre est en cage et l'homme qui est né sous la carne du monstre ressemble étrangement à celui qu'il aimerait tant dévorer. Ils se ressemblent sous tout aspects, du clair de leur peau à la consistance de leurs os. L'un est assis dans la fange quand l'autre joue avec la clé.

Quel dommage.

La voix rauque déraille. Duke appréhende la faim - sa fin.

Hahahaha ! Il éclate d'un rire sonore, toujours aussi théâtral. Me goûter, qu'il dit... tu n'as rien d'un prédateur naturel, Bellamy de Lioncourt. Tu n'es qu'un gamin apeuré qui n'a jamais osé sortir, même pour aller sauver tes frères de mes griffes ! L'idée même de traverser l'isthme et de m'imaginer t'attendre de l'autre côté te terrorise !

Il se replie sur lui-même, redresse le menton pour le toiser avec une arrogance propre aux immortels.

Tu vas me torturer, mon doux ?

Le regard écarquillé, il articule, plus distinctement ;

Entre, viens. Fais-le. Tu n'as aucun cran et aucune audace.

Duke aussi, savait. Il le savait. Tu n'en es pas capable est un appel demesuré et déséquilibré à la violence. Il crève de l'en voir capable, même si ça se joue au prix de ses propres souffrances ! L'Hydre n'a jamais réellement eu peur de la douleur ; la seule chose qu'il sait craindre c'est la faim.
Il est bien parti pour rester affamé - c'est lui qu'on va dévorer.

Ô Bellamy ; par quelle partie vas-tu commencer ?
Est-ce que tu comptes me broyer tout entier, où te délecter de chaque membre que je te céderais, les uns après les autres ?

La porte s'ouvre précipitemment et Duke sent son coeur bondir, avant d'être ratatiné par une force extérieur. Il plaque son poing contre sa poitrine et se plie en deux. Il encaisse, dents serrées, la douleur, pour ne pas la laisser le déformer. Le coup de pied dans le ventre lui arrache un premier cri étouffé. A celui-ci s'ajoutent les ricanements dérangés que Duke siffle entre ses lèvres. Le rire soulage ; la folie sur tous les étages.

Couché, qu'il lui dit et Duke explose de rire ; il se roule au sol ; rampe comme un animal soumis à un stress intense. Sur le dos, il observe Bellamy d'en bas. Le regard est écarquillé et les pensées, elles, bien éparpillées. Il ne sait plus à quoi s'accrocher. Duke contemple, impuissant, la beauté de sa défaite.

Oui... Il souffle, insolent.

Oui, je te crois capable de devenir le monstre que tu veux combattre
et j'ai grand hâte !
grand hâte que tu me rejoignes, dans les tréfonds de la démesure... qu'on s'unisse enfin dans le tartare.

Le doigt arraché lui coupe la respiration - il croit que son hurlement aspire les autres sons ; car il n'entends plus rien pendant quelques secondes. Le sang gicle et se répand sur le sol, tâche la pureté du Ceadas de leurs péchés. Duke ramène sa main mutilée à son visage et se permet de glousser, alors que la réaction naturelle du corps lui impose de pleurer. Des grosses larmes de crocodile coulent abondément sur ses joues sales ; Duke rit. Il ne sait faire que ça, qu'importe la nature de ses émotions.

Est-ce que j'ai... bon goût ? Aaah... Bellamy.... fais-moi mal...

Encore ;
encore ;
encore.
Que ça ne s'arrête jamais !

Tu reviendras ? Me voir ? Pour me dévorer tout entier ? Allez, arrête de jouer... tues-moi... tu en rêves.

Et Duke rêve aussi ;
de remporter la partie.

Dégoutant. Duke est dégoûtant. Il accepte avec une certaine familiarité ce compliment qui n'en est pas un. Il se livre à son nouveau bourreau sans s'accrocher aux barreaux. Sa plaie ouverte le lance mais la douleur se diffuse dans le reste de son corps. Le sang coule abondamment, et s'écrase par flasque pour tâcher le sol d'une pluie écarlate. Duke puise dans ses forces et relève les yeux vers le visage peinturluré de rouge du fils de Dionysos, dépassé par sa propre folie. En a t-il seulement conscience, d'à quel point il est magnifique et désirable dans cette dynamique ?

Que je souffre... Il s'étrangle dans un gargarisme. Que je désespère... Il ne peut pas s'empêcher de ricaner et repousser l'ignoble vérité. Ce sont les mots d'un gamin qui n'a rien vécu.

Il se laisse tomber lourdement contre le mur de sa cellule, recroquevillé. Il enfourne le reste de sa phalange arrachée dans sa bouche et suçote, sans lâcher Bellamy du regard. Finalement, il l'écarte - un filet de bave s'étend entre sa lèvre inférieur et la chair à vif.

Tu as tellement grandi... je t'ai fantasmé comme ça... ah ! oui ! En Empereur ! J'ai tué l'Empereur ! Vive l'Empereur !

Mais Duke s'essouffle. Il se retrouve contraint de le tourmenter d'en bas, quand il rêverait d'être cette gargouille, perchée en hauteur à le narguer.

Reviens me voir Bellamy... Reviens, que cela devienne un rendez-vous sain...

Son regard écarquillé donne l'impression de supplier.

REVIENS ME VOIR !