tw//transphobie, meurtre, violences

1959 : l’histoire raconte qu’hébé s’était tant éprise d’un jeune homme qu’elle lui offrit un enfant. wenbin complétait si merveilleusement bien hébé que les familles voisines, percevant le nouveau-né entre les bras de son père, se demandaient combien de temps faudrait-il pour qu’il abandonne l’idée d’être parent. wenbin éleva pourtant primrose jusqu’à son dernier souffle, en père seul.

enfance : avec surprise que ça se passe. depuis la nuit des temps primrose c’est l’enfant joyeuse, celle qu’on croise sur le trottoir d’en face et qui dit toujours bonjour. celle qui aide les personnes âgées à porter leurs courses, la bienveillance même enseignée par son père que sa famille pensait incapable d’élever un enfant. trop bienveillante peut-être et ce n’est pas bien, car les plus gentils se font toujours avoir, sa grand-mère en tout cas le pense. primrose passe bien plus de temps avec celle-ci que son père lui-même, qui commence à s’enticher d’une jeune femme.

mais la mère de wenbin n’a pas sa délicatesse et elle limite bien rapidement toute les libertés de l’enfant. primrose restera telle qu’elle doit être, pas telle qu’elle veut être. alors on ignore toutes les perturbations qui débutent seulement. primrose est une enfant comme les autres, c’est son père qui divague. en fait, personne ne connaît primrose.

1969 : à l’âge où les capacités se réveillent, celles de primrose restent discrètes. mais quand l’enfant rajeunit sa grand-mère suffisamment pour qu’elle en soit alarmée, elle sait qu’elle doit avoir une discussion avec son fils.

wenbin finit par avouer l’identité de la mère de primrose à sa propre mère, sans l’en informer. désabusée du secret tenu par son fils, elle décide de prendre primrose sous son aile, bien plus efficace comme mère que son propre père (elle en est persuadée) pour le moment, elle ne dira rien à primrose, elle attendra l’année suivante.

1971 : l’école est un calvaire mais les temps sont légers et l’air est doux. primrose vivra, dans tous les cas, parce qu’elle fait toujours ce qu’on lui dit tant qu’on ajoute c’est pour ton bien tu sais c’est pour ton bien primrose, quand ta grand-mère te coupe elle-même les cheveux alors que tu les aimais tant. ils étaient longs si longs. tu étais seule à les aimer ainsi, alors tu as seulement 12 ans mais tu aimerais en avoir 20.

1973 (14 ans) : nausikaa émerge à l’est de montauk. c’est hébé elle-même qui vient chercher son enfant, et c’est un premier regard presque rieur qu’elle lui accorde. qu’elle lui ressemble, malgré ses cheveux coupés n’importe comment et ce regard perdu. mais primrose comprend ce que sa grand-mère lui a raconté il y a quelques temps.

primrose voit son père une dernière fois avant de partir. elle aurait aimé qu’il puisse lui conter lui-même tout ce qu’il savait d’elle, qu’elle ne savait pas. mais il ne s’en rappelait sans doute pas. ils n’ont jamais été proches, alors à quoi bon.
primrose part à nausikaa le coeur battant, la tête débordante de question.
ce soir-là, sa mère la revendique.

1980 (21 ans) : primrose s’installe à nausikaa, au district de nomos. elle y mène une vie tranquille, sans trop de remous et se rapproche de ses adelphes, chez qui elle essaie de nouer des liens uniques. les nombreuses années passées à nausikaa ne sont pas vaines, et primrose se découvre. primrose fleurit. mais primrose se rappelle de ce qui est bien pour elle, comme disait sa grand-mère.

2013 (54 ans) : primrose se précipite à l’ouverture des portes de nausikaa pour prendre des nouvelles de sa famille, oubliant que malgré son éternelle jeunesse, les années ont bien passé. malgré la réticence de certains de ses adelphes, primrose décide de s’installer à new york pour renouer avec ses origines. elle trouve un appartement pour l’accueillir, puis bientôt un petit boulot dans un bar pas loin de chez elle.

l’année suivante, primrose rencontre isadora. une rencontre qui n’a rien de spécial en apparence, mais qui semble assez spéciale pour que les deux se revoient, encore et encore. une année de rendez-vous, puis deux. le temps file et rien ne semble pouvoir l’arrêter. primrose aurait pu passer l’éternité à ses côtés, simplement pour la regarder.

2016 (57 ans) : après deux ans de relation, ou peut-être juste un peu moins (car qui compte le temps) primrose et isadora s’installent ensemble dans un appartement plus spacieux pour y vivre une vie à deux. primrose oublie presque l’existence des créatures qui pourraient la dévorer et cela ne manque pas. mais quelques incidents fâcheux surviennent, auxquels primrose survit toujours. pour le meilleur et pour le pire.

2018 (59 ans) : à faire taire les questionnements qui ont toujours vécu en elle, primrose souffre davantage. c’est un cadeaux des dieux de vivre aux côtés de sa moitié, mais primrose meurt de ne pas avoir de réponses. qui est-elle réellement ? qu’a-t’elle prétendu être depuis sa naissance ? alors qu’elle se rend en compagnie d’isadora en boîte de nuit, primrose passe une bonne partie de la soirée à parler avec une personne qui lui ouvre totalement les yeux.

les mois qui passent sont un calvaire que primrose dissimule, puisqu’elle voit davantage sa possible transidentité comme un frein, bien plus qu’une évidence. plutôt qu’en parler avec isadora, primrose se dissimule via les réseaux, où elle trouve parfois des réponses. le soir où elle comprit enfin après des années de déni, elle pleura énormément.

puis, les temps ont changé brusquement. quand primrose a commencé à pleinement être qui elle était réellement, depuis tout ce temps. quand ses cheveux se sont allongés, quand sa garde robe s’est pigmentée de tout ce dont elle rêvait. elle souriait, mais en face, elle ne recevait qu’un regard plein de dégoût.
au fond d’elle, elle avait toujours regretté cet instant. l’instant où isadora la rejetterait pour qui elle était depuis tout ce temps. finalement, c’était comme si elle lui avait menti, non ? pourquoi n’avait-elle rien dit ?

isadora pourtant restait silencieuse. et un jour elle a craqué. un jour elle a hurlé, le soir même qu’elles s’étaient décidées de sortir. une discussion pleine d’incompréhension, pleine de mots trop durs à avaler, des mots que primrose n’a jamais oublié. des mots qu’elle aurait préféré oublier.
puis primrose s’est excusée, confondue en excuses. elle l’aimait trop, probablement bien trop alors elle avait pris la décision de moins s’aimer elle-même. alors le cercle vicieux a recommencé. le cercle vicieux a recommencé, mais isadora n’a jamais oublié, car isadora le savait.

2019 (60 ans) : primrose avait vécu tant d’années de déni que celle-ci lui semblait être un jeu d’enfant. un nouveau rôle dans une nouvelle pièce de théâtre. primrose arrosait les fleurs et prétendait, primrose cuisinait et s’assurait d’être toujours celle qu’isadora voulait qu’elle soit.

isadora savait. et à mesure qu’elle comprenait ses sentiments à son égard se sont envolés et la voir prétendre l’étouffait. isadora commençait à détester ce sourire qu’elle avait en arrosant les fleurs, en cuisinant et en prétendant que rien n’était jamais arrivé. isadora n’était pas du genre à prétendre, car elle n’était pas comme elle. primrose se souvient du jour où la réalité a éclaté comme du verre : je ne sais pas ce que tu penses être, mais reprends-toi car je ne t’aimerais plus si tu changes.

alors primrose n’arrivait plus à prétendre, jamais. elle a essayé, même si c’était ignoble, même si c’était tout sauf ce qu’elle était. même lorsqu’elle niait qui elle était réellement, isadora n’avait qu’un regard dur et les mots froids. primrose ne savait plus sur quel pied danser. et le soir où primrose s’est gouvernée d’une masculinité qui lui était si peu fidèle qu’elle donnait à isadora envie de vomir, le premier coup était déjà tombé. et ce n’était que le premier.

les fleurs ont commencé à faner. elles tombaient en lambeau, peut-être à cause de la chaleur, peut-être à cause du manque d’eau. mais en réalité, primrose a piétiné les fleurs, elle les a arraché, elle n’a rien fait pour qu’elles vivent plus longtemps. arrêter de prétendre, c’était tout effacer. arrêter de prétendre c’était accepter la réalité. le jour où primrose a embrassé pleinement son identité fut à la fois le meilleur et le pire jour de son existence.

la jupe trop serrée pourtant magnifique et les jambes longues, perchées sur des hauts talons. apprêtée et maquillée, elle se sentait bien. elle se sentait libre. et quand isadora l’a attrapée par le bras pour y poser des marques, primrose semblait totalement insensible à la douleur de ses mots, à la douleur de sa pression contre son bras. par chance bien plus que par malchance, sa silhouette naturellement plus musclée à surplomber celle d’isadora pour la faire tomber lamentablement dans les escaliers.

ce jour-là, primrose a contemplé sous les pétales de sa jupe les épines se dessiner le long de ses jambes. le sang qui affluait sur le mur qui se trouvait face à elle et la silhouette désarticulée de la personne qu’elle avait tant aimé. qui sait si primrose l’avait réellement pleuré à cet instant, mais encore des années après, elle continuait de dresser une table à deux assiettes, deux couteaux et deux fourchettes, deux verres, et à relancer cette même musique qu’elles écoutaient toujours.

actuellement : primrose est retournée vivre à nausikaa quelques semaines après l’incident survenu avec isadora. incident sans suite puisque le cas de la chute malvenue dans les escaliers était parfaitement censé aux yeux des autorités. malgré les évènements, primrose a continué de vivre en songeant que tout était arrivé pour une raison, mais sans jamais pouvoir vivre sereinement dans cet appartement. elle est encore aujourd’hui persuadé que isadora l’avait forcé à agir ainsi, et que c’était inévitable.