comme toujours, c'est dans la nuit que cassiopée vient le chercher. mais cette fois, seraph ne l'attendait pas.
sur le pas de sa porte, abimé dans l'obscurité du souterrain, l'enfant de némésis ne brille plus du feu de la vengeance. c'est envahi d'une bête perplexité que seraph lui ouvre ses bras; et sans une pensée qu'il l'en entoure. avec la sensation de tenir contre lui une créature tragiquement fragile, il n'ose pas resserrer l'étreinte. cassiopée. lâché d'un souffle aux accents de confusion. confus de sa venue (et davantage encore de ce qu'il doit sentir, au fond de l'être, face à la beauté désincarnée).
ce corps, si familier qu'il n'en oublie jamais l'odeur, même quand cela fait des années qu'il ne l'a pas confondu au sien; il le soulève sans effort, pourtant stupéfait de sa légèreté. d'un geste, l'invite dans l'intimité de ses appartements dont il referme la porte. enfin, il s'autorise l'or de ses prunelles. dis-moi ce qu'il s'est passé. sur ce visage aux airs si peu vivants, il va à la rencontre d'une violence dont il n'a jusque-là pas fait la connaissance. le souvenir diffus des plaies qu'il a déjà pansées, ces plaies qu'il avait dessinées lui-même (il l'adorait plus dignement quand sa peau se parait des vestiges de son intensité).
il ne voit rien, pas une seule ecchymose. tu as mal ? il ne l'attendait pas, c'est vrai; et c'est aussi vrai qu'il ne préférerait peut-être pas le voir; mais à cassiopée, il ne peut refuser sa chaleur. si la douleur qui secoue cette frêle enveloppe est charnelle, seraph se l'appropriera. (et s'il s'agit d'un supplice du coeur ?)

l'aigle s'est échappée.
de la bouche de cassiopée, l'information prend les accents d'une funeste sentence. tu n'es pas au courant ? il devrait l'être. déjà, la brûlure de la colère fait son chemin par les artères, du cœur à l'estomac. sournoise, cette fureur, qui ne demande qu'à faire des dommages collatéraux.
(une pensée amère, assassine, envers divine et garance, qu'il tiendra responsable de cette tournure d'événements.)
cassiopée ne la mérite pas, cette violence, tout comme seraph ne mérite pas cette visite, lui qui, au nom de la dévotion, capture ses émois sans jamais vraiment les lui rendre.
il se sait injuste.
autour de cette enveloppe accidentée qu'il connait trop bien, l'étreinte se resserre - il a l'impression qu'il pourrait le briser sous la simple pression de ses doigts. les nerfs tendus, l'épiderme corrosif, seraph se démène contre ses élans - et plus encore que d'ordinaire, il souffre de cette terrible retenue, familière mais pas moins pénible.  
à court de mots, comme d'habitude, ce sont les gestes empreints de frustration, la stupeur de la membrane qui trahissent sa perte d'équilibre - un pied dans l'urgence du présent, l'autre enchaîné à la cheville d'un être qu'il a su aimer (vaine, peut-être, trop brève, sûrement, cette adoration née entre deux coups de sang, dont les hématomes ne se sont jamais vraiment dissipés).

sublimé par la terne auréole de sa chevelure claire, l'image de cassiopée est d'une pâleur à lui évoquer les nuits suspendues dans la clinique, achevées près de sa silhouette stoïque. il aurait voulu en être épargné. il lui souffle, comme un reproche. tu ne devrais pas être là.
et pourtant, c'est l'air de ne penser à rien qu'il le dépose sur le lit d'un geste à la facilité déconcertante. pour seraph qui a mille fois soulevé ce corps, c'est simple comme respirer. dans le creux de ce dos qu'il a maintes fois retracé, sa main s'attarde inutilement. penché sur ce visage capturé dans l'ombre de ses cheveux détachés, il cherche quelque chose, n'importe quoi - une lueur, sous les paupières, une étincelle vivace, un signe de passion. une raison de céder, ou de le repousser.

pour la première fois de sa vie peut-être, seraph ne sait pas ce qu'il veut. les bras de cassiopée l'entourent déjà, pourtant conscients de leurs torts, et c'est qu'il voudrait le repousser, l'attirer, l'étreindre avec plus de force encore. il accueille le baiser avec une perplexité toute étrangère, et dans sa cage thoracique, son coeur se débat péniblement.
cassiopée sait : ce qu'il s'est passé, mais aussi que le domaine n'est pas le lieu de son refuge. les mots seraient donc vains, les accusations bien futiles, et seraph ne lui reprochera rien. il n'en a pas l'envie, et surtout pas la force - cette simple pensée lui inspire une souffrance singulière, si aigüe qu'elle en est merveilleuse. ses mains se posent sur le lit, encadrant ce visage qu'il voudrait capturer.

dans cette faiblesse, il s'abîme, se penche déjà pour -
mh ? le corps s'immobilise, seul le regard glisse, lentement, suivant celui de cassiopée qui s'échoue vers la chemise soigneusement pliée dans un coin. au fond de la poitrine, la vague impression d'une inexplicable nausée. non, sans artifices, il est déjà parti. et c'est tout, la voilà, son explication. pourquoi s'attarderait-il à lui détailler la nature de leurs rapports ? leur duo a toujours existé hors du temps, parfois proche, parfois distant ; confusément indifférent au passage du temps et des partenaires - aux affres de l'amour et de la chair, ils ont tous deux cédé plusieurs fois, sans jamais se perdre de vue. longtemps, ils ont existé entre étreintes et déchirures, puis de loin, au détour d'un regret, d'un souvenir dans le coin de leur champ de vision.

lentement, les pupilles d'obsidienne se recentrent, cherchent le contact du mordoré. et peut-être que son souffle, d'aussi près, trahit un trouble, un soupçon. c'est comme figé qu'il laisse les secondes s'écouler douloureusement.
quand enfin, il achève son geste interrompu, leurs lèvres se retrouvent à grand peine. il craint d'en faire davantage. je te blesse ? alors pars. et pourtant, si cassiopée cessait un jour de lui revenir, la trahison lui ouvrirait le coeur à vif.

le visage de cassiopée se métamorphose pour n'être plus que le portrait las et saisissant d'un chagrin indicible. encore penché sur ses lèvres, seraph frémit, frappé du terrible tableau dont il est pourtant créateur. lui aussi, il a mal - mais lui, il n'a pas le droit de souffrir, alors il se démène contre cette douleur sourde avec confusion.
l'enfant de némésis dit son nom et seraph n'y trouve pas l'adoration coutumière dont iel le revêt. à la place, il ne trouve que le goût du sang. que penser de leurs silhouettes qui ne demandent qu'à se confondre ? il devrait savoir, à présent, que la chaleur des corps brille d'une couleur qui n'est pas celle de l'amour - et qu'il ne suffit pas d'effleurer, d'embrasser ou de panser pour aimer convenablement.
cassiopée l'a-t-iel déjà repoussé ? il ne s'en souvient pas, et c'est l'ego heurté qu'il se détourne une bref seconde, stupéfait de la brûlure que lui provoque une telle résistance. presque à brûle-pourpoint, il rétorque : tu me vois. regrettes-tu ?
ses sourcils se froncent légèrement, réaction qu'il réprime presque instantanément, échouant néanmoins à se débarrasser de l'ombre sinistre qui lui plombe le regard. ce n'est pas censé se passer comme ça. dans son monde, cassiopée accepte son rejet habillé de baisers puis s'abandonne à ses étreintes éperdues sans jamais exiger réparation. cela fait bien des années que ce jeu de balance fait office de fil rouge perpétuel et inamovible tandis que défilent d'autres visages, d'autres histoires. mais non, cassiopée se lève et s'éloigne ! seraph le suit, accompagne ses pas sans réfléchir. attends. c'est une demande qui a tout d'un ordre, comme cette main qui attrape son poignet translucide pour anéantir la distance. si c'est un frère d'armes que tu cherches, tu me trouveras toujours. ne fais pas comme si tu ne le savais pas. il pourrait insister, rajouter qu'il ne lui a jamais menti, lui rappeler les serments murmurés dans une pièce en clair-obscur. mais il voit en ces épanchements une insulte à cassiopée, auquel il n'apprendrait rien. encore une fois, les mots lui apparaissent bien futiles. alors, toujours, c'est silencieusement qu'il lui confesse son attachement, son hésitation, son égoïsme.

l’ordre des choses voudrait que cassiopée ne le quitte pas. pour seraph, ces adieux sont une aberration dont il ne s’était pas figuré l’existence, alors il reste interdit, les doigts toujours refermés autour de son poignet. si tu ne regrettes rien, pourquoi me regardes-tu de cette manière ? la question se meurt avant d’exister, il n’a pas le droit de poser l’évidence : il ne lui fera pas cet affront alors qu’il est encore tiède des bras d’un autre.
cassiopée dit c’est fini et seraph ne le lâche pas tout de suite puisqu’il refuse encore. nous avons promis, n’oublie pas, que nous serons toujours compagnons d’armes. ce sentier-là, je ne m’en suis pas éloigné.
mais un courant froid fait vibrer l’air et il lui semble d’un coup qu’ils n’existent plus exactement dans le même monde – les mots creusent un gouffre entre leurs deux corps et voilà déjà que seraph ne sent plus la chaleur d’un territoire familier dont il connait les secrets. je ne te comprends plus.
le cœur se change en plomb, s’enfonce sans un bruit dans sa cage thoracique, jusqu’à lui n’être plus qu’un poids lourd au creux de ses entrailles. seraph lâche prise. puisqu’il ne trouvera en ces contrées qu’un étranger auquel il n’a rien promis, il le laisse partir.