Il n’existait qu’elle et l’Océan, les infinies de sable luisants et la lune d’ivoire au milieu de la mer d’encre. Chantonnant aux vagues, elle déambulait parmi les embruns pour recueillir le nacre. Ceci était son secret, le mystère qu’elle entretenait pendant ses disparitions car Mielikki aimait la liberté de ces instants.


Elle embrassait les joues des siens, nourrissait les chats lézardant sur sa terrasse, promettait à ceux voulant une promesse qu’elle reviendrait et elle fendait les vagues pour arriver sur sa crique. Devenir une loutre l’avait rendue libre, libre de ce qu’elle désirait faire et pendant des mois durant, elle avait appris à comprendre cette partie d’elle.

Au milieu des algues dansantes et des courants violents, Mielikki se sentait apaisée.
Car enfin, elle se sentait spéciale.

Agenouillée au milieu de son trésor, elle levait la tête quand l’un des nuages se découpait en forme d’homme.
La peur n’avait pas eu le temps de souiller ses pensées que déjà la solitude et la tristesse du monstre venait à son coeur.


Il marchait à grand pas vers elle, écrasant les petits miracles du temps sous ses pieds et de sa taille, ll la surplombait.


Quel cri silencieux hantait ses iris, quelle douleur tracée sur sa peau en ces sillons grossiers.

Son visage si proche de ses mains d’hommes, ces mêmes mains que Mielikki avait vu saisir en coupe le visage de Dionne.

Et elle se mettait à sangloter pour lui.


De joie

Car il était en vie.

De peine.


Parce qu’il était en vie.

Tant de souffrance amassée sous sa fierté et son port royal.

-J’étais là.

Les larmes comme une poussière filante d'une étoile de passage, elle pleurait car elle résonnait avec lui, pour lui.

-Je suis…tellement contente que tu sois là, libre. Que tu vas bien. J’aurai aimé que ton anniversaire soit mieux.

Elle ne le connaissait pas. Ne le connaissait que sous trop de prismes les souvenirs des amours de Dionne mêlés à l’horreur de ce qu’elle avait vu.

-Je te parle enfin, je m’appelle Mielikki, tu peux m’appeler Miel.

Car elle devait se présenter.

 

Elle savait qu’il était, Mielikki connaissait ses légendes comme elle connaissait les cratères irréguliers de la terre après la pluie. Mais elle s’inclinait aussi, recevant son nom dans son cœur comme il avait reçu son existence dans ses souvenirs.

-Enchantée.

Mots à la sincérité trébuchante et elle plissait ses lèvres, tiraillée de dire ce qui s’était passé avant de baisser la tête, un soupir long vidant ses poumons.


-Je n’ai pas beaucoup aimé aussi, tu aurais dû avoir un gâteau et plus de joie.


Il continuait à se débattre contre lui-même, électricité naissant de son corps éreinté. Et elle le regardait, mains logées contre ses joues pour faire tarir ce regard trop humide.


-Moi ? Un cadeau ?


Le choc balayait sans force ses émotions, elle habituée à être là une pièce du décor devenait soudainement cette princesse mélancolique et désirée. Celle dont l’affection était en soi et pour l’infini la récompense des héros.

Il était sérieux, elle le ressentait au fin fond de ses tripes, cet air de petrichor qu’il émanait. Alors doucement, elle baissait ses doigts, relâchant l’élastique cerclant ses cheveux et elle lui offrait cette tête, ces mèches en pagaille à sa main massacre.

-Fais le autant que tu veux, si cela t’apaise. Je dois sentir la mer pardonne moi, je viens de la traverser.

Et elle voudrait lui demander si elle pouvait lui faire des tresses, qu’il mange la confiture et la brioche qu’elle avait emporté et qu’il lui parle des choses le rendant heureux. Mais cela n’était pas son heure d’être inquisitrice.

 

La déception avait cette couleur d’un automne maussade, d’une dureté triste comme le ballon écarté de la main de l’enfant par le vent. Mielikki comprend trop tard s’être trompée,que le bruit des vagues l’a dupé. Trop habituée à donner d’elle, elle n’attendait pas à ce qu’on se donne à elle.

Il disait aimer la mer et elle voulait lui demander s'il aimerait rester ici pour toujours, un feu dans le sable et à dormir jusqu’à que les douleurs s’étiolent.

Alors quand il se retirait d’elle, retirait sa main tendue vers sa tête, elle venait à lui. Tout petit face à sa misérable existence, elle venait entrelacer ses doigts entre ses mèches. Frotter tendrement comme elle se rappelait que Maman lui avait fait, ses mots d’amour retenus derrière la barrière de sa langue. Elle voudrait lui retirer de ses doigts la peine et la peur mais elle ne fit rien, laisser les souvenirs s’accumuler sous sa peau.


-Pardonne moi de ne pas avoir compris, je me suis trompée.

Cela était vrai, elle s’était trompée.

-Si tu as faim, j’ai de quoi manger. Je n’ai ni demi dieux ni viande, ma religion me l’interdit. Mais j’ai de la brioche, de la confiture, j’ai du temps aussi.

Coinçant ses mèches sous ses jointures, elle faisait courir les vallées de sa main contre son crâne.

-Je resterai, ne t’en fais pas. Je n’ai pas peur de toi.

Et par ces mots, elle rentrait en lui. En ses souvenirs éparpillés, en tout ce qu’il cachait derrière ses yeux d’angoisse. Elle en devenait tremblante, éreintée, fracassée, cette douleur comme un corps ne devait jamais subir, ces lames argentés dans une chair trop tendre, faite pour vibrer et bronzer.


Les mots d’Ange lui paraissaient presque lointains, dissimulés sous le voile blanc de l’horreur.

-Pardon…

Elle pleurait encore, l’eau de la mer fuyait par ses yeux. Sa main délicatement éloignée du cuir chevelu.

-C’est trop, c’est juste trop. Pardon Ange. Pardon.

Elle s’excusait pour tout le monde, tout ceux l’ayant offensé, tout ceux l’ayant tué.

-Je n’aurai pas dû… regarder. Pourquoi tant de violence Ange ? Laisse moi rester auprès de toi, je t’en prie.


A ses côtés, proches trop proches, leurs odeurs sursaturées ensemble. Suppliante enfant du foyer.

-Les monstres, les demi-dieux, les morts tout cela… je ne m’en soucie pas, je sais que cette guerre n’a pas de sens que les gens meurent mais… je veux pas que tu souffres.


Pour Miel, le monstre était homme, l’homme était monstre. Rien de tout cela devait faire sens.

 

Ses mots ne lui faisaient pas peur, sa voix était comme les vagues hautes, la lame dure et sévère émiettant les coques des marins.
Elle n’était ni bonne ni mauvaise, ni en colère ni triste, elle était et cela lui convenait dans toute l’horreur de sa nature.


Ange était une force de la nature, un être comme ça. Voilà peut être la vérité des monstres, ils n’ont plus besoin de cette nature simple et consuelle des mortels, ils ont la leur et jamais elle ne le comprendra.

Ses mains tremblantes se plongeaient dans la tendresse de sa cuisse, pour étouffer les tremblements, pour faire taire ce trop plein de tout dont Mielikki subissait les désires. Face à la mer, l’éternité aqueuse et paisible, Mielikki n’avait pas peur d’Ange.


Elle avait surtout peur que pour une fois, elle ne comprenne pas ce qu’il était.

-Sans doute oui, je ne peux pas comprendre. Tu as vécu des milliards de fois ce que je vivrai en une vie, je ne suis même pas de ton monde, je ne suis même pas née de vos Dieux.

Elle s’asseyait enfin sur le sable, laissant Ange dans sa posture courbée et avec la lune comme parure sur ses épaules. Enfouissant ses pieds dans le sable, la chaleur diffuse la fit sourire, c’était un bien paisible endroit pour mourir pensait-elle.

-Et alors ? Est ce grave que de vouloir te traiter avec l’humanité que j’ai ? Cela t’es égal Ange, très bien. Mais ça ne l’est pas à moi et je suis la juge supérieure en ce qui concerne ma réalité. Si je veux être triste qu’on ne te traite pas avec dignité et compassion, alors je le serai. Et je ferai en sorte de te traiter comme tu le dois, voilà mon serment.

Elle ne le regardait plus, renfrognée contre ses genoux, la mine vers l’horizon étendu. Elle se savait presque puérile, elle et ses grands principes mais sans cela, elle ne ferai que sombrer, se disloquer. C’était l’égoisme du miel, un égoisme doré et sans peine.

-Je reste aussi, je suis une Loutre tu sais, la mer c’est chez moi. Et non, merci de ne pas me tuer. Si un jour tu as faim, tu peux me manger, ça m’est égal. Chez Hestia, on mange bien.


Son sarcasme n’avait ni goût ni odeur.

 

Pouvait-elle concevoir la mort ? La chair détachée et flottante, gorgée de sel, gorgée jusqu’à la trame et pourtant vidée de la substance divine, l’âme.

La peur viendrait naturellement bercer son coeur car elle avait échoué à Sa loi fondamentale, la Vie, la Survie, la Reproduction mais pourtant, elle n’imaginait nullement la peur maintenant. Entre ses doigts, elle contemplait son visage presque trop humain. Caressant de son regard les traits forgés par les hommes, la pomme d’adam qu’il a dû arracher à des peuplades entières d’hommes, sa peau rosée contraste à celle jaunie d’un prométhée privée de son foie.

Mielikki posait sur lui les descriptions de la Mort pour éprouver son cœur, éprouver sa terreur à la réalité de son destin. Mais elle ne ressentait rien de plus que cette tristesse folle, volée à Ange, il ne restait rien. Il s’insinuait dans l’âme avec avarice, arrachant les lambeaux de sa raison maigrement suspendue. Elle appuyait son front contre ses genoux, inspirait une fois, priait avec l’expiration.

-Je ne crois pas. Je sais que je devrais avoir peur, Ange. Mais vu que je ne connais pas la situation d’être menacée de mort, je n’ai que des hypothèses à ce que je vais ressentir. Sans doute que je serai terrifiée, que je penserai à tous les gens qui vont me pleurer et que je vais en pleurer aussi. Peut être que je serai en colère ? Peut être que je serai heureuse que cela se termine. Donc à l’instant, je n’ai pas peur de toi, j’aimerai bien qu’on soit amis et qu’on fasse des choses d’amis avant que tu n’aies faim comme ça, le souvenir qui restera de moi, celui que tu veux emporter, il sera agréable pour toi.

Par delà les vagues échouées, la lune fantomatique d’un ciel trop large.

-C’est quoi le plus haut que tu aies jamais volé ? Tu es déjà allé près de la Ligne de Kármán ?

Elle voulait satisfaire sa curiosité avant qu’il s’ennuie d’elle et disparaisse comme un songe des siècles effacés.