c'est le milieu de l'après-midi. comme l'hiver touche presque à sa fin, les jours se rallongent. le soleil frappe la fenêtre de ses rayons obliques, au-travers des rideaux à moitié tirés. c'est le milieu de l'après-midi mais ça pourrait être le soir, ou le matin - daniel s'est réveillé il y a peu, déjà tout habillé sur le canapé.
ça sonne à la porte. penché sur la table basse, sa paille entre le pouce et l'index, il relève la tête et se lève d'un bond, s'étire, se recoiffe d'une main. j'arriveeeee... soulagé de n'être plus seul.

il s'attendait à voir owl - ainsi il se surprend lui-même, sursaute et étouffe une exclamation stupéfaite en réponse au cri qui fait guise de salutation. woah- hey. un rire nerveux. ben quoi, tu m'reconnais pas ? il le dit en s'en amusant, bien sûr, comme l'hôpital se fout de la charité. il plisse les yeux, presque imperceptiblement, le temps d'un battement de cils. c'est bien owl : c'est le même visage, mais ce n'est presque rien sans tout le reste - le rose, le mascara, l'accoutrement, ces choses rassurantes qui, jusque-là, faisaient owl pour daniel. il sourit, puis renifle ; la sensation de brûlure dans son nez gagne le fond de sa gorge. uhhh... ouais, ouais, vas-y, entre ? y a personne. d'abord, rhys est parti. zana n'était jamais voué à rester ; hector, plus souvent absent que présent ; et puis, abel a déménagé. depuis, la coke traîne sur la table du salon entre les vestiges de repas.
daniel s'allume une cigarette. tu veux une bière ? il n'attend pas la réponse, s'éclipse dans la cuisine et revient avec une canette tout juste sortie du frigo. il lui met dans les mains en se rasseyant sur le canapé. alors qu'est-ce qui t'amène mon chou, j'te manquais trop ? il ne se fait pas d'illusion et demande pourtant, comme il l'a toujours fait, pour jouer l'assurance. daniel est beau maintenant : il a le droit d'être sûr de lui.

daniel écoute sans rien dire d'abord, le visage légèrement incliné vers celui d'owl. il échoue à comprendre ses aveux : pourquoi ne l'aimerait-on pas davantage, maintenant que son visage inspire le désir ? pourquoi ne le voudrait-on pas, aujourd'hui plus que jamais ? cette énigme le déconcerte et le frustre.
il donne l'impression de s'en amuser, le ton léger, pensif peut-être. j'suis toujours le même, t'en fais pas pour ça... ça t'plait pas ? entre ses doigts, une mèche des cheveux autrefois roses, maintenant noirs, qu'il étudie d'un air absent.

alors quoi ? il sourit. j'fais pas dans les devinettes chérie, dis moi, tu veux quoi exactement ? le ton de sa voix est monocorde et n'évoque rien ; son rictus est sybillin, artificiel. ce n'est pas qu'il se cache, non, c'est qu'il ignore ce qu'il retire de tout cela. ainsi il n'a pas la moindre idée de ce qu'il ressent. ses émotions lui sont autant d'exaspérants points d'interrogation.
est-il un dernier recours ? un amant médiocre mais pas oubliable pour autant, auquel on revient quand on ne sait plus trop que l'on convoite ? le désire-t-on convenablement, comme on désire d'ordinaire les objets de fantasme ? ou comme une idole, intouchable, lointaine, dont la beauté demeure toujours immatérielle ?

si j'veux bien d'toi ? son rire s'étouffe, se meurt dans un soupir. il ne refusera pas. voilà qu'il se penche déjà pour cueillir ses lèvres. il y passe sa langue et le goût qu'il y trouve n'est pas celui de ses souvenirs. cela lui inspire un vague malaise qu'il choisit d'ignorer. on lui offre l'opportunité, il la saisit, puisqu'on lui propose, puisqu'il le peut.
quand il se détache du baiser c'est avec nonchalance, le regard déjà ailleurs, posé sur la table basse où l'attendent sa bière et son prochain rail. j'te trouvais aussi bien, avant.
tout préoccupé qu'il était à déchiffrer le mystère de leur échange, daniel n'a pas encore touché à sa boisson. santé, sans conviction. la tête rejetée en arrière, il avale tout d'une traite, comme si ce n'était rien.