bonne année ! belle année ! flambant-neuve et fusant
par ci, par là - en fait partout où l’on va - bonne année belle année claquant en bises aux deux joues, en bras autour du corps et même en bouches à la bouche. l’année bonne, dès minuit, belle comme un cœur hystérique passée l’une heure du matin ; il l’avait célébrée en compagnie assortie c’est-à-dire une toute aussi belle mais aussi une très bonne à rien, encore, vu qu’à l’une heure du matin l’année démarrait à peine qu’on se la gâchait déjà fort : quelque part à New York, les noceur.euses et lui-même tordaient le ventre de la ville à tant festoyer dedans, tellement qu’elle voulait vomir. elle l’avait fait d’ailleurs puisqu’après l’une heure et demi, des fêtards - dont il faisait partie - dégorgeaient dessus les trottoirs à la manière de marées, ivres mortes et ravies, se tenant l’une à l’autre histoire de tituber moins. lui, contrairement à beaucoup, n’y tanguait pas vraiment. insensible aux vertiges il s’était vaguement anuité, avait pris le temps bien élevé d’embrasser les ami.es avant de dire à demain, à plus tard, voire à jamais peut-être en tout cas bonne année ! commencée bellement, s’en allait la poursuivre ;

non loin - non - devrait-il oser dire chez lui ? au fond c’est depuis octobre qu’il vit en-dessous ce toit : celui du grand Danaé et l’on est le premier janvier ; chez lui, donc, il rentre enfin l’air radieux. sur le perron de l’hôtel, une poignée de nocturnes s’obstinent à souhaiter encore, bonne année ! belle année ! et Lazare au passage leur espère tout pareil, franchit les portes tambours - comme on fait les frontières - au-delà le lobby lui offre un semblant de calme.

désert à cette heure - quasiment la troisième - le hall l’accueille en silence. lui parait être un sas de décompression feutré, décoré de velours, tapissé nacarat. lorsque Lazare s’y avance on dirait qu’il mène le soir, des agapes aux talons, la débauche en ses ombres le suivant comme une chienne fidèle car toujours bichonnée. sans appeler l’ascenseur ni même penser à l’appeler il emprunte d’abord un détour - son récent favori - se dirige presqu’à son insu direction la réception et puis, parvenu au comptoir, ne s’y accoude pas.
planté devant, juste ça, il te sourit poliment, Ikal, à toi aussi bonne année. tu n’aimes pas qu’on t’approche - à force il te sait un peu - te la prie d’où il est, courtois ; malgré tout sa risette s’aggrave léger insolente tandis qu’il montre ses mains, ou plutôt ce qu’elles portent : te déposent sous les yeux une bouteille céladon, ornée de fleurs élégantes, et tournée soigneusement afin d’en lire l’étiquette. pire qu’un joli champagne c’est un Perrier-Jouët, Belle Époque, c’est bon - autant que le prix est beau - rassure-toi je l’ai pas payée, une seconde il hésite à te mentir gentiment - t’affirmer un cadeau - se ravise, je l’ai piquée à la soirée là, où j’étais tout à l’heure. vers l’une heure du matin, avoué tout en désignant la rue d’un geste imprécis, par ci par là, partout ; peu importe du moment que tu retiens qu’on s’en fiche. Lazare, finalement, croise les bras sur le bois.
t’as terminé ton shift ? ah, oublie, aujourd'hui pas de question ;
premier janvier fais tes vœux ! viens la boire avec moi.

quant à ses propres vœux Lazare les avait soufflés, déjà, deux heures auparavant contre une tempe fiévreuse qui suintait l’Aperol. premier janvier je voudrais, ah, tu m’écoutes ? je disais : je voudrais ma nuit blanche, et flanquée d’un ami - ou quelque chose du genre - quelqu’un qui connait mon nom mais aussi mes manies, mon semblant de routine, et peut-être avec ça ma couleur préférée. tu savais, toi, d’ailleurs ? qu’il adorait le vert, surtout le vert empire. il lui semblait que oui. une fois ses souhaits confessés - à qui veut d’assez ivre, donc - s’était-il convaincu que tu l’avais appris, bien plus et bien mieux que tous ces gens buvards, babillards et bruyants. il les avait laissés, alors, et malgré les embrassades c’était quand même un abandon, sans honte ni regard en arrière ; de toute manière ces gens-là n’habitaient pas sous son toit. ils n’étaient pas ses gens.

à présent, ce monde et ses délires ne lui restent qu’en vestige, pétillant dans les veines comme du vertige en bulles - en vérité sûrement celles du champagne écoulé mais il préfère s’inventer le sang comblé de la fête ; et Lazare, bonne année, de ta part le ravit. ce n’est pas tu comprends comme l’entendre des autres, les oiseaux noctambules - trop facile venant d’eux, ils répètent tout ce qu’on dit - avec tes couleurs, ton accueil aux allures de volière vernie, tu rappellais plutôt les oiseaux paradis : un défi ces aras lorsqu’on les apprivoise ! pour cela qu’il s’enchante du moindre de vos échanges ; sont le fruit de longs mois, quasi-trois de constance.

ainsi Lazare n’insiste pas, pas besoin.

il croise ses bras au comptoir, juste ça, pour te voir t’affairer en motifs amusants - qui lui font une risette - patient, comme chacune des fois où il troublait ta décence. sur ses joues les appliques pleuvaient des lueurs dorées, camaïeux bienséants, qui juraient joliment avec le ton des invites et qui, dès lors où tu vacilles, dégoulinent à sa bouche, inondent ses fossettes, en fait lui platinent son portrait d’un éclat d’ocre chaud ;
tu lui cèdes un seul verre et, pire que s’illuminer il rayonne, presqu’une enluminure. rien qu’un verre, oui. ranimé tout à coup il se permet de t’ouvrir, soulève le battant de bois qui t’isolait du lobby et te voilà très libre, acquitté de ta cage. un verre qu’on pourra re-remplir une fois, deux fois, trois fois… on verra. sans attendre il reprend la bouteille à la main, vous éloigne de l’accueil - indolent mais conscient qu’on ne boit pas aux lieux de travail - le bar de l’hôtel a des coupes, on n’a qu’à se servir. au passage rassure-toi, évidemment, c’est un emprunt. en ta compagnie la débâcle conserve toujours quelques brides - il t’a convié aux griseries, ne t’incite pas aux larcins - viens et promis juré votre crime se tiendra gentil, délictueux mais sage. on ne vous punira pas, et c’est fort de cette certitude qu’il vous conduit insouciant ; d’ici qu’on atteigne le zinc, dis-moi, où tu voudrais qu’on trinque ? dans l’un des salons, dans ta chambre ? ou dans la mienne peu importe - j’ai pensé sur le toit pour qu’on ait la vue sur New York, et puis j’ai repensé au froid - en parlant de pensées, il saute parmi les siennes comme on fait à pieds joints, façon des marelles ; de terre en ciel, change de sujet, oh pitié raconte-moi comment c’était aujourd’hui, décris-lui ta journée, ton trente-et-un décembre, la clientèle du jour de l’An c’est sûr qu’elle fait des histoires. si ce n’est de l’éther il a le vide aux entrailles ; il mangerait volontiers une poignée de tes mots. après tout sont-ils faits maison.

il lui plaît de vous voir en double dieux errants, libres d’évincer les œuvres qu’elles soient divines ou non - quelle différence ? puisqu’il suffit au fond de monter cinq étages et fermer une porte derrière vous et basta, ni la terre ni le ciel ne pourront vous y battre - c’est que vous êtes si jeunes et jolis avec ça, trop alors pour le zèle de trois heures du matin. cette idée pleine d’injure lui aile sa démarche, et Lazare a dès lors l’allure de l’Ophanim en plus de se sentir tout simplement aux anges ;
comme les milliers d’un Trône ses yeux te survolent, et tout leur semble bon - c’est-à-dire, tout sous eux faisait bien d’exister en l’état - cet état dans lequel tu lui parles maintenant, pudique mais pas prude, éloquent mais correct, toujours, et même poli au point de taire les mots d’amour. ça le fait rire d’ailleurs et s’arrêter la marche - entamée d’un seul pas et stoppée avant deux pour te ravoir en face - les couples qui… quoi ? qui s’embrassent tu veux dire ? en somme les gens qui s’aiment et complice, il grimace, oh c’est vrai que certains manquent cruellement de classe avec leurs bruits trempés de bouche, et la langue qui déborde - c’est le pire ! ceux qui visent tellement mal qu’ils se lèchent les joues. enfin ;

tu t’empares de sa main et ce n’est plus si grave, ces gens qui s’aiment brouillons au creux des corridors - également le reste - ta journée grossière et la sienne gâchée, de toute façon les deux sont mortes à minuit pile ; aujourd’hui flambant-neuf bien sûr qu’on y va.

viens ! c’est par ici ! en premier l’ascenseur et Lazare vous l’ouvre, sans délier vos doigts une fois à l’intérieur parce qu’il ne sent aucun vice dans ce geste-là - des doigts entrelacés ça n’a rien de honteux, il trouve - à quoi tu vas trinquer, Ikal ? réfléchis-y. qu’il te lance à l’instant des montées mécaniques. d’ici le palier cinq il s’adosse au miroir. me dis pas maintenant juste, réfléchis-y bien. les chiffres qui défilent au-dessus les issues lui font une chose à fixer tandis qu’il explique, ma mère, quand j’étais môme, elle traitait le champagne comme les gâteaux d’anniv’ : au moment de trinquer, il faut souffler ses vœux. la cabine s’arrête et il sourit un peu, sa risette synchrone au carillon, ses vœux au pluriel, oui… on peut en faire plusieurs - d’après elle, c’est valide. et viens c’est par là, direction sa chambre où là c’est obligé de se lâcher sinon, comment tourner la clé sans casser la bouteille ? il éventre la pièce et pardon pour le souk. chez Lazare ce soir le capharnaüm est faste, comme chaque soir en fait, d’un bazar de fringues toutes sorties du placard pour choisir au mieux celles qui charment la nuit.

pardonne-lui donc ça et son entrée d’abord histoire de désencombrer les assises, au moins - la causeuse aux fenêtres voisinée des fauteuils, aussi la table basse - tiens. les verres peuvent y finir, pareil. et toi ? assieds-toi où tu veux. en attendant qu’il mette ses habits à leur place, même, si tu veux ouvre-la ! la Belle Époque intacte déposée devant toi.