il y a une forme de confort - de ces voluptés qu'on ne trouve qu'au travers des plaisirs de la chair - auquel son corps ne s'habitue jamais, façonné par la douleur, restauré dans la discipline. si les coups de sang portent parfois le masque du désir, les enseignements d'épicure lui sont si lointains qu'ils se font absurdes et dérisoires. allongé sur ce lit trop grand et trop douillet, il ne connait la tranquillité qu'après avoir consumé le feu somatique (si précieux en est l'instigateur, il s'invente aussi remède).
au son de sa voix, les sens assommés réagissent immanquablement: l'échine frémit; le pouls chuchote aux tempes; la vague emporte l'âme.
je profitais du calme. comme il profite peut-être encore davantage de sa compagnie. dans l'ombre des cheveux lâchés, le regard s'égare sur le mur. le ton, monotone, traduit l'inespéré relâchement des nerfs.
la chaleur de l'amant s'accompagne d'une fièvre moins tangible, plus profonde : de celle qui tend à s'exprimer maladroitement par les mots.  c'était bien aujourd'hui.
parfois imprévisible, le fils de dyonisos sait se montrer digne de son père. seraph se met sur le dos avec l'intention de poser les yeux sur cet improbable soupirant. il lui est mystérieux, lui qui accroche sa rétine alors même que son penchant pour l'excès devrait le révulser. l'esprit retrace les lignes de ses épaules et de sa nuque, se dessine l'expression imaginée sur ce visage dissimulé. et sur celui de seraph, un semblant de sourire - manque de lui arracher son air morose.
qu'est-ce qui t'arrive ? puisqu'il est avare en louanges, il feint l'ignorance - lui qui se fait le même aveu en silence.
et puis quelque part, il veut l'entendre encore.  

la brise qui s'engouffre dans la pièce caresse sa peau sans la mordre - c'est qu'il est encore bouillonnant de leurs étreintes. d'un regard appuyé seraph cueille la cigarette du bout des lèvres, tire sur l'étincelle du briquet. ce geste, ils l'ont répété depuis leur rencontre, et toujours, le cœur se gorge de larmes et de pulsions animales. dans sa cage thoracique, il lui semble fait de plomb, lourd de plusieurs tonnes.
submergé par la violence de ce quasi-bonheur, il en reste pour l'instant perplexe - inévitablement sujet au réflexe pavlovien de l'âme accoutumée à ce déchirement. alors que les cils se font rideaux sur le regard et que celui-ci se détourne, sa main se glisse dans les cheveux clairs. tu me dis s'il te plaît maintenant ? comme toujours chez lui, les paroles ne suivent pas : tout passe par le corps. les doigts caressent le creux derrière l'oreille, descendent sur le tranchant de la mâchoire. étranger à cette patience dans laquelle il ne se reconnaît pas, il craint parfois n'être plus vraiment lui-même.
(pourtant toujours, inexorable et indissociable de sa personne - réprimée, contenue - la brutalité colore sa présence).

même sous l'injure, il se fait souple, entre somnolence et fièvre, la moue énigmatique et la lueur au fond de l'oeil. il ne se courbe ni se cabre, ne crache pas de venin: baigné dans le réconfort de cette promiscuité intemporelle, il trouve un certain repos. animal, il l'est, indubitablement - les nerfs, les muscles, le chair et le sang d'ordinaire dissimulés sous l'armoire de l'empereur sont mis à nus dans les affres de l'intimité. lui dont l'ego est toujours arc bouté, il se contente de ressentir et d'éprouver, d'effleurer et d'embrasser, souvent absorbé au point d'en être muet. parfois brutal, tant le corps entier est occupé à lutter contre la marée (relents des souvenirs adolescents).

au travers des volutes de fumée, le visage précieux revêt une parure fantômatique - pourtant si tangible, il parvient de ses lèvres à remuer les tripes, de son interrogation qui flatte l'orgueil à son souffle contre l'épiderme. à l'aube. c'est sans embarras que leurs regards s'égarent, se confondent à nouveau. si seraph se détourne parfois, c'est pour mieux s'y retrouver; il ne sait toujours pas bien ce qu'il y cherche.
j'ai à faire. et encore il oublie d'être loquace : lui faire part des responsabilités qui régissent son quotidien ne lui est jamais venu à l'esprit; plutôt que les mots, il habite les silences. sa main prisonnière résiste une seconde aux baisers, se refuse à dissimuler l'amant et séparer les visages : et c'est tout proche de ses lèvres qu'il expire la fumée - doux parfum d'une amère tendresse.
quoi ? je vais te manquer ? question rhétorique, sourcil levé et ombre d'un sourire, il oscille entre suffisance et pudeur. entre deux souffles, brise la distance d'un frôlement, ponctue la vantardise d'un baiser plus léger que l'air.
il pourrait lui dire qu'il va revenir, ou qu'il ne sera pas long. mais il aurait l'impression de se tenir au bord de ce même lac sombre dans lequel, une fois déjà, il a risqué la noyade.
suspendu hors du temps, il ne se préoccupe que des secrets perceptibles sous les paupières de précieux; c'est qu'il voudrait voir clair, mais les sentiments demeurent mystères qu'il échoue à déchiffrer.

entre les regards et la légèreté de leur quiétude, comme des mots suspendus entre leurs lèvres. la plupart du temps, il ne parlent pas; et quand ils parlent, c'est souvent pour ne rien dire.
accoutumé à l'inébranlable certitude, seraph trouve son nouvel exhutoire dans l'imprévisibilité de celui qui se livre aux excès : il se surprend à espérer lire en lui; s'imaigine le connaitre si bien qu'il en prédirait ses paroles. égoïstement, il se voit le mettre à nu.
mais il le connait peu. pris de court, il demeure comme statufié, les yeux d'un noir à l'intensité dévorante - gouffre donnant sur les tréfonds du tartare. ah, tu crois ça ? la question se veut sceptique, s'improvise cruelle presque malgré lui. dans la voix, un soupçon d'amusement. qu'est-ce que ça te changerait, exactement ? le rictus narquois et maquillé de suffisance se fait garant de sa pudeur - émotionnelle, seulement, charnelle, jamais. comme pour annihiler la réponse, l'empêcher de prendre forme, il s'empare de lui à nouveau, goûte les vestiges de tabac froid.
sur la nuque qu'il effleure si souvent du regard, sa main se pose - et dans la peau déjà marquée de sa ferveur, ses doigts s'enfoncent, comme pour le capturer. d'un souffle - d'aussi près, davantage une caresse - il pare son agressivité du masque de la tendresse. (ou est-ce la douceur qui se dissimule sous les airs de violence ?) je sais que tu ne peux pas te passer de moi. succombe à la fatuité, triomphe presque - s'il surjoue peut-être, l'air est sérieux à faire peur. ce n'est pas une raison pour dire n'importe quoi.
si les mots sont de bien futiles artifices, que sont les baisers ?
que trahissent les étreintes ?

peu de choses revêtent la légèreté nécessaire à l'humour : il rit peu, ne s'amuse presque de rien. alors non, il ne trouve pas ça drôle, mais plutôt naïf, déraisonnable, capricieux. et les caprices de précieux, il les excuse - plus que ça, il les galvanise, verse l'huile incandescente du désir sur le feu de ses excès. s'il déteste d'ordinaire l'insolence, il demeure, même en amour, digne fils du dieu belliqueux. (éveillé par les provocations douces comme amères.) je ne crois pas que c'est "n'importe quoi", dit l'amant, et seraph répond par la cupidité des mains qui glissent sur la cage thoracique, s'emparent de la taille. de son imposante enveloppe, il le capture. de son regard lascif, il enchaîne la sublime vision de ce visage penché sur lui.
parce qu'il n'a pas besoin de l'ordonner de vive voix, il lui intime par les gestes à se rapprocher : hume la fragrance de ses cheveux, le parfum de son cou. toujours, cette cupidité, qui ne lui laisse aucun répit - jamais il ne se refroidit, même lorsque la flamme vient d'être consumée. (cigarette coincée entre les lèvres) rien de plus, mh ? la poigne s'empare des cuisses, s'enlise dans le muscle avec fermeté. puisque l'orgueil enlise les mots, il lui fait ainsi gage de sa soif intarissable. mon monde n'a rien à voir avec le tien. il aurait pu le formuler autrement, si seulement faire preuve de tendresse lui traversait même l'esprit. que seront-ils, à deux ? faute de le savoir, il tente de l'imaginer - échoue. faute de l'imaginer, il l'invente. ce qu'il matérialise est à l'image de ce qu'il contemple : identique à cet instant, sans vagues et sans marées. l'âme forgée par la souffrance et la contrainte s'en accomoderait-elle ? tu penses que cela me satisfera ?
c'est involontairement qu'il enduit les propos de sadisme, presque sans s'en rendre compte. aux antipodes de cette implacabilité, le langage du corps rétablit la vérité qu'il ne se résoud pas à formuler : cette offre, il l'accepte déjà.

précieux ne se prête pas à l'idéalisme, ne prétend même pas feindre l'optimisme - comme par refus des promesses impossibles à honorer. il a sûrement raison. seraph, trop souvent, s'est abandonné aux serments solennels: à deux, nous nous trainerons dans le styx; à deux, nous saurons nous retrouver jusqu'aux tréfonds du tartare; à deux, nous plongerons dans ce lac à la surface immobile. à chaque cigarette tendue, à chaque coup de sang des coeurs qui battent à l'unisson, lui est rappelé le destin fatal de ceux qui s'aiment. sans promesse, rien de cela. mais qu'est la passion sans le martyre ? cet engourdissement placide, il ne s'y fait toujours pas.
retiré dans ces ténèbres qui n'appartiennent qu'à lui, il est imperméable à l'injure. oui, je t'emmerde. et je ne sais pas. peut être que je te demande ça pour te voir te démener, t'efforcer de me convaincre que tu me donneras tout, que tu te saigneras pour me combler. mais à peine la pensée formulée, il ne s'y reconnait plus. elle lui est déjà absurde, obsolète : ce n'est pas ce qu'il désire - pas de lui.
la main droite s'arrache à la chaleur de sa peau l'espace d'une seconde - écrase la cigarette dans le cendrier, puis passe derrière l'oreille, se perd dans les cheveux clairs. ok. plus de questions. ton monde, le mien. si tu veux. il l'attire, encore, le tire, rompt la faible distance soigneusement maintenue sans concession.
aux souffles entremêlés, il se dit qu'il pourrait s'y faire. aux corps confondus dans l'étreinte, il accepte à demi-baiser de se livrer. (seule expression de sa générosité, lui qui donne si peu en paroles, qui ne maîtrise que ce langage construit de sens, de chair, de nerfs, de muscles et de sang).

cessera-t-il un jour de voir en ce visage le monument d'une tendresse révolue ? en attendant, il s'y égare, s'abandonne au réconfort simple de ses étreintes. lointaine est la fébrilité candide des âmes profanes et des caresses inexpérimentées : marqués des innombrables passages, leurs corps n'inventent plus rien.
et pourtant, la tête qui repose au creux de son épaule lui inspire le réconfort ténu d'un lendemain d'orage. sous les balafres de l'enveloppe rafistolée, la surface lisse de l'aponie.
il s'évertue à les imaginer dans quelques mois, même juste quelques semaines ou quelques journées, et rien d'évident ne lui vient. c'est presque soulagé qu'il se fait ce constat; se dit qu'il est encore entier - qu'il n'a pas encore succombé aux déboires de l'amoureux.
lueur morne sous la paupière, c'est d'un air absent qu'il retrace de son index les motifs gravés sur l'épaule de précieux : accompagne les nuances de rouge et de mauve, les variations des morsures et les dessins d'ecchymoses (son oeuvre, surtout, mais pas seulement, constat qui ne lui inspire qu'une indolence perplexe. pourquoi ?)
dormir ? non. lui confier les devoirs et les cauchemars du moment ne lui vient pas à l'esprit, pas même sous la forme d'un fantasme. je dors mal de toute façon. il pourrait rajouter, toi, repose-toi, si tu le veux, je vais pas m'envoler tu sais, je te réveillerai, te dirai au-revoir avant de m'éclipser. futilités avortées en un souffle : je reviendrai. pas de promesse, pas de mise en garde, juste l'évidence inéluctable de celui qui renonce à feindre le détachement.