plante aux oiseaux

Cassiopée n’avait que trop l’habitude de ses messages cryptiques, envoyés de bon matin, au lendemain de ses aventures. Iels avaient tout vécu ensemble, dans de grands éclats de rire ; iels avaient fait le mur sans hésitation, ouvert les portes qu’il ne fallait pas ouvrir, volé, ou détruit avec l’innocence de l’enfance et de l’adolescence—iels avait aussi subi les punitions assorties à leurs méfaits. Depuis leurs jeunes années, iels s’étaient tenu par la main : Arden avait apaisé les pleurs de Cassiopée, alors que lui tempérait ses colères ; c’était beau, parfait, et Arden lui vouait un amour sans condition (le seul, peut-être, dont elle n’ait jamais douté). Ainsi, elle lui disait tout, aussi tendrement qu’insolemment, dans la sérénité de leur affection sans nuages qui, longeant le cours du temps, ne s’était jamais tarie. Elle aurait toujours, dans son cœur, une place pour lui, à la forme de son empreinte dans les hautes herbes où iels s’étaient souvent couché-e-s, tou-te-s les deux, autrefois, pour se raconter des secrets et en rire franchement.
Elle lui avait donné rendez-vous au café où iels se retrouvaient souvent, à mi-chemin entre chez elle et chez lui ; elle l’attendait en terrasse. Il y avait, dans le bruit constant autour d’elle, une intimité insoupçonnée : dans la vie qui suivait son cours, elle énoncerait sans peine à Cassiopée chacun de ses secrets, sous le plein soleil d’avril, avec la confiance effrontée de ceux qui n’ont rien à cacher. Elle s’amusait toujours de le voir embarrassé des confidences qu’elle prononçait à haute voix, sans hésiter ni fléchir, les lèvres teintées d’un sourire en demi-lune.

Elle lui avait offert, à la seconde où elle l’avait aperçu, un signe de la main, et son nom avait franchi ses lèvres avec l’ardeur de son amour : Cassie !
Immédiatement, elle l’avait trouvé splendide, si beau que son cœur en chavirait toujours après quinze tendres années. Le printemps lui allait bien : l’air portait un ténu parfum de chèvrefeuille, et sur ses cheveux longs glissaient les rayons d’un soleil tiède. Si leur amitié avait été immédiate, elle ne s’était, avec les ans, jamais essoufflée.
Iel s’assoit à peine qu’elle déverse sur lui sa joie tranquille, bénie de la certitude que sa présence serait douce.
Ça me fait trop plaisir de te voir ! J’ai trop de trucs à te raconter, ah ! T’imagines même pas.
Elle serait sans nuances et sans regrets, les yeux rieurs ; il fallait d’abord être heureux-ses de se retrouver.
Je t’ai déjà commandé un café.

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Ses cheveux blonds brillaient au soleil comme une gerbe de blé incandescente, prête à s’enflammer de la brûlure du solstice à venir : Cassiopée avait toujours eu la douceur sucrée de l’orgeat qui sentait bon l’été et le bonheur—pour Arden, c’était la marque de son foyer. Elle avait bâti ses fondations dans une terre qui était à ellui, ou s’était liée à sa vie comme du lierre qu’on ne pouvait déraciner sans en altérer la structure : sa vie était à ellui, et la sienne était à elle ; c’était à ce point qu’iels s’aimaient sans regrets, et son nom prononcé de sa bouche sonnait toujours comme un aveu d’adoration.
C’est vrai ça, pourquoi on vit pas ensemble ? Ça serait plus simple, j’aurais même plus besoin de t’appeler, je pourrais tout te raconter direct !
La distance entre elleux n’était qu’une fiction : Arden serait toujours nichée dans les vallons de la vie de Cassiopée, c’était pour elle une certitude—iels s’étaient tenu la main sans jamais se séparer, alors même qu’iels s’offraient en sacrifice au monde, et l’amitié de l’autre était une promesse que personne n’avait eu à prononcer. Par dessus la table, elle saisit la main de Cassiopée, juste un instant, pour la serrer avec tiédeur et lui rendre un peu de cet amour pour ellui qui faisait la composition de sa chair.
Je sais que tu pourrais pas vivre sans moi— elle lâche sa main, la laisse orpheline mais toujours liée à la sienne par ce lien invisible forgé à l’enfance, et c’est réciproque !
Iel lui demande ses confessions, alors, elle porte ses paumes à ses joues une seconde pour en contenir le feu : elle n’a pas vraiment honte, mais savait jouer aux filles vertueuses, pleine d’une piété dérisoire qui ne servait qu’à retarder la sentence qui tombait toujours. Son rire brûle d’un éclat presque innocent.
Ah, je sais pas si je peux le dire comme ça, attends, attends, il faut que je trouve le courage !

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Elle trouvait le confort dans leurs petits rituels, liturgie bien à eux dans laquelle fleurissait leur amour ancien et brut, aussi tendre que vrai. Dans ses souvenirs d’ellui, il faisait toujours beau, un soleil de printemps ou d’automne—dans les creux de sa mémoire, elle lui offrait une douceur qui ne pouvait discontinuer, c’était là la beauté d’une affection sans froideur, toujours tiède de vie, intense et placide, pleine de certitudes. Arden et Cassiopée n’avaient plus à se dire leurs promesses : elles étaient tacites, gravées sur leurs palais, on s’aimait sans se mentir (pas vrai ?) car on s’aimait sans conditions, à la manière de celleux qui s’étaient connu-e-s jeunes et qui avaient grandi nourris de la même pluie, les pieds ancrés dans la même terre, sans jamais douter de la force de leur sentiments.
Elle rit à l’accusation, d’un de ses rires courts et clairs qui remontent un instant dans les yeux, petits éclats de joie qui dessinent au bout de ses paupières les rides d’un bonheur simple. Pour se prétendre blessée, petite proie fébrile aux canines offertes au ciel, elle pose sa main sur son thorax, entrouvre ses lèvres roses pour donner au monde un petit souffle outré.
Moi, te juger ? Jamais ! En plus, tu sais que j’aime Seraph, j’aime juste pas quand vous êtes ensemble, c’est pas pareil.
D’un geste de la main, elle balaye l’accusation, tranche l’air de ses doigts clairs laqués de rouge pavot avec l’indolence des justes : Arden ne se sentait jamais coupable. Ses secrets n'avaient jamais l'air vicié des confessions, seulement la légèreté des anecdotes tranquilles de ceux qui vivent leur vie sans ombres, d'une audace toute quotidienne à la candeur sans attaches.
Ok, ok, pas la peine de me menacer—en plus t’avais promis, elles restent entre nous ces photos !
Elle se joue faussement gênée—Cassiopée la connaît bien, et c'est sans honte qu'elle déroule le petit panorama de ses mœurs, de ses entrailles vives qui prennent la teinte des vérités : elle regarde ses mains qui entourent mollement la céramique tiède de la tasse de café, et réalise que ce sont ses paumes qui réchauffent la faïence.
Alors, je te dis mon secret ! Je suis allée chez Cecil, hier, mais juste comme ça, tu sais ; enfin, je l’aime bien. Et puis, ah ! elle marque une pause très brève, accroche ses yeux à la chaleur de l'ambre, puis reprend sans attendre le déroulé de son petit drame sans chasteté, je te le dis, alors. On s’est embrassés—enfin, embrassés, et puis, tu vois quoi !
Elle prend une gorgée de café pour signaler la fin de son histoire, fade libertinage sans importance qui portait le rose à ses joues et au bout de ses doigts—modeste floraison qui masquait l'impureté du limon dans lequel elle était prise. C'était toujours ainsi : il n'y avait rien à lire dans ses impertinences.

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Elle ne se prétend pas vexée du jugement qu’iel rend, parce qu’elle attendait déjà que s’abatte sur elle cette justice : elle l’accepterait, y trouverait l’inquiétude portée d’amour qu’elle voudrait bien y lire, et retournerait à ses erreurs avec désinvolture. Arden n’a que faire de cet index accusateur pointé vers elle pour transpercer son cœur de part en part, et se sait capable de le faire fléchir d’une étreinte de ses paumes. Elle étend les bras au-dessus de la table pour nouer ses mains à celles de Cassiopée en une prière muette—elle ne savait pas encore ce qu’elle implorait, n’avait que trop d’affection à offrir dans la tiédeur du printemps. Sans que ses joues ne se teintent de rose, elle met à la lumière du jour ses confessions : C’était plus doux que ce à quoi je m’attendais, je crois.
Elle abandonne alors la chaleur de ses doigts pour s’adosser dans sa chaise, et balayer d’une main l’illusion peinte des fils d’Arès vengeurs, une impression de la guerre et du sang qu’elle n’était pas prête à voir. C’est vrai que tu as un truc pour les spartes ! Enfin, je vais rien dire, c’est un défaut qu’on partage, toi et moi. Elle lui offre un sourire entendu empreint d’un savoir profond de l’autre, une connaissance de leurs mythologies personnelles qui se passait de mots—Cassiopée avait vécu tous ses drames à elle, et Arden avait vécu les siens, de leur lien qui continuait jusque dans la peine et ne connaissait pas la colère.
Je sais, Cassie, tu n’es pas lae premièr-e à me le dire, mais c’est différent, quand on le connaît—et puis, les histoires avec son frère, ça me concerne pas. Je te jure, il est pas comme ça avec moi. Elle n’imaginait pas, peut-être, la violence des batailles qui se menaient dans l’enceinte de l’île pour imiter l’intensité du monde réel, n’en percevait qu’une idée vague qui faisait de Cecil un guerrier renaissant aux luttes angéliques, loin des massacres et de la mort. Tout cela n’était, pour elle, qu’un vaste simulacre du carnage, qu’elle acceptait en silence, avec une abnégation portée par l’ignorance.

Elle ne répond rien, d'abord, sait sa question sans accusation et lève vers le ciel son visage pour accueillir les rayons qui filtrent à travers les feuilles découpées dans le vert tendre des tilleuls. Elle se dit que l'été sera doux, avec cet optimisme ardent fait pour les saisons chaudes, et pense à l'amour qu'apportera le mois de juin—un bel amour estival qui n'existe plus seulement à l'ombre. Les yeux clos pour apprécier la tiédeur du soleil sur ses joues pleines, elle s'offre ainsi au monde. Je sais pas trop, je pense qu’on va se revoir. Moi, j’aimerais bien qu’on se revoie, en tout cas.
Pour prévenir la naissance de ses inquiétudes, Arden rouvre ses paupières, et baisse vers ellui ses iris qui portent encore le cerne clair de la lumière du jour : elle prend ses mains à nouveau, et ses lèvres esquissent un sourire tendre et contrit marqué du poids de sa culpabilité insouciante, et trace d'une ligne fine la joie qu'elle trouve dans cette erreur juvénile.
Je l’aime bien, tu sais. Je sais ce que tu en penses ; promis, je fais attention.

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