L'assemblée des ambassadeurs se termine. Chacun.e d'entre vous retourne vaquer à ses petites occupations - la plupart avec la naïveté des élus divins, d'autres se pavanant avec l'impression d'être au-dessus des lois (divines). Toi y compris. Tu ne fais pas exception à cette vague grotesque d'eugénisme. Le bout du talon frappe la pierre poli des escaliers ; une voix t'interpelle et tu baisses légèrement le menton vers la silhouette qui s'avance. Ton palpitant reste calme, crépite sous l'inconfort des petites flammes. Il te demande s'il peut échanger deux mots avec toi et tu plisses le regard, interloqué qu'il ait des choses à te dire à toi et non pas à...

Tu es le demi-frère de Dionne.

Tu lui fais comprendre sans détour qu'il te dérange, jetant des petits coups d'oeil pernicieux autour de toi à la recherche de l'ambassadrice d'Hébé - déjà volatilisée. Allons bon.

Je t'en prie, fais donc. Je vais marcher en même temps si cela te convient.

Et tu continues de descendre les marches sans forcément l'attendre. Il y a une aura méchante qui se dégage de chacun de tes pas. Le soucis étant Cecil, tu n'es pas sûr d'avoir envie d'être là.

Un type appelé Nikodem. Tu ignores d'abord, feins de ne pas comprendre, prétend ne pas reconnaitre le nom alors que tu le connais très bien. Tu as la fâcheuse manie d'étudier tes victimes.

Hm ?

Le fils d'Hébé continue et tu dois bien finir par t'arrêter. Toujours à la moitié des marches, tu ne regardes pas derrière toi la pente qu'il vous reste à parcourir. Tu le dévisages avec un mélange de curiosité et d'inquisition.

Inquiétant, tu dis. C'est amusant, vois-tu, parce que ce que je trouve inquiétant, pour ma part, est la diffamation crasse et le colportage de rumeurs. Si ce Niko- a quelque chose à me reprocher, peut-être pourrait-il venir m'en parler. Ou le reporter à son ambassadeur, qui aurait par la suite pu m'aborder.

Tant de mots articulés et d'énergie dépensée juste pour ne pas assumer. Tu le toises du regard à la vue de la cigarette mais vous êtes en extérieur alors tu n'as rien à dire.

Je me souviens de toi.

Déclaration sincère ou tentative basse de changer de sujet. Qui sait.

C'est une semi-victoire que le voir s'emporter. Tu comprends alors que l'agacement qui résulte de votre échange est une preuve que ça lui importe, au fond. Sinon à quoi bon faire le déplacement ? Tu vis littéralement pour l'attention des autres, Cecil, pour la bonne ou la mauvaise tant que tu existes. Dans les yeux d'Abel, très bien, tu seras cette figure toute-puissante et abusive qu'il faut faire choir de son piédestal. Si seulement tu pouvais l'écraser de ton pied, ah... Tu le faire tomber à genoux devant les marches pour avoir le privilège de le voir essayer de se relever.

C'est important pour toi, vraiment ? Si tu t'émeus si vite pour les causes déjà perdues, tu aurais dû faire de la politique. Je peux te recommander aux Olympiens, si tu le souhaites. Après tout, nous avons besoin d'esprit comme le tien pour diriger cette ville.

Tu aimes à rappeler subtilement que c'est vous qui êtes au pouvoir (pour l'instant) - quand bien même l'assemblée se compose de lâches, d'obséquieux et de cruels. On ne devient pas puissant en étant gentil et en serrant des mains. On ne devient pas roi en se faisant élire. La couronne tombe de la tête coupée de l'ancien souverain.

Tu t'en vas déjà ?

Que tu demandes à Abel, déjà prêt à te tourner le dos. Idiot. Il suffirait d'un coup d'épée pour qu'il dégringole le reste des marches. Qu'il doit être beau, tout en bas, tremblant de ses os brisés.

Ton pouvoir. Je crois l'avoir déjà vu à l'oeuvre. Il est très rare, non, parmi tes adelphes ?

Et tu chéris tout ce qui est rare.

Haha ! J'en aurais bien eu besoin à l'époque.

Tu désignes ta propre figure défigurée. Grignotée par les flammes de la cheminée.

Je me demande... comment est-ce que cela marche. T'es-tu déjà volontairement blessé pour t'entrainer ?

À sa répartie cinglante, tu ne peux rattraper un rire qui s'envole au passage. Faussement sous le joug de l'innocence et de la naïveté, tu portes une main à ta bouche dans un mouvement pudique pour contrôler ton hilarité. Rouvres les yeux pour le toiser - il semblerait que ton regard se soit mué en une seconde en un sentiment plus véhément. Il se moque de toi ; et tu n'es pas certain d'être capable d'avoir autant de dérision, Cecil. Rapidement, c'est la colère froide et sourde qui réagit à son impertinence.

Quelle position, même ?

C'est que le cafard de la colonie pense qu'il n'a rien à t'envier. Mais ils ont tous à t'envier ! Tous ! Bordel, mais le pouvoir est alléchant ! Que des bêtes curieuses ne puissent pas le convoiter te frustrent. Ils sont en soit, les plus libres de tous les esclaves asservis de cette foutue île. Des Dieux ils sont bénis, des Hommes ils sont affranchis.

Soit, soit..!

Tu agites la main à l'écoute de sa réponse - comme si ça n'avait pas de réelle importance. C'est ta manière à toi de te protéger Cecil. Qu'il n'en vienne pas à te faire regretter, à décrédibiliser tous les sacrifices que tu as fait pour en arriver là.

Tu préfères te concentrer sur ce qui t'intéresse vraiment. Même si, encore une fois, l'énergumène profite de la moindre occasion pour te descendre. Déjà que tu dois faire l'effort pour lever les yeux. D'ailleurs, tu remontes une marche pour être à sa hauteur.

Pourquoi ? Me reprocherais-tu d'être curieux ? Je peux adorer ce que je ne possède pas. Je peux admirer ce que je ne toucherai jamais. C'est le propre de l'homme.

Hm. Tu vas devoir t'en méfier.

C'est justement parce que je ne pourrais jamais en profiter que j'aurai aimé... le voir à l'oeuvre.

Tu étires un sourire glaçant et denté.

Tu pourrais peut-être m'appeler. Lors de ta prochaine occasion, alors.

Il n'a qu'à demander.

Tu es trop bizarre. C'est lâché avec tellement de naturel que tu en oublies un instant ton rôle. Tu laisses entrapercevoir une ouverture de vulnérabilité, trop confus pour rester digne. N'importe qui de normal aurait seulement rigolé, nerveusement ou pas - mais tu n'es pas n'importe qui et la normalité ne te sied pas. Jamais ne te siéra.

Moi ?

Tu papillonnes des cils, retrouves peu à peu convenance. La langue s'agite contre le palais, elle claque, gifle, s'y plante, caresse la voûte pour se rassurer. Tu ne l'aimes pas. Tu le détestes. Non, il te fascine. Tu refuses de laisser le soleil vous inonder. Recules de trois pas pour rester à l'ombre.

Si tu le dis.

Ta répartie s'est envolée, tu es heurté.

Tu as raison, peut-être que je me suis laissé envahir un instant par la curiosité. On peut aisément la confondre avec l'admiration.

Mais le voilà qu'il recule aussi, pour se baigner dans la lumière. Il a les traits de l'ange - rah ! C'est insupportable ! C'est toi l'ange,  l'ange de la guerre et de la déraison ; il n'est même pas ange de la déception, c'est dire à quel point il n'est rien.
A quel point tu dois détourner le regard et arrêter de le dévisager ;
arrêter de le désirer comme un convoite un bonbon.

Je vois que tu es dur en affaires. Tu proposes un échange, c'est bien cela ?

Qu'est-ce qu'un type comme lui voudrait bien posséder ? Ou découvrir, voir ?

Je ne suis pas frustré. J'ai eu tort de te témoigner de l'intérêt.

Tu es carrément frustré oui.

C'est bien dommage que tu aies été béni de ce don, si tu n'en fais pas usage. À quoi bon se régénérer si la plante de base est posée dans un coin, flétrie et laide ?

Tu lui tournes le dos, menton relevé.

Et toi tu es bête.