Tu quittes la clinique en tant qu'adulte. Tu ne retourneras pas à la colonie. Ton temps, en tant qu'apprentis, était définitivement fini. C'est étrange, sur le pas de la porte de ta chambre, tu ne sais soudain plus quoi faire. Où dois-tu aller ? Pourquoi faire ? Sur la dernière année à la colonie tu avais commencé à sérieusement planifier l'après mais depuis Duke, ce retour à la vie "normale" te semble presque surréaliste. Heureusement, elle t'attend. Tu l'avais gardé à distance. Contrairement à Lazare, tes proches avaient su respecter ta volonté. Tu souffles, jettes ton sac sur ton épaule, tournes la tête vers la chambre une toute dernière fois. C'est marrant, tu as l'impression de comprendre que l'hydre n'avait pas arraché que ton épaule ce soir-là.

Tu sors de la clinique, le soleil t'aveugle. Tu portes ta main à tes yeux, les laisses observer le ciel avant de se baisser sur l'horizon. Et tu la vois. Tu sens ton estomac se tordre d'une étrange façon. Elle a l'air prête à partir en guerre et tu te surprends à sourire, un brin timide. Elle fait un pas, elle te donne la sensation d'être une marmite trop pleine sur le point de déborder. Finalement, c'est son poing délicat qu'elle pose sur ton torse. Elle pleure, Diane.

Tu t'en veux. Tu n'aimes pas la voir ainsi. Tu aimes encore moi ce sentiment étrange, à mi-chemin entre la fierté et le soulagement, qui se propage quand elle te montre que tu es quelqu'un à qui elle tient. Tu l'observes quelques secondes avant de doucement passer tes bras dans son dos et de nicher ton visage au creux de son cou. Ses cheveux sentent bon.

— Hé.

Tu sens ses larmes contre ton épaule. Dans son ombre, tu luttes contre le picotement de ton nez et le tremblement de ton menton. Tu fermes les yeux, implore en silence ton père de te donner le courage d'arrêter d'être pitoyable.

— Je suis désolé.

Et ça te fait rire. C'est fou, après avoir senti le souffle de Duke contre ton oreille, tu aurais juré avoir trop peur pour rire de nouveau. Mais tu veux bien la croire. Non, tu veux la croire. Tu veux croire qu'elle ira braver les dieux pour toi. Ne serait-ce que pour venir t'en coller une ou te balancer tes quatre vérités. Tu as toujours eu besoin d'un ouragan pour apprendre tes leçons. Ce n'est que les cris des autres que tu trouves la volonté d'avancer, de changer. Tu renifles un peu dans son cou. Diane ta tendre amie que tu n'as jamais eue le courage de qualifier autrement.

— Je te fais confiance pour ça. Hadès et Thanatos n'ont qu'à bien se tenir.

Tu oses caresser son dos, maudis le papillons stupides. Quand Benedict te parlait d'amour, tu avais pour habitude de rouler des yeux. Tout ceci était trop mièvre, trop loin. Tu détestais ça, parce que Diane avait le pouvoir de te faire dire que, au final, c'était pas si mal.

— Je suis désolé. Je ne voulais que personne ne vienne... Bon ça n'a pas empêché Lazare de se pointer mais...

Tu te souviens la franche conversation que tu avais eue avec ton demi-frère. Tu te détaches un peu de Diane pour la regarder. Elle est belle. Tu l'as toujours trouvé belle. Soudain, il t’apparaît comme stupide de l'avoir rejeté. Si une personne pouvait bien comprendre, c'était elle. Lazare voulait que tu arrêtes de mentir, alors pour la première fois, tu ne ment pas.

— J'avais honte. Onze ans à m'entraîner comme un forcené pour au final pleuré à presque m'en pisser dessus parce que je l'ai vu. Je ne voulais pas qu'on me voie comme ça... Que tu me vois comme ça.

Tu glisses une main sur son bras que tu presses doucement. Est-ce qu'on lui a dit ?

— Diane, le monstre qui m'a attaqué c'était lui. C'était l'Hydre.

Et tu crois qu'il te cherche. Et tu crois, Bellamy, que tu ne connaîtras pas plus grande frayeur de ta vie.

Qu'est-ce que l'Hydre ?

La question te perturbe, quand bien même tu vois une certaine peur dans ses yeux. Tu crains de ne pas comprendre, tu cherches dans son regard une forme de sens, finis par baisser les yeux.

— C'est... La pire créature qui n'a jamais été engendrée.

Tu presses un peu son bras, retiens un soubresaut terrifié quand te reviennes le son de sa voix, son odeur, la chaleur de son souffle.... La mélodie qu'il chantait.

— Et je crois qu'elle me cherche.

Tu te sens mal à l'aise, planté là au milieu de rues pavées de blanc. Tu souffles lui prend la main. Tu serres ses doigts entre les tiens et désignes un banc, juste en face.

— Viens.

Si t’assois, c'est peut-être dans l'espoir de ne pas trop trembler.

— Le soir où nous sommes arrivées à la colonie... J'ai perdu le contrôle, tu te souviens ?

Vous n'avez que très peur abordée cet incident. Tu étais trop honteux, trop coupable et elle souffrait trop. Quelque part, c'est peut-être par ta faute que son frère est mort. Et tu es tétanisé à l'idée qu'elle t'en veuille. C'est pour toutes ces raisons et bien d'autres que tu ne veux pas admettre l'évidence. Tu ne la mérite pas, tu n'as pas le droit. Peut-être que les battements de cœurs agités quand tu la regardes est une malédiction du dieu des mers pour te punir d'avoir tué un de ses fils.

— Je crois que ça l'a rendu fou... Il m'attendait. Il a dit qu'il m'avait toujours attendu. Il a tout fait pour me forcer à perdre le contrôle de nouveau. On aurait dit un addict. Il est même allé jusqu'à voir ma mère pour me forcer à paniquer.

Tu fixes vos doigts serrés les uns contre les autres.

— Je suis désolé, je ne devrais pas te rappeler tout ça.

Tu passes tes pouces sur ses doigts. Diane à la peau douce. Tu sembles réfléchir, finis par lever les yeux vers elle.

— Est-ce que tu-

Et tu ne sais pas quoi lui demander, les questions sont trop nombreuses et se meurent dans ta gorge.

Est-ce que tu m'en veux ?
Est-ce que tu veux en parler ?
Est-ce que tu vas bien ?
Est-ce que tu veux que je te protège ?

Dieux, si ça pouvait être ton seul but, tu accepterais.

Tu ne sais pas comment lui raconter. Comment lui décrire la nuit d'horreur, l'expression de son frère, les cris de la nymphe, le rire de Duke. Si son esprit a fait le choix de la prémunir en lui imposant l'oublie, le tien à gravé chaque détail au fer rouge. Tu en cauchemardes assez pour ne pas le lui imposer. Tu lui envies l'oublie, Bellamy.

Alors plutôt que de partager, tu lui imposes de la protéger.

— C'est ça, oui. Il veut se venger.

Même si, pour toi, ce n'est pas tout à fait exact. Tu crois que tu préférerais ça, en vérité. Non, Duke, ne veut pas se venger. Duke veut te posséder. Comme un jouet pour lequel on a une fascination malsaine. Comme une bouteille de vin qu'on garde de côté pour une véritable bonne occasion. Il veut te tuer, c'est certain. Mais c'est la façon dont il veut le faire qui te terrifie.

C'est la main de Diane contre ta joue qui te fait revenir. Tu entrouvres la bouche, tu n'as pas souvenir que vous ayez été aussi tactile l'un vers l'autre. Tu presses la main qu'elle a sur ta joue, sens ton cœur battre un peu plus fort.

— Non.

Tes épaules s'affaissent.

— Je ne veux pas. En fait je...

Tu sembles hésiter, baisses les yeux une seconde avant de les relever.

— J'ai peur.

Maintenant que tu n'as plus les bons soins de ces infirmiers d'Hypnos pour t'aider à dormir, tu ignores si tu trouveras le sommeil ce soir. Tu ne veux plus le voir, tu ne veux plus l'entendre. Tu n'en peux même plus du rose qu'il porte. Heureusement, Diane préfère le bleu.

— Je ne veux pas retourner dehors. Je suis mort de trouille. Plus encore j'ai peur de te voir toi, Benedict ou quelqu'un d'autre confronté à ça. On devrait refermer les portes. Je l'ai dit à mon père, mais il a baissé les yeux et dit que ce n'était pas à lui d'intervenir.

Tu as peur de paraître misérable. Devant elle, t'aimerai plus te faire Achilles que Patrocle.

Soulagée et tu es toi-même soulagé qu'elle le soit. C'est fou ce que l'ego commande. Ça vient peut-être de ton père, cette prédisposition à s'estimer dans les yeux des autres. Tu cales ta tête contre la sienne. Si c'est normal. Si ce n'est pas grave. Alors peut-être peux-tu ne pas te sentir honteux.

Ils ne refermeront pas les portes, tu le sais. Après tout, la volonté d'ouvrir venez du père suprême et tu doutes que ta petite personne justifie d'écarter sa volonté. Pourtant, tu penses que c'est de la folie. L'Hydre n'est certainement pas le seul cauchemar ambulant qui rôde. Tu crains pour la cérémonie de la première sortie. Pour Lazare, aussi, qui tout fier t'as dit qu'il s'en irait vivre sa vie.

— Ils sont tous plus égoïstes les uns que les autres. T'inviter à sortir, alors que le monde regorge de monstre.

Et vos ambassadeurs sont fous. Tu aimerais en toucher un mot à Précieux. Est-ce qu'il entendrait tes réserves ? Est-ce qu'il irait porter ta voix ? Transmettre tes craintes ? Tu n'es pas certain. Assumer devant Diane était une chose, devant ton aîné une autre. Tu n'as jamais aimé paraître faible face aux autres enfants de ton père. Tu réfléchis, Diane t'interpelle. Elle te souffle un mot, le seul que tu entends vraiment.

— On ?

Tu presses sa main, te décales un peu pour la forcer à relever la tête. On. C'est quelque chose qui te plaît et que tu étais trop peureux pour ne serait-ce que l'évoquer. Mais elle le prononce d'elle-même. On. Vous. Comme-ci ça tombait sous le sens.

— On... Ça me plaît bien.

Tu sens ton cœur battre à tout rompre et tes joues s'échauffer. Vos doigts entremêlés, tu te prends à vouloir rendre le fantasme inconscient devenir ta nouvelle réalité. C'est que tu n'as pas de plan, maintenant. Tes projets d'avant sont morts au moment où Duke t'as mordu. Tu n'as rien, si ce n'est ce On. Tu fixes vos doigts, affrontes ensuite son regard.

— Quel genre de on ?

Le genre de On un peu fou où tu pourrais avoir le droit de goûter sa bouche ?

Au ne détestes pas Dionysos, tu détestes son inconscience, en revanche. En arrivant à la colonie, aux côtés de Diane, tu avais pris conscience que vos malheurs n'étaient pas extraordinaires et que chaque enfant présent, ici, avait eu son lot de tragédie. Les belles histoires étaient rares, dans votre caste, pour ne pas dire inexistantes. Or toi, tu as soif, tu crois, de vivre une belle histoire (malgré tout, la peur monte).

L'espace de quelques secondes, tu retiens ton souffle. Vos regards se croisent et toi, si jeune encore, pas encore à te démêler avec les ruines de ce que tu as saccagé, tu te prends à espérer, paniquer, peut-être les deux à la fois. As-tu été trop subtile ? Ne l'as-tu pas été assez ? Quoi qu'elle te dise, tu ne pourras pas la détester. Seulement tu as encore la marque de Duke à ton épaule (elle ne partira jamais) et tu n'es pas certain de rester digne si on te marque le cœur en plus de ça. Puis elle parle.

Dans un premier temps, ton visage se détend. Tu presses ses doigts, vous avez fait votre entrée dans cette vie ensemble. Elle dit que c'est flou pour elle, pour toi c'est limpide. Tu te souviens que vous étiez planté là, totalement figé à l'entrée de la colonie. Le satyre qui avait une main sur vos petites épaules. Tu tenais la main de Diane, tu fixais le sol, absent, de ta main libre tu grattais nerveusement, avec l'ongle de ton pouce le sang sur ton index. Elle avait raison. Pour toi, c'était pareil. Vous étiez une famille n'en déplaise à vos pères. Seulement, la famille que voyait Diane n'était pas la tienne. Tu grimaces.

— Aie.

Tu as le souvenir d'avoir vécu quelques flirts dans ton adolescence et leurs fins n'avaient jamais eu le mérite de noyer ton ego. Diane avait le pouvoir de le saccager avant même que quelque chose n'ait commencé.

— Un grand frère. Bien, bien bien.

Tu pourrais sourire, te taire. Après tout, ce n'est pas si mal comme rôle. Tu l'as regardes et sans comprendre d'où ça te vient, tu déclares.

— J'aimerais changer ça. Est-ce possible ?

La voilà, la folie du fils du dieu des vins.

— Diane, j'ai des dizaines de frères et sœurs, avec toi je veux être autre chose. Quelque chose d'unique.

Parce que tu n'aimes pas et ne veux pas partager. Vous êtes famille. Tu la regarde, vaguement conscient de sortir de ton personnage. Vaguement conscient de mettre un pied dans le vite, de commettre une folie, oui. La vérité, c'est que tu es tellement épuisé qu'avec elle, cette folie, tu ressens le besoin de la commettre.

— Sors avec moi.

C'est bête. Ça tombe sous le sens. Ça pourrait passer pour de l'assurance si tu n'avais pas les mains atrocement moites.

Tu ne sais pas. Il y a quelques minutes tu aurais été partisan tu fais de te contenter de sa présence, qu'importe ce qu'elle puisse être. Maintenant, tu te tiens là, le cœur battant à tout rompre, après avoir déclaré ce qui te semble être la chose la plus folle et insensée de toute ton existence. Pourtant, et à ta grande surprise, tu n'en regrettes rien.

— Est-ce que c'est ce que tu veux toi ?

Tu lèves ton regard vers elle et tu dois te faire violence pour ne pas les baisser immédiatement. Jusqu'à maintenant, ce genre de relation t'avait été simple. Ton cœur un peu en retrait, conscient malgré lui de céder à un plaisir passager. On se souriait discrètement, se frôlait avec tentation pour en silence s'embrasser et ça équivalait à la signature d'un contrat bancal qui finirait par se rompre car le cœur adolescent était inconstant et que, toi comme tous tes autres, vous n'étiez pas à rêver d'amour, juste de passion. Avec Diane, il a ce côté solennel, un engagement plus profond. Tu ne penses pas à demain, mais tu penses au fait que jamais ton cœur n'avait battu rythme plus soutenu qu'en cet instant.

— Tu m'es spéciale. Et ce depuis longtemps.

Tu souffles, entremêles maladroitement tes doigts entre eux.

— Tu me... Plais. J'aime t'entendre rire. J'aime te voir heureuse. Je me sens jaloux quand je me dis que tu pourrais un jour tomber amoureuse.

L'impression de confier un fait honteux. Tu n'oses pas te lever, finis contrôler les entortillements de tes doigts en soufflant.

— J'aimerais essayer d'être comme ça avec toi. D'apprendre à te connaître comme ça. Mais surtout, j'aimerais que ce soit aussi ton choix. Tu l'as dit, on est devenu ce qu'on est ensemble. Je ne partirai pas même si tu me dis non. C'est juste... Que je préférerais que tu me voies comme un homme que comme un frère.

Tu la suis du regard, s'accroupir, sage. Tu te surprends à retenir ton souffle, craindre la petite ta tape sur ta main pour te faire comprendre que rien ne se fera. Mais elle te sourit, Diane. Et tu ne respires de nouveau que lorsqu'elle ouvre la bouche.

— Oh.

Tu pourrais hurler. Tu ne fais que grimacer un sourire qui ne sait pas comment se placer. Toute ta joie contenue, restituée dans un tremblement de la main. Tu te veux pudique, tu ne sais pas comment gérer l'incroyable du moment. Tu as la vague conscience de vivre un instant formidable, le genre qu'on ne compte que sur les doigts d'une main.

— Et si on commençait par le début, pour une fois ?

Histoire de bien faire les choses. Tu te racles la gorge.

— Tu es libre, demain ?

Tu glisses tes doigts sur les siens, t'accroche à l'instant et à la promesse de cette banalité que les gens comme ta mère auraient maudit. Dans le fond, c'est tout de son dont tu as soif. De la banalité. Pour ne plus entendre le rire de l'Hydre.

Comme un adorateur à ses pieds, tu laisses ton regard suivre le moindre de ses mouvements, ton corps se tenir sage et ses mains encadrer ton visage quand tu aurais fui le moindre de ses contacts avec agacement pour n'importe qui d'autre. Mais c'est elle et tu ne sais que faire des battements agités de ton palpitant lorsqu'elle pause son regard d'une telle douceur sur toi.

— Je sais me montrer très convaincant.

Non. Oui. Tu tiens plus de celui qui impose que celui qui charme mais qu'importe. Tu te surprends à vraiment sourire. Souffle, entre tes lèvres. Est-ce que tu vas inviter ton amie d'enfance en rendez-vous galant ? Ouais, carrément.

— Me fais-tu confiance, Diane ?

Tu te lèves avec lenteur. Elle tient toujours ton visage en otage, mais c'est désormais toi qui la domines de toute ta hauteur. Tu glisses tes mains contre les siennes, te penches un peu vers elle. Tu te souviens pas n'avoir jamais été si proche de ses lèvres.

— Laisse-moi te surprendre. Tu ne le regretteras pas.

Et, à cette époque, tu n'as jamais été aussi sérieux et de bonne volonté. Le lendemain, tu l'as fait rêver, tu as rêvé aussi. C'était, dans le fond, tout ce dont tu as avais besoin pour guérir. C'était du moins ce que tu croyais. Jusqu'à que, sept ans plus tard, tu la poignardes.