Précieux Martin est mort.
Les traitres sont traqués, arrêtés, condamnés. Nausikaa, autrefois paradis pour les élus et les rescapés - se transforme lentement en enfer personnel, pour un Pavel désabusé et désorienté. L'épée de Damoclès continue de le narguer, au-dessus de sa tête ; il peut enfin mettre un nom sur celui qui la maintient et la maltraite. Seraph Liu, au pouvoir. Seraph Liu, à qui il a confié son plus terrible secret, dans l'intimité des moires. Seraph Liu, l'incarnation magnifiée de son désespoir.

Dans les rues qu'il ne reconnait pas, Pavel trace un chemin tortueux. Il se sent seul. Johann collabore - Vivienne se rebelle. Il se contente de prêter sa loyauté sans en reconnaitre le sens. Il promet, oh... toujours il promet. Mais a-t-il seulement conscience du poids de ses mots, maintenant qu'il se retrouve bâillonné ?

Son rainphone vibre. Il se fige en voyant le pseudo de Seraph - se glace à la lecture des mots, soigneusement choisis pour le rappeler à l'ordre. Pavel enfouit l'appareil dans sa poche. Il revêt la forme du chien, fait fondre le tissu de ses vêtements en longs poils noirs et charbonneux. Ses petites billes sombres fixent un instant les passants. Puis l'animal se décide enfin à courir, à en perdre haleine, à longer les murs sablonneux de l'Agôn, à fouler le sol de marbre de Megas District, aux colonnes vertigineuses et démesurée. Tout est trop grand pour lui ; designé pour l'écraser sous les décombres de sa propre sanité.

((envolée))

Il grimpes les marches de l'Ecclesia, s'engouffre dans le dédale de couloir jusqu'à trouver la salle du conseil. Seraph a des allures de tyran, assis sur son trône de pierre.
L'animal bave un peu, essouflé par sa course effrenée. Il s'arrête au pied du siège, puis reprend forme humaine.

Pavel est déjà à genoux.
Pavel est désolé.

J'ai fait aussi vite que j'ai pu.

Il angoisse, car il ne se rappelle pas ce que son maitre lui a ordonné. Il ne sait pas de quelle nature sera fait la conversation - et vers quel destin Seraph compte le diriger. Il se surprend à le haïr, tout en étant incapable de ne pas l'adorer.

Désolé, qu'attends-tu de moi ?

Pavel est incapable de dire quand ça a commencé, mais l'image de Seraph Liu s'est brouillée au fil des semaines, des mois... Il n'est plus qu'une ombre effrayante qui veille sur lui, quand jadis il lui avait promis d'être plus qu'un allié - un alibi. Tout s'effondre quand Pavel réalise avec effroi qu'il a accordé sa confiance à un homme dont il ne connait visiblement rien ; ni la passion qui l'anime ni les travers qui le tordent. Il encaisse avec une obédience intériorisée, qui est propre aux chiens de berger. Il attend - un ordre, une remontrance ou une récompense. Quelque chose qui ait plus de sens que ça ...

((que rester à genoux à prier le roi))

Son sang se glace. Seraph pose des questions mais Pavel décèle les pièges déguisés, dont use parfois Vivienne lorsqu'elle n'assume pas d'exiger ce qui lui revient de droit.

N-non.

Une autre question.
J'ai tort ?
Et si Pavel voudrait démentir - non, il ne l'évite pas ; il ne peut décemment pas admettre que Seraph Liu se soit trompé. Il fuit, contourne, reformule dans la crainte qu'une colère fatale s'abatte sur ses maigres espoirs;

Je ne t'évite pas. Je patrouillais, comme tu as ordonné aux spartes de le faire. Désolé, j'aurai dû.... j'aurai dû deviner que tu me préférais ici.

Sa propre hypocrisie l'écoeure. Il déteste cette version de Pavel, égarée de son chemin de liberté ; piégée dans une cage dont il a lui-même avalé la clé. Frissonne sous les doigts du Grand, sur son crâne. Il force légèrement pour remonter la tête, et s'arme d'un courage presque suicidaire pour demander, au nom de ses affres :

Est-ce que... tu as changé d'avis me concernant...?

Concernant notre petit secret ;
et la confiance que je t'ai accordé.

Derrière le rideau de cils, Pavel ne discerne qu'un vide intersidérale - prêt à l'engloutir à chaque instant. Ses tripes s'emmêlent, son estomac se tord. Pavel a troqué la sérénité de son détachement pour une angoisse viscérale. Il pourrait vomir à ses pieds, s'il ne contrôlait pas à ce point (et désespérément) son environnement. Pavel se force à demeurer statue, les yeux fixés sur son maitre, la bouche entrouverte.

((Qu'est-ce qui pourrait mal se passer ?))

Dans la domination écrasante que Seraph exerce sur lui, Pavel y cherche une sorte de rédemption, de punition adéquate pour les péchés qu'il a commis - et que seul le chef des Spartes saurait lui faire expier ; dans une loyauté exacerbée qui ne faillit jamais.

Non. Je n'ai pas peur de toi.

Il joue à un jeu dangereux ;
mais n'est-ce pas dans quoi Seraph veut le pousser ?
Le problème est qu'il a beau chercher ; les règles lui sont étrangères.

Je-

Il force légèrement la prise pour retrouver le contrôle de ses mouvement, dans une grimace qu'il peine à dissimuler, et tente de se relever.

J'ai besoin de savoir où je vais... où on va. Si je peux continuer à servir ta grandeur ou si je vais finir mes jours au Ceadas.

Peut-être qu'il a peur ;
sinon - il n'aurait pas utilisé grandeur.

Seraph parle de confiance et Pavel inspire. Vivienne aussi, lui demande sa confiance. Johann aussi. Benedict aussi. Pourquoi s'entasse-t-il toujours aux pieds des puissants, pour finalement se rendre aveugle de leur grandeur ? Mais étrangement, Seraph Liu ne brille plus comme avant. Il s'est terré dans un amas de ténèbres qui terrifie le plus fidèles de ses chiens.

Je te fais confiance. répète-t-il machinalement, et pourtant il n'en est rien. S'il s'est conditionné à dépendre de lui ; ça n'enlève en rien la peur vivace qui grouille dans ses entrailles, à chaque fois qu'il croise son regard, qu'il cède à ses caprices, qu'il tombe à genoux, qu'il rassure ses artifices. Je te fais confiance... qu'il enchaine une dernière fois, pour achever de se convaincre.

Il n'y croit pas.
Qu'est-ce qui le retiendra, cette fois ?

Pavel se lève dès que Seraph lui en donne l'ordre. Il n'exprime rien de plus qu'un visage fermé, ravale sa douleur et sa rancoeur. Il se tient droit - dépossédé de son libre-arbitre. Pavel préférerait patrouiller pour son Roi que de risquer de lui faire de l'ombre. Il y perdrait sa tête. À coups sûrs.

Le sous-entendu achève de râper sa patience ! Il se tourne vers lui, désabusé par son rôle.

Bien sûr ! Ne t'ai-je pas prouver ma loyauté, depuis que j'ai rejoins tes rangs ?!

Il a l'air désespéré, porte le poing à sa poitrine. Il étouffe !

Je ne te trahirai pas. Mais je-

La suite aurait dû venir naturellement, mais il en perd ses mots ; sa raison. Seraph était sa maison. Aujourd'hui - il a perdu la chaleur de son foyer et du sens à ses idées.

Excuse-moi, c'est stupide. Tout ça... c'est stupide. Je te serais plus utile dehors.