Le clan est ta famille (ta propriété). Ton petit royaume dans lequel tu aimes briller. Tu es exécrable, mais qu'importe si tu te fais dieu clément et juste envers eux. Alors tu sors et tu parles avec eux. Tu aimes sincèrement cette notion de groupe, cette idée de clan. Un bataillon fier, uni par la loyauté et le respect. La quintessence de ce que ton père, tu le sais, approuve. Et pour certains de tes subordonnés, tu as presque réussi à ressentir une affection particulière. Tu as tes chouchous, bien loin d'être neutre, bien loin d'être juste, en vérité. Parmi eux Sohel est probablement ton préféré. Pourtant bien plus âgé et grand que toi, mais on ne le redira jamais assez : tout est cruellement petit face à toi.

Quand tu débarques au point de rendez-vous, tu le découvres déjà attablé, un verre à la main. Tu fais signe au patron, appelles une bière brune, la plus forte qu'il est. Tu te cales sur le tabouret à côté de lui. S'il te tape sur l'épaule pour lui dire bonjour, toi tu le gratifies d'une claque à l'arrière du crâne et d'un rire sonore.

— Sympa, j'ai cassé la gueule de ce fils d’Apollon à l'arène. Ça m'a fait les dents. C'est cool que tu bosses pas ce soir et demain, on va pouvoir veiller tard.

Tu lui adresses un sourire entendu. Pour renforcer votre unité et votre camaraderie, tu as pris l'habitude d'emmener tes favoris en descente. Des nuits de cris, de jeu, de folie, de chaos. Tu tiens l'emprise en donnant à tes frères et sœurs de Clan le sentiment de faire partie d'un tout, d'avoir au sein de votre famille une place privilégiée. Vous êtes, à votre propre façon, une fratrie. Ce soir, ça ne sera qu'avec Sohel mais tu t'en fiches. Tu as hâte de laisser l'adrénaline vous conduire. Mais d'abord, tu dois boire.

— J'ai notre programme pour ce soir, Sohel et il tient en deux mots : Até et Justice.

Tu sors ton iris phone de ta poche pour ouvrir une page internet et lui montrer l'adresse d'un pub à l'allure sordide.

— De ce que je sais, un petit groupe d'Hécate et de Némésis se réunirait ici. Et de ce que j'ai entendu dire, ils ne seraient pas contre nous faire la peau. Voilà pourquoi, je pense qu'on devrait commencer par leur rendre une petit visite de courtoisie, histoire de se présenter et leur faire passer le message, t'vois ?

Tu lui souris, comme-ci tu n'attendais aucun refus de sa part.

— On doit protéger nos cadets, tu comprends ?

Les nouveaux sont vulnérables. Tu t'en voudrais, en tant que second, que vos frères et sœurs d'armes paye la témérité de quelques sous-demi-dieux rageux.

— Je vois qu'on parle le même langage, Sohel. C'est bien

Tu esquisses un sourire. Cecil peut se venter d'avoir un chien bien dressé comme Ellair à ses côtés, mais ça n'égalera jamais ce que la fraternité du Clan t'apporte. La camaraderie est une valeur qui te parle te transporte. Sohel n’obéit pas parce que tu le manipules ou parce qu'il te craint. Sohel obéis parce que vos essences résonnent en parfaite harmonie. C'est bon. C'est grisant. C'est à tes yeux la preuve que tu vaux mieux que ton frère. Toi, on t'aime. Et toi, tu aimes être aimé.

À peine ta bière fut-elle arrivée que tu en descends la moitié.

— L'Até, tu vois, c'est comme une bouteille de bière qui a été trop secouée. Tant que la capsule la maintien fermée, tout tien en place. Mais si tu la soulèves et laisses le gaz s'en échapper.... Pshh! Ça déborde. Or, ça ne doit déborder que lorsqu'on l'aura décidé et d'une façon qu'on aura choisi.

Ezra te demanderait pourquoi l'Até ? Ezra te demanderait pourquoi tout ça ? Le simple fait qu'il pose la question est stupide. Sohel, lui, comprend et approuve. Tu te penches un peu plus en avant tapote sur le bois de la table.

— Cecil a son nez dans l'arène, ce qui veut dire que les Olympiens aussi. Alors on ne peut pas laisser l'Até nous filer entre les doigts.

Aucun n'a conscience que votre combat est primordial. Un parjure que le pouvoir en place se fasse appeler comme le mont des dieux alors qu'il bafoue la tradition, votre première raison d'exister. Fier tu bombes un peu le torse. Tu te sais investi d'une mission sacrée, une mission que, tu le sais, votre père approuve.

— On se bat pour sauvegarder un mode de vie ancestral, mon frère. Nous sommes un peuple de guerrier et de héros. On ne doit pas les laisser nous faire rentrer dans le moule tu comprends ?

Alors si vous allez casser la gueule de quelques Hécates et Némésis, c'est autant pour ne pas vous laisser mollir que pour leur rappeler ce qu'ils sont et ce qu'ils se doivent d'être. Tu finis de descendre ta bière, d'une traite avant de te lever.

— Seraph m'a confié une mission et on va la mener à bien. Allons rendre visite à nos amis de l'Até district.

Sohel t'écoute, bois tes paroles. Si tu respectes, dans le fond, profondément Seraph et Leon en recherchant leur approbation, Sohel, tu l'aimes. Il est loyal, sage pour toi. Tout ce que tu apprécies chez un soldat. Et dieu sait comment ton affection naît de l’obéissance. Alors tu l'aimes, Sohel. Tu dirais même que c'est celui que tu aimes le plus. Tu poses ton verre, grisé par l'idée de faire rugir ta voix, de te gorger, encore, de ce sentiment de beau puissant pour lequel tu respires.

— On y va.

Tu passes ton bras dans son dos et agrippes son épaule. Ton rire résonne dans tout le bar et tu quittes les lieux, t'es foutrement heureux.

Depuis le temps que tu y mets les pieds, tu connais l'Até comme ta poche. Tu sifflotes dans les rues, t'imposes clairement comme en terrain conquis. Tu surprends quelques passants baissant les yeux, tu surprends quelques filles te lancer un regard avant de glousser et d’accélérer le pas. Il est possible que tu aies conquis certaines d'entre-elles. Va savoir, tu ne tiens pas le registre de tes conquêtes. D'une tape dans le dos de ton frère tu désignes une des filles sur votre passage.

— Elle est mignonne, ça me fait penser frangin, tu me parles jamais de tes histoires de cœur. T'as pourtant du charme, c'est juste que t'es discret ou ça t’intéresse pas ?

Tu tires une moue, tapes ton poing contre son torse.

— Si c'est ça, tu sais pas ce que tu rates. Je te présenterais quelques minettes, des filles très sympas. Au moins que ton truc ce soit les mecs, je juge pas, je tape bien dans les deux.

Arrivé devant le bar, tu réajustes ta veste, fait craquer tes épaules.

— C'est juste-là, si tu veux pisser c'est maintenant.

Tu arques un sourcil. Ah ! C'est peut-être bien la seule chose que tu ne comprends pas chez Sohel. Les plaisirs de la chair sont un écho direct au plaisir de la guerre. Si votre père est l'amant de la déesse de l'amour, ce n'est pas pour rien.

— J'aime passer mes nuits en charmante compagnie.

Un bras autour de son épaule, tu glisses, comme pour le mettre dans la confidence.

— Ceci étant dit je ne suis pas partageur sur tout.

Il y en a un, notamment, que tu aurais du mal à refourguer à quelqu'un d'autre. Tu tapotes l'épaule de ton frère avant de t'éloigner. Tu en as trop dit, tu ne comprends pas bien toi-même. C'est que quand il s'agit de lui, tu es possessif.

La bâtisse devant laquelle vous vous trouvez est vétuste et malodorante. Le genre de bar sordide que tu aimes bien car on y risque pas de croiser des grands timides. Tu t'étires la nuque, fait craquer tes épaules. Songes que tu vas devoir te retenir et ne seras donc, au final, pas satisfait. Ces excursions sont comme un shoot que tu t'imposes. Salvateur sur le coup, criant de frustration ensuite. Car elles ne sont jamais suffisantes. Tu soupires, étrangement lasse, puis d'un coup tu défonces la porte.

Dans le bar, tu vois une dizaine de personnes. Des têtes rachitiques que tu attribues à des enfants d'Hypnos et quelques regards courroucés qui ne peuvent venir que d'enfant de Nemesis. Sur le côté, un peu en retrait, ça ne peut être que des enfants d'Hécate. Tu fais quelques pas dans le bar, le bois usés qui craque sous tes bottes. Tu balayes l'assemblée du regard, laisses un sourire passer sur tes lèvres.

— Camarades ! Bien le bonsoir !

Tu balayes l'assemblée du regard, laisses un sourire passer sur tes lèvres.

— Vous n'avez rien à faire ici.
— Oh, doucement ma belle on vient juste prendre un verre, hein ? Sohel, qu'on vient juste prendre un verre.

Tu t'approches et te penches sur elle. Plus grande que toi, n'empêche qu'elle se tasse.

— Vous l'état de ton bar, t'es pas en capacité de refuser deux clients, hm ?

Elle te jauge, les sourcils froncés avant de cracher.

— Rhum ?
— Bière.

Elle passe derrière le comptoir. Les autres occupants vous sont clairement hostiles mais qu'importe. Tu viens te poser au bar, fait comme chez toi. En tapotant des doigts, tu glisses volontairement fort.

— C'est donc ici le QG des révolutionnaires ? C'est miteux.

Tu te tournes vers Sohel, agrippes ta chope et en descends une gorgée.

— Hm, elle est bonne.

Tu t'essuies la bouche d'un revers du bras.

— Quand on m'a parlé d'une menace, j'imaginais un truc plus impressionnant, tu vois. À la place on a dix trous du cul qui refond le monde dans une ruine qui pue la pisse.

Un Nemesis, assurément, se lève déterminer à en découdre.

— Je vais me le faire !
— Non ! Arrête !

Un de ses camarades tente de le retenir mais c'est trop tard. Conscient, tu le laisses te porter le premier coup. La fille d'Hécate étouffe un cri, tu sens l'atmosphère changer, la peur prend maintenant le dessus. Ils ont compris. Même ton agresseur comprend. Son expression change.

— .... Je-Je suis désolé.
— Il m'a agressé, là, on est d'accord ?

Tu te tournes vers Sohel. Tu souris.

— Tss tss tss. Il a porté la main sur le bras droit du clan Sparte. C'est une déclaration de guerre, tu réalises ? S'en prendre à l'un de nous c'est s'en prendre au clan.

Tu te redresses, le type devant toi semble se ratatiner au sol à mesure que tu te lèves.

— Je-Je suis vraiment déso-

Ton poing s'abat sauvagement sur son crâne, son corps heurte le sol comme une poupée de chiffon. Tu souffles, termines ta bière.

— Sohel, on se les fait.

Vous êtes dans votre bon droit après tout.

C'est avec rire et fracas que tu te bats. Au premier corps tombé, la valse commence. Tu te jettes sur un second occupant, le renverse au sol pour, à califourchon sur lui, lui asséner un, deux, trois, quatre coups-de-poing au visage.

— OUAIS OUAIS C'EST MIEUX QUE LE SEXE PUTAIN !

Un second occupant se jette sur toi. Te renverse à peine. Tu l'enserres à la taille, pousses sur tes jambes pour charger tel un bélier jusqu'au fond de la sale ou te lui fait percuter le mur dans un cri.

Tu recules, un peu sonné, mais véritablement heureux. Tu te retournes, hurles. Alors tes adversaires s'effondrent au sol, le mobilier se retourne. L'onde de choc de ta voix vient saccager le bar. Tu passes une main dans tes cheveux pour les plaquer en arrière puis écarte les bras, extatique et exalté.

— QUI POUR ME DÉFIER ? QUI ?

Mais la bataille est terminée aussi vite qu'elle a commencé. Ceux qui ne sont pas au sol se sont prostré, tremblant, dans un coin. Tu te tournes vers eux, les encourages du regard mais, c'est surprenant, personne ne se lève pour t'affronter.

— Rooooh allez ! Vous êtes des durs ou quoi ? Non ? Personne ?

Tu laisses tes bras retombés contre tes cuisses, offre un regard déçu à Sohel.

— Ils veulent plus Sohel.

Tu soupires, traverses le bar pour te servir, derrière, une peinte.

— C'est con je commençais à m'amuser moi.... Qu'est-ce qu'on fait ?

Ça te désole. Tu poses un regard amer, presque triste, sur les corps assommés autour de vous. Les demi-dieux sont faibles. Les combats sans saveurs. Comment s'élever lorsqu'en face le challenge est si peu présent ? Tu es meurtri de voir votre race, pourtant héroïque, championne des dieux, en être réduite à s'entasser dans une ville crasseuse à s'affaiblir comme des petits vieux.

— J'sais pas, Sohel. Je crois que je n'ai plus envie.

Le nombre ne changera pas le problème. Tu pourras faire s'écrouler encore une dizaine d'enfants divins que tu n'en ressortirait pas satisfait. Tu observes ta bière, les sourcils froncés.

— Quand est-ce que nous sommes devenues aussi faibles ?

Tu tapotes du doigt sur le bois du bar.

— Même au clan... Ils parlent de paix, parlent de raisonnable. Ils n'ont rien compris. Nous sommes des demi-dieux ! Des héros ! Regarde la gueule des héros.

Tu désignes d'un geste négligeant de la main les demi-dieux étalés sur le sol.

— Ça me déprime.

Tu finis ta bière, fourres tes mains dans tes poches.

— Si papa ne nous apparaît plus c'est parce qu'il a honte. Regarde la brochette de tapette qu'il a pour gosse. À tout cassé on est quatre à valoir vraiment la peine. Toi, moi, Leon et Seraph. Et encore. Je me demande bien ce qu'il fout, Seraph.

Tu avises ton frère, sembles naître dans tes yeux une idée.

— Toi, tu m'es loyal. Tu es un digne enfant d'Arès. Tu me comprends, n'est-ce pas ?

Ta logique. Tes ambitions. Ta mission. Tu t'approches te penche légèrement vers lui pour souffler.

— Si viens un jour où je m'empare du clan, est-ce que tu me suivras ?