une maison de poupée

Arden avait un secret : elle aimait un monstre. Elle n’en était pas fière, mais elle n’en avait pas honte, car elle lui trouverait toutes les excuses ; elle le savait impur, mais elle l’était aussi. Pour lui, elle serait bien gentille, et elle apaiserait par sa tempérance toutes les querelles laissées sur le pas de sa porte. Iels avaient purgé le poison qui gangrenait leur sang à l’enfance et léché leurs blessures, ainsi, les coups qui avaient fait fleurir des anémones sur leurs peaux imparfaites n’étaient plus qu’un souvenir amer mais imprécis. Cecil avait son cœur parce qu’il était son parfait miroir : elle se reconnaissait dans cette chair imparfaite, la cicatrice, leur renaissance. Leurs blessures avaient été l’engrais de leur renouveau, et de ce terreau avaient fleuri des jonquilles et des crocus qui annonçaient le printemps. Arden avait haï Cecil et fait couler son sang comme il avait fait couler le sien, et pourtant, elle l’aimait : il était comme elle, incomplet.
Elle avait relu plus d’une fois ses messages, et ses colères gargantuesques et capricieuses étaient déjà oubliées sous la promesse d’un repas cuisiné : elle y lisait peut-être ses propres intentions, avec lesquelles il ne jouait que trop bien. Arden voulait racheter les péchés qu’elle n’avait pas commis auprès de cet astre impérieux, qui faisait peser sur ses épaules une déception qui l’écrasait. Elle avait préparé un gâteau pour s’absoudre de son crime : elle y avait mis du miel et de l’orange sanguine, dont le jus avait coulé rouge sur ses doigts innocents.

Cecil ne vivait pas très loin et le soir était doux, elle avait aussi acheté des fraises et elle espérait son offrande suffisante pour calmer sa peine. À l’heure des vêpres, le ciel était rose, et le vent portait une fade odeur d’herbe coupée. Arden avait sonné, ses bras chargés de présents, avec un sourire de sainte qui laissait voir ses canines à l’ombre du soir. La porte s’ouvre, et il apparaît dans un halo de lumière. Son regard bleu est celui d'un martyr, ses yeux à elle sont noirs, et leur tendresse de ne reflète pas dans les siens.
Bonsoir ! Ça me fait plaisir de te voir.
Elle entre, pour partager sa lumière, et touche son bras de sa paume tiède.
Désolée, je sais que ce ne sont pas les meilleures circonstances.

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une maison de poupée

Arden le trouve gracieux, comme ces astres autour desquels le monde entier gravite : c'est un dieu généreux dont les paroles sont une eau bénite qu'elle boit, assoiffée, parce qu'elle a l'honnêteté des justes et des naïfs (il serait cruel de mentir à une vierge si pure, qui n’a jamais affûté sa lame pour le combat de leurs idéaux). Elle voudrait lui demander : sauras-tu toujours me pardonner Cecil ? Elle avait jeté en pâture aux tourments de l’adolescence les crimes de Cecil à son égard, alors ils avaient disparus. Évaporés ! dans les méandres d’un oubli complaisant.
Avec sa chemise ouverte, il ressemble à un saint Sébastien imparfait et glorieux, sans plaies ni larmes. Pourtant, la piété lui irait bien. Face à sa peau révélée elle ne savait où poser son regard, alors elle regardait ses yeux, puis l’eau qui gouttait lentement de ses cheveux pour rouler sur sa nuque claire.
On peut commencer à cuisiner alors. Je vais t’aider ! Je veux pas que tu tombes de fatigue.
Il y a, dans ses yeux noirs, l’ombre d’un rire. C’était très doux, et elle n’était pas certaine de devoir l’offrir à Cecil.
Ça ne me dérange pas, ne t’en fais pas. Tu es chez toi, après tout.

Ce n’était pas la première fois qu’Arden s’invitait dans sa demeure austère ; elle lui aurait offert des fleurs, des jacinthes ou des lilas, mais elles n’auraient fait qu’entacher son foyer de leur éclat insolent. Le violet n’allait qu’à ses poings, et on ne fleurissait pas les cœurs de pierres. Il y avait pourtant, dans sa rigueur, la beauté marmoréenne de l’art classique.
D’accord, je m’en occupe alors ! Qu’est-ce qu’on cuisine ?
Sa joie dégouline dans la maison froide, elle ne voyait pas, peut-être, à quel point l’amour de Cecil était conditionnel ; ou peut-être le sien était-il suffisamment pétri d’abnégation pour équilibrer la balance. Sans le regarder, elle fait ce qu’il lui a demandé, sagement, gentiment, puis le silence commence à l’étouffer.
J’espérais que tu n’aies pas de message aujourd’hui, j’étais en congé. Ah ! je ne pensais pas que ça ferait autant de problèmes, elle cherche ses mots et prétend se concentrer une seconde sur les légumes, en fait, c’est un jour pour les ancêtres dans ma culture. J’espérais aller à New York pour visiter la tombe de ma grand-mère mais au final, j’y suis pas allé.
Ses mains sont froides à cause de l’eau, et elle ne sourit plus vraiment.
C’est un peu nul de ma part.

Elle se tourne vers Cecil, et le regarde à nouveau, mais il n'y a plus de tendresse dans son regard.
Voilà, qu’est-ce que je peux faire maintenant ?

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une maison de poupée

Arden n’était pas à sa place dans cette maison de poupée glaciale ; elle était vêtue de noir et, sous la lumière, sa présence ne faisait qu’accentuer le vide, comme une fenêtre ouverte sur la nuit. Elle trouvait absurde que sa propre austérité tranche autant avec la sienne, et il y avait dans le contraste quelque chose de biblique. Elle salissait de ses sourires la brutalité du foyer qui tenait du laboratoire plutôt que de l’alcôve : elle y ferait comme chez elle, car Cecil n’était pas celui qui en arrondirait les angles acerbes. Elle regrettait, finalement, de ne pas avoir pris de fleurs pour en couronner Cecil. Elle aurait choisi des camélias, ou peut-être des forsythias, pour résister à sa froideur.
C’est parfait. Merci de cuisiner pour moi.

Pour lui, elle voulait bien jouer les séraphines. Il y avait dans ses mots une honnêteté juste et claire, parce qu’Arden ne savait dire que ce qu’elle avait sur le cœur. Cecil n’avait qu’à lui tendre la main, et elle lui livrerait tous ses secrets sans résister : elle n’avait rien à lui cacher, elle vivait là, en plein soleil, sans rien laisser à la faveur du soir. Ce qui était à elle était à lui aussi, parce qu’il n’y a personne d’autre en qui elle aimerait tant se confier.
Ainsi, elle pardonnerait toutes ses maladresses, elle ne les verrait peut-être pas : elle regardait ses mains, longues et blanches, taillader la chair, et elle se demandait si elles étaient calleuses. Arden ne trouvait en lui qu’une rigueur qu’elle croyait adoucir, et dans ses paroles malhabiles elle voyait l’humanité qu’on lui prêtait si peu. Elle réalise qu’elle ne sait, peut-être, rien de lui ; à moins qu’elle ne sache tout.
Elle accepte la clémence de son haussement d’épaules. Arden avait appris, avec Cecil, à se contenter de peu ; parce qu’iels s’aimaient assez pour ne mentir.
J’aurais mieux fait de venir te voir, ça aurait évité beaucoup de peines.

Une seconde, leurs mains se touchent, presque, l’effleurement est bref mais Arden se souvient de sa tiédeur : elle aurait imaginé ses mains plus froides, et le découvrait alors comme elle, de sang et d’os. Elle avait toujours trouvé du réconfort dans les caresses, mais elle n’avait jamais touché Cecil (de peur, peut-être, de le découvrir fait de porphyre ou de grès), et leur amitié n’avait existé qu’avec la distance pudique de celleux qui vouent une haine amère à leur apparence. Arden aurait voulu saisir sa main pour vérifier qu’il était bien réel, mais elle ne dit que : Ah, excuse-moi ! pour effacer, enfin, de son esprit le souvenir de sa peau claire. Elle le regarde encore, il sent le lin et l'hellébore, et ses boucles blondes font sur son front une auréole : Arden le trouve beau.
Tu es sûr que tu ne veux pas sécher tes cheveux ? J'ai peur que tu attrapes froid.

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une maison de poupée

S’il lui promet de l’absoudre de ses péchés alors Arden peut cesser de s’en repentir : Cecil avait toujours le dernier mot, et s’il lui pardonnait, elle n’avait plus à jouer les Marie-Madeleine. Elle savait, peut-être, qu’il l’aimait bien sage, et elle se faisait gentille pour lui, parce qu’il partageait ses peines et ses colères. C’est sans malaise qu’elle accueillait ses sourires, parce qu’après tout, la voilà chez lui, dans ce silence d’église où elle avait trouvé sa place. Elle ne rirait jamais des amours de Cecil, ou peut-être avec candeur, parce qu’elle était illuminée comme une martyr, dans le soir, par la lumière électrique de l’ampoule de la cuisine. Sa bienveillance était sans angles, d’une rondeur que les lames peinent à transpercer ; ainsi elle se croyait capable d’obtenir les affections de Cecil qu’elle voyait angélique, comme elle, dans la brume de ses omissions. Arden ne voyait pas le manteau de mensonge qu’il avait tissé pour l’en vêtir, et se repaissait seulement de la douceur dont elle le sentait l’envelopper : ils jouaient si bien aux amoureux.
Tu aimerais que ce soit vrai, non ? Et pas la peine de me mentir !

Son sourire est clair et sans tourments : elle préférait, en toute pureté, entrer dans ses jeux qu'elle avait toujours cru innocents. Il y avait, avec Cecil, un apaisement dans l’ignorance, une douceur simple dans ses traits fins, beaux comme ceux d’un ange. Elle le regardait, appuyée contre le cadre de la porte, avec la familiarité de ceux dont la chaleur réchaufferait même les chapelles.
Je vois pas pourquoi ça serait de ma faute ! C’est toi qui m’accueille dans cette tenue, moi, je ne venais que pour cuisiner avec toi.
Ça lui allait bien de jouer aux justes, aux effarouchés : ses grands yeux noirs le regardaient sans détour, reflétant de leurs iris sombres sa figure christique. Il y a de la malice dans sa voix parce qu’elle sait s’amuser de leurs amours prétendus, comme sur une scène, pour effacer le trouble de la main tiède de Cecil qui avait touché la sienne.
Tu dis juste ça pour qu’après, je vienne te soigner.

Elle en rit encore, parce qu’elle ne saurait l’imaginer si fébrile, mais ils savent tous deux qu’Arden caresserait sans trembler ses cheveux d’or pour chasser la fièvre à son front. Pour elle, peut-être, il se ferait fragile : elle savourait cette image pour en ignorer la froideur.

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une maison de poupée

Elle prendrait comme acquises ses promesses de faux prophète : Cecil peut lui mentir, elle ne lui en tiendrait pas rigueur ! Elle le voyait, peut-être, trop semblable à sa propre personne ; elle lui imaginait, sans défiance, bien trop de qualités, et le pensait candide, au moins avec elle. N’étaient-ils pas, après tout, assez similaires ? Faits de cette même argile, déchirée par des supplices anciens dont ils peinent à guérir. Arden avait le sourire en demi-lune : elle avait levé vers lui ses yeux noirs, et leurs visages étaient si proches que ses boucles blondes se prenaient dans ses cils à chaque battement de ses paupières. Il était, ainsi, obligé de la regarder vraiment, ou de se voir, peut-être, en miroir dans ses iris sombres.
Je sais que tu le fais exprès, Cecil. Tu veux que je te dise que tu es beau ?

Arden ne le murmurait pas : elle l’énonçait clairement, avec la pureté des angélus, sans détourner le regard, car elle savait sa droiture déroutante. Elle ne savait pas vivre à l’ombre de ses désirs ou de ses intentions ; tout, avec Arden, était trop vrai. C’était le grand jour : comme un héliotrope, elle n’avait que faire du soir (dans son cœur on ne sonnait jamais les vêpres, alors la nuit ne commençait jamais).
Tu n’as pas besoin de moi, alors.
Elle écarte de sa main fraîche les cheveux de Cecil qui caressent ses joues, qui ne se teintent jamais de rose. Arden ne riait plus, mais ses yeux trahissaient sa tendresse.
J’ai envie de t’embrasser.

Elle avait laissé sa main glisser sur la hanche de son saint Sébastien, ne faisant pas mine de le pousser ; elle sentait la chair chaude de sa paume contre sa peau trop lisse qui ne portait pas les stigmates de ses batailles. Elle refusait de se laisser troubler par la sensibilité muette qu'ils avaient bâti autour de leurs peines : Arden, en belle-de-jour, ne savait pas mentir et n'avait jamais peur de tout gâcher ; alors elle l'avait embrassé doucement. C'était un baiser bref et sans ardeur ; Cecil sentait la lessive et Arden, les agrumes. Elle se souviendrait simplement de l'empreinte de ses lèvres contre les siennes, étrangères et familières à la fois, avec la douceur d'une aube.
Elle dit, ça va brûler, non ? –sans parvenir à se dégager.

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une maison de poupée

Arden avait déjà, autrefois, connu la sensation de son corps. Elle savait la chaleur de la joue de Cecil contre son poing encore jeune, ou la brûlure de ses cheveux noirs maintenus par ses doigts à lui, calleux et impitoyables. Ils s’étaient, à l’adolescence, battus plus que raison ; ainsi, elle avait maintes fois senti le poids de son corps qui écrasait le sien, la force de ses bras et la rigueur de ses muscles quand elle donnait les coups. C’était avant qu’ils ne voient naître cette distance pudique, d’une douceur qui lavait à l’eau bénite toutes les batailles qu’ils avaient mené. Arden avait, avec le temps, oublié cette impression juvénile et amère de la peau de Cecil, tâchée par son propre sang autant que par le sien. Elle avait eu le désir soudain d’effacer cette distance, et sans violence, ils s’étaient retrouvés. Pour cette fois, seulement, elle accepterait qu’il lui mente.
On peut rester là un moment, alors.

Sa main dans son dos était brûlante : elle voulait lui promettre qu’elle ne s’enfuirait pas, abandonnée à la tiédeur de sa peau avec la facilité des effrontés. Sa tendresse s’écrasait contre son corps tendu comme des vagues sur une statue de marbre ; il n’y avait, dans son sourire, aucune hésitation. Arden donnait sans crainte son affection fiévreuse dans la clémence du soir, alors que lui ne faisait que demander. Elle croirait, enfermée dans cette alcôve rigoureuse et sans abandon, que ses ordres étaient des prières : elle se laisse piéger sans résistance parce qu’elle le pensait doux ; il était si bel ange, il ne la tromperait pas.
Elle l’embrasse à nouveau, sans empressement cette fois, pour laisser ses lèvres prendre le goût des siennes. Ses doigts glissement lentement dans ses cheveux d’or, et sa paume –molle et tiède– est posée sur sa joue gauche. C’est elle qui, à nouveau, rompt leur étreinte.
Toi aussi, tu es beau. Je te le dis, parce que je le pense.
C’était des mots doux qu’ils s’échangeaient trop souvent, voyant en l’autre le miroir de leurs propres défauts ; Arden, cependant, aimait l’admirer, et suivre du regard les courbes fines de ses yeux, de ses joues, de sa bouche, pour trouver dans la douceur de leurs angles la beauté infinie qu’elle lui prêtait. Elle s’était imaginée plusieurs fois en suivre les vallons de ses doigts d’ambre, pour en sentir le feu qui dormait sous sa peau claire : Arden n’avait jamais imaginé Cecil si vivant. Ses yeux noirs se reflétaient dans les siens, et elle sentait son souffle contre sa peau embrasée : elle avait oublié, soudain, le prétexte qui l’avait menée ici.

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une maison de poupée

Elle était couchée dans les draps blancs comme une martyre, comme un Adonis qui ne se relèverait pas de sa chute : elle avait les joues brûlantes, et sa main épousait la courbe du dos de Cecil dans un geste à la tiédeur excessive. Demain, peut-être, elle regretterait son crime ; mais à l’ombre du soir elle n’entendait que sa respiration à lui, et l’espérait assoupi au creux de ses côtes, dans une paix tranquille qu’elle ne lui avait jamais connu. Elle n’oublierait pas, cette fois, l’empreinte de son corps contre son sein, ou la chaleur de sa peau parcourue par ses paumes trop aimantes ; elle ne saurait se repentir. Les yeux clos, Arden savourait l’image du péché encore tracé sur sa rétine, de Cecil elle voyait encore la courbe des épaules, devinait la pression de ses doigts sur ses bras, sur ses hanches, sur sa nuque. Elle voyait en Cecil un amour qui n’était pas vrai, en miroir du sien : elle entendait encore son prénom, soufflé dans son cou en un murmure qui lui semblait être une promesse, et elle sentait son cœur fléchir.

Au baiser déposé sur son épaule, elle ouvre ses paupières et devine dans le noir la courbe de son corps. Lentement, elle avait laissé ses doigts courir le long de sa colonne, découvrant sa peau comme une terre à conquérir. Elle avait déposé sur son front un baiser terriblement tendre, le couronnant sans faiblir de toute son affection. En le voyant ainsi, sa tête blonde posée sur son épaule dans un demi-sommeil angélique, elle se dit qu’elle pourrait l’aimer : c’était là son vice.

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