– From dumping and ditching your heart unto someone else and planning to live on like that That’s an imprudent thing to do That’s an indecent thing to do

C'est une de ces fins d'après-midi fades et claires, dont même le crépuscule ne veut pas - heure du jour indue, plate à l'horizon, tout juste bonne à être recouverte d'orange glacé et de rose dentelle. Deux pastels que je hais et que j'associe à toi.

Ton petit visage de poupée abandonnée trop tôt apparaîtra bientôt dans l'entrebâillement de la porte, et tu me salueras avec ce ton enjoué chantant et insupportable auquel je me suis habitué. Tes jambes nues, ou tes épaules ; à peine aurais-je passé le pas de ta porte que je serai assailli de ces odeurs de poudre et de printemps qui recouvrent les meubles. Peut-être attendu par les chiens, je ne masquerai rien de mon dégoût pour leur bête enthousiaste. Je jetterai un regard à la ronde, en prenant bien mon temps, le temps d'être écœuré - l'amoncellement des fragments de vie éparses, les couleurs coupées à l'eau, plastique, fracas, et les animaux... - et, en m'empêchant de trop respirer de cette atmosphère - la gaieté, la porcelaine, tout cela me dérange - je poserai sur la première table venue mes offrandes.

Mais avant de prononcer le moindre mot, je prendrai soin d'ôter mon manteau, de l'accrocher sans pli et j'ôterai mes chaussures, pour ne rien laisser de moi-même ici, pas même un peu de mon ombre.

— Bonsoir, Leïla.

Calme, une sentence.

— Je suis allé en ville. Je t'ai apporté quelques cadeaux. J'énumère ; mécanique, un médecin-horloger adepte du charme automate ; et chaque présent en rythme est sorti hors du sac pour être posé sur la table bien en ligne.

— Il y a du parfum, des boucles d'oreille, du rouge à lèvre. J'ai pensé que la teinte te correspondrait. J'aimerais que tu le mettes pour que je puisse te voir avec.

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Elle devrait être jolie.
Je sais qu'elle ressemble à une jolie fille - elle a le printemps facile et la belle saison lui afflue facilement aux joues. Je commence à la connaître ; elle a le rire carillon et la mélancolie diaphane. Ses humeurs de pluie tendent à recouvrir de leur rondeur amène le ban nuageux de ses attentions ; son odeur de chaleur et de poudre, le velours de ses ongles, l'ovale de grès défini de son visage, le marbre de ses tempes, la rosée de ses lèvres dont je devrais vouloir m'emparer - mais je ne l'aime pas. Non, je ne l'aime pas. Et je crois qu'elle ne m'aime pas non plus ; c'est bien la première fois.

— Il n'y a vraiment que toi que je regarde ainsi.

Je ne veux pas te toucher ; mais puisque le feu m'intrigue, comme tous les autres, je ne peux pas m'empêcher de vouloir m'y plonger ; car la demi-mesure est un mensonge de convenance, et la nuance est un mirage. J'avance sans trembler. Doucement, du bout de l'index, je te fais lever le menton ; mon pouce épouse l'emprunte satinée du philtrum. Eprouver le grain de ta peau me dégoute et me galvanise. Comme tous les autres, je suis attiré par les monstres.

— Attend, je vais le faire. Assieds-toi.

Sans un mot, mes caresses en suspend, je saisis le tube de rouge-à-lèvre. Couleur criarde, camélia suranné. L'odeur grasse des cosmétiques m'étourdit. Je dessine en rouge sur tes lèvres, en faisant exprès de bien dépasser. Je sais que tu dois être jolie quand même.

— Regarde-toi.

Laisse-moi te conduire par la main en direction du miroir le plus proche, et regarde-nous. Contemple la beauté de mon amour et la petitesse de tes prétentions sur moi. Le contraste qu'offre notre image ainsi dédoublée me fascine ; on dirait un tableau de fond de chapelle.

— Comment te trouves-tu ? Dis-moi. Je veux savoir.


Je veux vraiment t'entendre dire : je me trouve laide. Je veux jouir de ton appréciation. Fais-moi trembler.

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Et moi - moi, qui suis splendide !

J'ai posé une main sur ton épaule - sous mes doigts, je devine le satin tendu de ta peau, à la surface duquel affleurent les contours de tes petits os - comme les carpes viennent troubler l'inertie iridescente de la surface des eaux qu'elles hantent... Le contact - tiède, doux, viable - de cette membrane m'arrache un frisson. Et je me tiens là, élevé aux côtés de l'abjection humaine la plus charmante et la plus aimable que le monde ait connu - une infamie précieuse et translucide, dont j'ai choisi de troubler la clarté en la souillant de vernis rose - et je jouis des effets produits par la réverbération d'une telle acmé, car je me trouve, à ses côtés - plus intouchable que jamais. A nous autres, la réalisation parfaite du grotesque et du sublime ; et ce doit être en cet équilibre que réside l'ordre du monde. La beauté est faite pour être mise en perspective. Avant cet instant de stupeur parfaite, je n'en avais qu'une vague conscience.
Pour m'avoir permis de contempler à travers le verre brisé de ta difformité le prisme magnifié de ma propre splendeur - pour cela, Leïla, je te remercie infiniment !  
Je crois que je pourrais en pleurer ; baigner tes paumes impures de mes larmes et révérer ta piété artificielle. Je ne crains plus ton contact - je te considère désormais comme une sainte.

Maintenant, je t'ai saisis par les deux épaules pour te détourner de notre reflet - maintenant, tu peux me regarder ; non pas comme je te regarde, car nos deux images ne sont pas en rapport, et il subsiste entre nous deux la distance tracée au fusain de mon amour - il n'existe entre nos deux cœurs aucun axe de symétrie à relativiser, car mis en balance avec la fascination, mon amour, je crois - pèse plus lourd que le monde. Mais regarde-moi donc ; admire ce que je perds, vois la régularité parfaite de mon sacrifice, l'éclat travaillé de mon abnégation. Je pourrais aller plus loin ; je pourrais, si nos deux cœurs finissaient par se toucher, peut-être - mettre en sureté magnifiée mon amour ; je pourrais l'en rendre encore plus grand, d'autant plus suprême ; je pourrais le qualifier d'intimement universel.

— Leïla. Je suis penché au-dessus d'elle ; elle tient dans mon ombre.
Pourquoi me laisses-tu encore venir te rendre visite ? En réalité, je ne te distrais pas vraiment ; et les cadeaux que je te fais - ni toi, ni moi ne les apprécions. Je me trompe ?

— Tu attends que je finisse par te surprendre. Mais je ne répondrai pas à tes attentes - en revanche, je pourrais en contenter d'autres - des attentes dont tu n'as même pas encore conscience.

— Est-ce que acceptes ? De t'en remettre à moi.

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Nul ne peut connaître sa vérité, car nul ne peut en appréhender l'ampleur. L'objet de la discorde générale - que vous tous convoitez - ne saurait être compris de ceux qui n'expérimentent qu'avec leur sens ; l'empirisme étourdi, seul porté sur la matière, n'a qu'une portée aride. Les questions, les réponses - je ne prophétise qu'à peine. Je ne suis qu'un intermédiaire entre le monde et vous. C'est pour cela que je t'ignore ; vaine est la curiosité terrestre. Vaine est la curiosité des coupables que l'on a déjà puni. La curiosité n'est qu'un fruit théorique ; elle ne permet pas de déjouer le silence des bourgeons et on ne peut jamais la couler vraiment dans les fissures de l'intime porcelaine.

Je sais qu'en faisant pression du bout des doigts sur tes épaules - à peine ! comme l'on renfoncerait un unique bouton de nacre sous la peau, dans l'une de ces ouvertures verticales en forme de plaie appelée "nid" - tu pourrais t'écrouler et te briser en mille morceaux. Et ces morceaux, je les ramasserais alors - un par un, tel un artiste ou bien un forcené ; je les recollerais sans grand soin ; et j'apprécierais, je crois, les résultats d'une telle chimère. Oui, voilà ce que je devrais faire - rassembler tous tes morceaux.

— Ce n'est pas ce que je veux dire. Voilà ; du bout de l'index, je fais vaciller la boucle d'oreille - c'est un mobile, une luciole. Et ce rouge à lèvre - quelle couleur affreuse. Il ne te va pas. Qu'ai-je fait ? Il n'y a pourtant rien de plus intrigant que la laideur pure...
Pensais-je bien sérieusement être toujours capable de naïveté ?  

— Ce que je veux... du pouce, j'essuie à revers de tes lèvres les chutes de feutrine incarnat auxquelles se refusent toujours le patron de tes baisers.

— Cela fait un moment que nous nous voyons, Leïla. Je vois que je ne te plais toujours pas. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que toi, tu ne m'aimes pas ? Qu'est-ce qui ne va pas, chez toi ? Pourquoi est-ce que je ne rêve jamais de toi ? Pourquoi suis-je ainsi réconforté aux côtés de ta disgrâce, dont j'entrevois pourtant si aisément les fils ?

— Ce rouge à lèvre ne te va pas, dis-je tout haut. J'ai eu tort. Je dissipe les traces ultimes de mon erreur ; retenant mon souffle, pour ne rien respirer de ce qui t'appartienne, je t'embrasse.

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Et tout-à-l 'heure, lorsque je franchirai le seuil de ta porte - il ne restera de cet instant qu'un ou deux débris à peine diaphanes, indices fortuits d'une stupre polie depuis longtemps par la curiosité morbide.

Pas un bruissement. En moi la continuité uniforme de l'horreur - une plaine immuable, le dos courbé sous le vent, et dont la verdure sans revers distend ses perspective à l'horizon. Une immobilité propre au crime.
Avant cela, je crois que je prêtais à ta chair une certaine amertume ; je m'en figurais le grain parfumé, de la même manière que le profane jette au pied du mur tente vaguement - de se représenter la pulpe des fruits rassemblés en nature morte, avec cette désinvolture sacrilège qui caractérise l'intérêt artistique. Maintenant, je suis pratiquement choqué de cette fadeur persistante qui me reste sur le cœur, un fantôme...

Mais toi ?
Tu devrais me chasser d'ici ; tu devrais me repousser avec éclat. Et tu fais semblant de ne jamais m'attendre, et je veux tout comprendre de cette persistance indolore.

Avec mes deux mains - intolérable chasse aux papillons - j'attrape tes poignets . Pas trop fort. Non, Leïla - je ne veux pas te briser. Je veux comprendre la régularité à motif de tes caprices, la formule intègre de ta pureté un peu vaine, un peu revêche ; enfin, l'infamie en surbrillance de tes charmes, que je n'ai jamais connu à personne. Je ne serre pas trop fort ; juste assez pour te rappeler à la misère.

— Ne pleure pas. Tu es admirable ainsi, en l'absence de larmes.

Et je serre, juste un peu. Tu oublieras.

— Je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme toi. Je veux comprendre. Mais je ne te dirais pas quoi. Je ne te lâcherai pas si tu ne me dis pas de le faire. Dis-moi de te lâcher ; ordonne-le moi. Un mot de ta part - et je te laisserai tranquille. Un mot, et tu n'entendras plus jamais parler de moi. Et dans le cas contraire... C'est que tu acceptes ta propre infamie, et mon appréciation de cette dernière. C'est que tu reconnais ma curiosité comme une chose nécessaire et un agrément de ton équilibre. Choisis bien.

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Moi aussi, dit-elle - d'une voix de verre rauque aux angles polis  - une voix qui lui est propre, évaporée, en-tête aux rayons - je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme toi. « Je sais. »

C'est normal - je suis né une fois. Mon amour est né une fois. Les récits de naissance - la genèse, pourrait-on dire - sont nécéssairement artificiels. On les réserve à soi-même avant de les offrir au monde, lorsque l'on est assez conscient de sa valeur pour pouvoir s'en remettre au mensonge du papier.
J'estime que l'impureté de mon amour est incompréhensible ; et qu'à ce titre, les livres n'en sont pas dignes.
C'est une chose précieuse, intarrissable, que je ne tarirai d'ailleurs jamais - c'est une chose secrete, mais à demi, comme toutes les belles choses. Et je suis conscient de toutes ses parts.

Bien sûr, vous ne reverrez jamais quelqu'un comme moi ; assoifés d'évidences superbes, absorbés que vous êtes dans la recherche d'un idéal par reflet. Pour moi, c'est une chance. Je ne suis pas censé lutter à vos côtés - même si l'on se retrouve animal à part soi, malgré soi ; et avant que l'on puisse s'en rendre bien compte, on a du sang plein la bouche et il neige. C'est inévitable.

A choisir, il faudrait rester au milieu des bêtes. Mais je me vois te prendre par la main et t'éloigner de ces scènes de carnage ; que vais-je faire du satin tiède de tes paumes et de tes petits pas sur la surface de l'hiver ? Où vais-je les perdre ?  

— Il n'y a rien à comprendre. Je ne leur demande pas de comprendre ; à toi, je te l'ordonne. Ce serait dégradant. Tu ne devrais pas faire ça. Réponds-moi, maintenant ! - cette résistance me taraude. Elle me fera rester auprès de toi.

— Tu ne sais pas ce que tu dis.

Lâche - dans la langue des hommes, cela ne veut rien dire. C'est le chant des oiseaux filtrant l'interstice de la nuit au jour ; c'est un coup de fusil à blanc, une emprunte de pas solitaire dans la continuité entravée d'un chemin de campagne, c'est un fruit pourri convoité par les moucherons. Tu me dis : lâche, mais après tout, j'aime. Et je ne sais pourquoi je m'évertue à te dégager une saine place d'ombre sous le soleil.

—  Je vais m'en aller. Voilà - je laisse aller tes poignets, ta défiance. Je me dirige vers l'entrée. Tu aurais dû me répondre.
En passant mon manteau : « Tu peux garder ou jetter tout ce que je t'ai offert. Ce n'est pas une responsabilité. Par contre, je te préviens - je resterai près de toi jusqu'à ce que tu prennes une décision. C'est ce que je veux.

Je te le répète : il n'y a rien à comprendre. Ne cherche pas. Tu dois rester comme tu es ; il n'y a rien de plus important. C'est cette Leïla que je veux. »

Et voici mon ultimatum.