Depuis leur retour sur l’île, Hazel n’avait rien fait. Murée dans un silence dont la raison était plus qu’évidente ; elle n’était d’ailleurs, pas sortie de son bungalow. Personne ne lui en avait porté préjudice, car l’entièreté de sa génération ignorait les fondements extérieurs. Et si certains étaient eux aussi sorti après l’annonce de Zeus, la majorité s’était retrouvé bien plus chanceux.

Et elle avait fini par ignorer l’essentiel.

Si Hazel avait eu bien de la chance, au contraire de ses deux amis. Si son état physique n’avait été que minime ; les soins de l’hôpital des mortels lui avait évité l’infection. Et que le bandage présent sur son bras droit marquerait à jamais cet événement, l’enfant d’Apollon ne pouvait que s’en plaindre à elle-même. Responsable de la perte, responsable de la blessure d’Arden qu’elle avait entrevue lorsqu’on était venue les ramener à Nausikaa.

Elle l’avait ignoré, avait détourné le regard. Elle avait été dans l’incapacité de lui parler, de s’excuser. De chercher à se faire pardonner.

Parce que tout avait été sa faute, de les avoir suivi alors que la boule au ventre avait grimpé ; qu’elle aurait du leur clamer que ce n’était peut-être pas une très bonne idée. Qu’elle aurait pu leur conseiller d’attendre un peu, de savoir ce qu’il advenait dès autres demi-dieux qui étaient, eux aussi, sortie dans la précipitation dès que les portes s’étaient entre-ouvertes. Qu’elle aurait pu s’enfuir avec eux, éviter les attaques du monstre pour retourner en lieu sûr. Qu’en tant qu’enfant d’Apollon, sa voix lui aurait suffit à bien des égards, à le maintenir en vie.

D’innombrables solutions qui l’avaient hanté durant toutes ses semaines silencieuses.

Et pourtant, Hazel avait fini par trouver courage lors d’une visite de contrôle. Ses pas l’y avait guidé lorsqu’une infirmière lui avait demandé, avec une douceur incroyable « vous êtes venu lui rendre visite ? ». Elle n’avait pas su dire non et s’était retrouvée béante devant la porte close. Quelques secondes qui s’apparentaient à une éternité.

Le temps était passé et son poing serré avait finalement trouvé la force de toquer.

« Je n’ai pas réussi à venir avant. »

Hazel n’ignorait pas que la vérité était blessante. Qu’elle aurait sans doute mieux fait de se taire ou bien même de lui mentir ; d’inventer une excuse bidon pour exprimer pourquoi elle n’avait pas mis les pieds plus rapidement à la clinique pour être auprès de son amie. Hazel savait et pourtant, elle avait fait le choix d’être sincère. Comme avant, comme toujours car les mensonges n’apportaient jamais rien de bon.

Droite et impassible ; comme bien souvent. Hazel restait là. Sous l’encadrement de la porte, le regard qui n’arrive même pas a se déposer sur son amie de toujours.

« Arden… »

Elle voulait du fond du cœur te crier qu’elle était désolée, la seule fautive de cet événement passé. Mais elle n’ignorait pas que cela ne changerait rien à ce qu’il vous était arrivés.

A bien des égards, c’était en deuil que vous étiez.

Hazel n’avait jamais été la plus droit et encore moins la plus courageux. Pourtant son corps était statique, aucun de ses muscles ne semblaient trembler. Seul son regard était dévié, incapable d’observer, de regarder sa tendre amie dans les yeux – parce qu’elle savait, les bruits de couloirs et les infirmiers qui avait évoqué son état. Et elle savait que si ses yeux s’y déposaient cela marquerait pour toujours les événements qu’elle préférait ne jamais avoir vécu.  

« Je sais… »

Qu’elle s’en désolait ; elles venaient de perdre un ami commun et si la normalité voulait qu’elles traversent cette épreuve ensemble, seul Hazel avait la capacité de se rendre au chevet d’Arden. Et pourtant, elle ne l’avait pas fait. Elle l’avait évité jusqu’à aujourd’hui, plutôt que de l’aider et de lui tenir compagnie dans un silence dévastateur ou dans les larmes. Mais elle avait fait le choix de l’ignorer, de faire profil bas et d’espérer que peut-être. Peut-être quoi ?

« Merci. »

D’un murmure désordonné. Dénué de sens et pourtant, Hazel était convaincue qu’elle n’avait aucun droit d’entrer dans cette chambrée. Mais malgré tout elle semble hésitante, quelques secondes tout au plus avant de se résigner. Un pas – seulement. Elle avait tant à se reprocher que l’enfant d’Apollon avait besoin de s’approcher progressivement ; persuadée qu’elle n’arriverait jamais à atteindre de nouveau son amie. Et pourtant l’envie de courir jusqu’à son lit, de l’enlacer pour lui crier à quel point elle s’en voulait, à quel point elle se sentait fautive – de pleurer ensemble la mort de leur camarade, tout cela était si réel. Si sincère, sauf qu’étrangement, tout cela lui paraissait bien difficile : impossible.

« C’est… »

Un second pas, bien trop timide tandis que son regard ne quitte pas ses pieds.

« Tu n’y est pour rien. »

Qu’elle s’imagine que cela pouvait lui rassure. Les mots se perds car si sa sincérité est réelle, Hazel serait irritée d’entendre une telle justification.

« J’aurais dû vous dire que c’était dangereux et que ce n’était pas une bonne idée. »

Parce qu’elle y avait perdu ses parents, la dernière fois qu’elle c’était retrouvée en dehors de la presqu’île. Que tout ce système avait été fondé pour leur propre bien, pour leur protection. Car le monde était sale et qu’il était nécessaire de s’y protéger ; comme ses parents l’avaient fait autrefois pour lui éviter bien des maux. Et elle savait alors, d’expérience, que les caprices n’entraînaient jamais rien de bon.

« C’est moi, Arden. Seulement moi. »

Si il était mort, si elle avait été blessé. Tout était de sa faute et elle en était assurée.

Car une fois encore, parmi les trois, Hazel était la seule immaculée.

L’incertitude est fugace tandis que la crainte est instinctive – son inconscience qui mettait en évidence le pire, ce qu’elle avait l’impression de véritablement mériter. Alors lorsque Arden se lève soudainement, c’est d’un sursaut qu’Hazel exprime un pas de recul. Et dans sa réalisation, elle en vient à mordiller sa lèvre inférieure parce que l’enfant d’Apollon est conscient de son erreur, conscient de ses mauvaises décisions. Elle se rend compte qu’il n’y a plus aucune lueur dans toute cette histoire.

Enfant du soleil qui n’avait jamais vraiment été pétillant et qui, de part ce jour, ne le serait tout bonnement jamais. Tombée pour toujours dans la morosité et la noirceur, Hazel n’était rien de plus qu’un véritable nuisible. Pour son sang et pour ses semblables, pour ses amis et les personnes qu’elle avait aimé de toute son âme. Brisée par ce qui, dans ses pensées, ne sonnait que comme une malédiction silencieuse. Elle était anéantie et horrifiée et sa sureté s’était envolée.

Et pourtant, tout semble s’envoler (sans arriver à s’en pardonner) lorsqu’Arden lui intime silencieusement de s’approcher. Ses pas sont incertains, bruyants. S’asseoir à ses côtés semble être un tourment, mais un supplice qu’Hazel accepte entièrement parce qu’elle en était l’unique raison.

« C’est parce que j’aurais dû mourir Arden. Non pas avec lui, mais à sa place. Lui comme toi. Elle secoue sa tête de gauche à droite. J’aurais dû en être la seule qui… »

Et sa voix portait, d’un timbre qui indiquait une réelle assurance.

« Tu n’aurais pas dû être blessée, il n’aurait pas dû mou-disparaître. Pas ainsi, pas comme ça. »

Car contrairement à ce qu’il c’était produit il y a de cela treize ans, Hazel avait enfin compris. Elle avait envie d’y croire, parce que rien ne lui semblait plus logique.

« Pas vous, mais moi. Parce que je suis incapable alors pourquoi vous- ? »

Et sa voix ce brise en mille éclats, parce qu’elle avait l’impression de leur en vouloir à tous les deux d’avoir tout fait pour la sauver.